Les syndicats sont montés au créneau contre le projet de démantèlement d'un service public.
Magali Cohen / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
La grande réforme d'EDF baptisée « projet Hercule », qui aurait permis la dislocation et la privatisation partielle du groupe public, n'aboutira pas avant la fin du quinquennat d'Emmanuel Macron. Un répit bienvenu pour les nombreux opposants syndicaux et politiques au projet.
Ouf ! Trois fois ouf ! Le projet Hercule – depuis rebaptisé « Grand EDF » – sur lequel Marianne alertait dès 2019, est mis sous le tapis. « À ce stade, les discussions n'ont pas abouti » avec Bruxelles et « il n'est pas envisageable d'avoir un projet de loi au Parlement dans l'immédiat », a expliqué une source gouvernementale auprès de l’AFP.
Le projet ne pourra donc pas aboutir à temps, avant le début de la prochaine campagne en vue de l'élection d'avril 2022, semble regretter l’exécutif. Du côté de l'UE, le son de cloche est sensiblement différent. Selon une source proche du dossier à Bruxelles, c'est Paris qui a décidé de la pause. « C'est un choix politique de la France de faire passer la réforme après l'élection présidentielle », déclare cette source à l'AFP.
Blocages prévisibles avec Bruxelles
Hercule était certes un projet complexe à multiples entrées, mais les discussions ont principalement bloqué sur la réforme du mécanisme dit de l’« accès régulé à l’électricité nucléaire historique » (Arenh). « Le gouvernement a indiqué que les discussions entre les autorités françaises et la Commission européenne relatives à la réforme de l'Arenh, au cadre des concessions hydrauliques et à l'organisation d'EDF n'ont pas abouti à ce stade à un accord global », a confirmé ce matin la direction du groupe lors de la présentation des ses résultats semestriels.
L'Arenh impose à EDF de vendre un quart de sa production nucléaire à des fournisseurs concurrents, principalement Total et Engie, au prix de 42 euros le mégawattheure. Or, la direction d’EDF estime ce prix inférieur au coût de revient du nucléaire en France. Ainsi, depuis le début des négociations il y a deux ans, l’État français demandait l'autorisation à Bruxelles de relever ce prix administré d’environ 20 % afin qu’EDF se redonne de l'air financièrement.
Problème, la France a mis le doigt dans un engrenage pervers. En effet, le mécanisme qui devait remplacer l'Arenh était de fait une dérogation évidente au sacro-saint principe de libre concurrence européenne inscrit dans les traités : on favorisait une entreprise publique sur un marché concurrentiel. C'est pourquoi la Commission a demandé des contreparties. Notamment qu’EDF « vende son courant nucléaire dans les mêmes conditions à tout acheteur européen », explique à Marianne un ancien cadre dirigeant du groupe toujours bien informé. Comprendre : « que l’effort du peuple français pour financer le nucléaire depuis des décennies, et ainsi bénéficier d'une électricité à bas prix, puisse profiter à toute l’Europe ». Une contrepartie jugée « inacceptable par le gouvernement français », selon cette même source. Dès lors, impossible de trouver un accord. « Les hauts fonctionnaires français se sont acharnés à faire passer un projet que la Commission ne pouvait, de fait, pas accepter », résume l'ancien cadre du groupe. À l'Élysée, on a donc décidé de tout rependre de zéro l'année prochaine.
Le timing de cette annonce n’est, du reste, pas anodin. Elle est intervenue juste avant la présentation ce jeudi 29 juillet au matin des résultats financiers d'EDF. Résultats qui font état d'une hausse de son Ebitda – bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement – de… 30 % à 10,6 milliards d’euros, qu'EDF explique « essentiellement par une progression de la production nucléaire en France et un climat plus froid dans un contexte de hausse des prix de l’électricité et du gaz ». Lors de ce premier semestre 2021, on était donc loin de la situation financière critique que la direction du groupe et l’exécutif avançaient pour justifier la réforme de l’Arenh. « Il est en effet intéressant de constater que le gouvernement a été obligé de renoncer à sa réforme la veille de la publication des résultats financiers EDF, qui font état d'une hausse de son Ebitda de 2,5 milliards d'euros. Difficile dans ce cadre de continuer à se plaindre des effets financiers négatifs de l’Arenh… », nous lance un autre ancien cadre du groupe.
Inquiétude puis soulagement
Au-delà de l'Arenh, l'objectif de la réforme Hercule était limpide comme nous l’écrivions en avril : « le coûteux vieux nucléaire au secteur public, et les activités les plus juteuses aux investisseurs privés ! ». Ces activités juteuses : « Enedis considéré comme la pépite du groupe et les ENR [énergies renouvelables] un secteur économique d’avenir, seraient donc isolées et livrées aux marchés financiers ». Autrement dit, on allait assister à un démantèlement d'EDF en règle. Au point que le service public de l’énergie et la sauvegarde pour les citoyens français du bien commun qu'est l’électricité étaient en danger.
Grands opposants aux projets, les syndicats se sont donc félicités de ce recul. « C'est pour nous une belle et grande victoire à mettre à l'actif du rapport de force des travailleurs avec la CGT qui n'a jamais attendu une quelconque annonce », a déclaré Sébastien Menesplier, secrétaire général de la Fédération nationale Mines Énergie CGT (FNME-CGT). « Nous resterons pour autant vigilants car les discussions entre le gouvernement et la Commission européenne vont se poursuivre », a souligné le syndicaliste. Les syndicats qui ont mobilisé contre ce projet lors de plusieurs journées de grève ces derniers mois ont trouvé un soutien de poids auprès des parlementaires, qui ont uni leurs voix de la gauche (LFI, PCF et PS) jusqu'aux Républicains pour dénoncer la dislocation d'un patrimoine public. Le PDG d'EDF Jean-Bernard Lévy a de son côté regretté ce jeudi 29 juillet que la réforme du groupe ne puisse déboucher dans l'immédiat. « Nous regrettons que cette réforme qui est indispensable pour EDF ne puisse se conclure maintenant », a-t-il déclaré.