Mea culpa. L’annonce tonitruante, notamment par Florian Philippot, de manifestations énormes, le samedi 17 juillet, nous avait laissés sceptiques. Il y a eu, certes, le précédent du 14 juillet 1789, mais depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais les mois de juillet et août n’ont été propices à des manifestations politiques de très grande ampleur. Or le 17 juillet dernier, le gouvernement a reconnu que 114 000 personnes au moins étaient descendues dans la rue pour manifester contre le caractère obligatoire, contraignant, liberticide, des mesures anti-COVID du projet de loi gouvernemental.
Oui mea culpa : c’est Philippot qui avait raison, et Présent qui avait sous-estimé non pas le bon sens des Français et leur ressentiment à l’égard du pouvoir, mais leur capacité à se mobiliser pendant la trêve estivale.
Or les manifestations de ce samedi 24 juillet montrent que le mécontentement, loin de faiblir, continue à enfler. Selon le comptage policier, il y avait cette fois 161 000 manifestants au moins, les rassemblements statiques n’ayant d’ailleurs pas été intégrés à ce total.
Les Français dans la rue
S’il s’était agi de manifestations de la CGT, les organisateurs et certains médias auraient doublé ou triplé le chiffre supposé de participants, sans scrupule. Mais même en retenant l’estimation de la police, il est sidérant de noter que, d’une semaine sur l’autre, en plein cœur de l’été, le nombre de protestataires a augmenté de plus de 40 %. Nous sommes donc face à un processus de mobilisation tout à fait comparable au phénomène Gilets jaunes d’octobre 2018. Au plus fort des manifestations de Gilets jaunes, le ministère de l’Intérieur avait compté jusqu’à 300 000 personnes dans la rue. Mais si les mobilisations massives de Gilets jaunes ont persisté jusqu’en juin 2019, le pic de manifestants avait été atteint dès novembre 2018, et les « actes » suivants (les journées de mobilisation auxquelles les Gilets jaunes donnaient des numéros), furent marqués par une baisse progressive des participants, parfois découragés, il est vrai, par l’interférence de commandos anarchistes.
Ces deux premières mobilisations anti-passe semblent, elles, se situer dans une dynamique ascensionnelle. Le caractère spontané des défilés est impressionnant. Il n’y a pas d’organisateurs clairement identifiés, de bataillons militants regroupés sous les drapeaux de partis ou de syndicats.
Ainsi ce samedi à Agen, dans le Lot-et-Garonne, les participants étaient au moins 1 500, deux fois plus nombreux que la semaine précédente. On reconnaissait quelques têtes connues de la droite nationale locale, beaucoup de jeunes gens désireux de manifester leur rejet du système et de commerçants et personnels de santé inquiets. La banderole utilisée la semaine précédente avait été redéployée : « Macron, ça « pass » plus, le peuple est dans la rue. »
Pour la masse des manifestants, la seule revendication, c’était « liberté ! », slogan scandé à pleins poumons par une foule déterminée. 1 500 manifestants pour une ville de 33 000 habitants, c’est un niveau de mobilisation très inhabituel. Et en se dispersant, les participants cherchaient déjà à savoir si, le samedi suivant, un nouveau rendez-vous serait organisé.
A Paris, du côté des Champs Elysées, quelques heurts se sont produits, et 24 personnes ont été interpellées. Il en a été de même à Lyon, place Bellecour.
Par ailleurs, une équipe de télévision a été chahutée à Marseille, en marge de la manifestation anti-passe, qui réunissait 4 000 personnes. C’est quand ils ont révélé leur appartenance à France Télévision que les journalistes ont été chassés du rassemblement. Mais il faut reconnaître que le positionnement de France Télévision, média de « service public », théoriquement neutre, mais de fait au service du « progressisme », suscite un fort rejet. Au total les manifestations ont donné lieu à 71 arrestations.
Même le Sénat !
La tension va-t-elle baisser après les amendements votés par le Sénat dans la nuit de samedi à dimanche ? Ces amendements vont plutôt dans le bon sens. Ils tendent à desserrer le nœud coulant : les centres commerciaux pourront être exonérés du passe sanitaire et la règle d’isolement obligatoire des malades sera un peu assouplie. D’autre part les sénateurs sont montés au front contre les licenciements pour absence de passe sanitaire.
C’est un maintien des libertés fondamentales que réclamaient les manifestants du samedi, les sénateurs y ont partiellement répondu. Ces derniers voulaient la garantie du caractère facultatif – de droit comme de fait – de la vaccination. Mais même avec les aménagements de la nuit du dimanche au lundi, nous sommes loin du compte.
Licenciements sanitaires : le gouvernement prenait un risque énorme
Le point le plus anxiogène du projet de loi concernait la possibilité de licencier les non vaccinés. Finalement cette possibilité est supprimée de la loi. Pour le sénateur Philippe Bas, habituel défenseur des libertés individuelles, un licenciement pour absence de passe sanitaire aurait été « une sanction totalement disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi ».
L’obligation vaccinale est maintenue pour les soignants, les pompiers et les personnels des maisons de retraite. Mais l’absence de passe (en fait de vaccination) n’entraînera pas un licenciement, uniquement une suspension du contrat sans salaire.
Il y aura nécessité du passe sanitaire sur les terrasses et pour les mineurs, dans les lieux publics accueillant plus de 50 personnes. Cette disposition s’appliquera à compter du 30 août. Les personnes testées positives devront être isolées pendant dix jours.
L’état d’urgence, qui devait être en vigueur jusqu’au 31 décembre, ne le sera que jusqu’au 15 novembre.
En fait le dispositif complet découvert lundi matin par les Français est très complexe, avec des dates d’application différentes selon les cas, les premières dispositions jouant dès le 1er août. Les informations contradictoires s’étant multipliées ces derniers jours, au gré des débats parlementaires, il est fortement recommandé d’étudier avec soin la liste des nouveaux interdits, avant de se lancer dans des projets ambitieux de déplacements ou d’organisations de réunions.
Nous avons donc désormais un dispositif moins violent. Mais il n’est pas certain du tout que ce compromis a minima fasse baisser la pression de la rue, tant le sentiment de vivre une dictature sanitaire est persistant. Pour l’heure, selon un sondage, un Français sur trois est opposé aux contraintes sanitaires, dont une majorité de jeunes.
Francis Bergeron
Article paru dans Présent daté du 26 juillet 2021