Dans son Discours de la servitude volontaire de 1576, La Boétie considérait que les puissants qu'il combattait alors "ne sont grands que parce que nous sommes à genoux". Les choses n'ont guère changé, sinon les moyens de notre asservissement. Et l'une des armes principales contre l'idée d'un redressement du pays porte le nom de "cordon sanitaire".
À ce sujet, Jean-Yves Le Gallou vient de publier sur plusieurs sites une stimulante tribune à propos d'une hypothèse autour de la prochaine élection présidentielle. Il s'interroge dans ce texte à propos d'une des nombreuses candidatures imaginables, – mais finalement la plupart paraissent peu vraisemblables au rédacteur de ces lignes. Il s'agit de ce qu'on appelle, depuis quelques temps, la droite hors-les-murs. Et comme sa prospective enjambe peut-être un peu trop hardiment l'échéance immédiate, celle des scrutins régionaux et départementaux, cette chronique ne s'y attardera pas.
La vraie question qu'il pose est celle de la rupture nécessaire du fameux "cordon sanitaire" – lequel vient relayer le non moins célèbre "plafond de verre" que l'on a évalué successivement, depuis quelque 30 ans, successivement à 10 % des voix, puis 20 %, en attendant de le pronostiquer à 30 %.
Il convient en effet de partir d'un constat : "Cela fait quarante ans,écrit-il, que cela dure. Le'front républicain' a déporté la France à gauche. Il a rendu impossible toute mesure sérieuse de contrôle de l’immigration, de réforme de la Justice, de redressement de l’Éducation nationale. Pire, dans de nombreuses villes et circonscriptions, le front républicain a fait des lobbys islamistes les arbitres des élections : ils apportent une clientèle communautarisée qui remplace électoralement des Français de souche ostracisés. Au final, c’est le front républicain qui est responsable du chaos ethnique et du chaos sécuritaire." Et de conclure, avec pertinence :"Il faut en sortir !"
On pourrait ajouter que le "front républicain", aujourd'hui comme hier, ne bloque pas seulement la solution des questions identitaires et sécuritaires qui préoccupent ici notre polémiste. Le "front républicain"tétanise tout débat et empêche également toute évolution de ce qu'on appelle le modèle social français, toute réduction du fiscalisme et toute véritable alternance.
Comment est mort et comment est réapparu, dans le passé, le Front républicain ?
En janvier 1956, c'est bien sous cette étiquette que les élections législatives avaient permis à Guy Mollet de constituer son gouvernement, qui dura jusqu'en mai 1957. En faisaient notamment partie Mitterrand, Mendès-France, Chaban-Delmas... Le débat et le vote d'investiture ne manquèrent pas de révéler le soutien très particulier des communistes. Duclos déclare à la tribune que le pays, "après la victoires des gauches, attendait un gouvernement de gauche, appuyé sur une majorité de gauche et rompant catégoriquement avec les partis de droite". Il regrette en effet seulement que ce front républicain n'exclue guère de ses soutiens à droite que les poujadistes. Selon lui, la majorité de gauche étant "largement suffisante"pour offrir une "base solide"il faut encore plus lutter contre la droite: "il faut s'inspirer du vieux mot d'ordre républicain : pas d'ennemis à gauche".
Le PCF concrétisera son soutien, et sa discrète appartenance au "front républicain", lors du vote de la loi no 56-258 du 16 mars 1956 "autorisant le Gouvernement à disposer des pouvoirs spéciaux en vue du rétablissement de l'ordre et de la sauvegarde du territoire en Algérie."
Or, en novembre de la même année, à la suite des événements de Budapest, de considérables remous se produisirent dans la politique française et européenne. Beaucoup de personnalités rompirent, plus ou moins durablement, avec le PCF. D'autres demandèrent, en vain, son interdiction. Pendant plusieurs années, la mise hors la loi du PC devint ainsi une sorte de marqueur de la droite nationaliste.
Mais cette attitude ne concernait pas seulement cette frange militante de l'opinion : le parti socialiste SFIO allait refuser longtemps, durant pratiquement 10 ans, tout accord avec les communistes.
Lors des élections législatives de 1958, organisées au scrutin uninominal majoritaire, à deux tours par circonscription, cette rupture de l'entente à gauche allait ramener à 10 députés, contre 150 dans la chambre sortante, le nombre des élus du parti de Maurice Thorez qui, pourtant la deuxième force politique du pays. En recul de 7 points par rapport à janvier 1956, il pesait encore 19 % des voix. Mais le cordon sanitaire avait fonctionné, au profit du parti gaulliste : celui-ci, qui s'appelait alors UNR n'avait obtenu que 17,6 % des voix au premier tour, donc moins que les staliniens, mais la coalition des droites formées autour de lui avait ramassé au total 402 des 576 sièges.
Deux circonstances balayèrent cette situation.
En 1961-1962, la fin dramatique de la guerre d'Algérie s'était caractérisée par un accord de fait entre le pouvoir et le parti communiste, et par un rapprochement avec l'URSS. Dans toutes les structures de l'État et des médias, tous ceux qui étaient restés fidèles à l'ancien paradigme anticommuniste furent alors, et systématiquement épurés.
En 1965, l'élection du président au suffrage universel permit à un candidat venu du centre-gauche, François Mitterrand, qui ne se prétendra socialiste qu'en 1971, de rassembler toutes les forces se disant républicaines en incluant le PCF. Cette alliance s'empara du pouvoir en 1981. On connaît en général la suite. Ou plutôt on croit trop souvent la connaître dans la mesure où le communisme s'est écroulé à Moscou, et dans le reste de l'Europe de l'est, non par la grâce du socialisme mitterrandien mais par sa propre faillite.
Aujourd'hui, à la faveur des régionales on découvre que l'actuel front républicain prend l'eau. Et le Monde titre et déplore même ce 10 juin : "le front républicain contre l’extrême droite menacé de déliquescence".
Allons, il y a aussi de bonnes nouvelles.
JG Malliarakis
https://www.insolent.fr/2021/06/vie-et-mort-du-cordon-sanitaire.html