Car c’est ainsi maintenant. Et, par la magie du pouvoir médiata loi n’est pas la même pour tout le monde
En 1996, sa condamnation pour plagiat (que l’on nomme aujourd’hui pudiquement « contrefaçon » !) de « Quand j’avais cinq ans, je m’ai tué », d’Howard Buten, n’empêche pas l’écrivaine franco-camerounaise Calixthe Beyala d’être primée. Ni, surtout, de poursuivre une carrière de récidiviste.
Peu d’auteurs ont incarné avec autant de morgue le peu d’effet sur un parcours d’un plagiat reconnu par la justice. Condamnée en mai 1996 pour avoir pillé le best-seller d’Howard Buten, confondue de nouveau quelques mois plus tard – sans la moindre suite judiciaire cette fois – pour s’être un peu trop inspirée d’au moins cinq autres auteurs, Calixthe Beyala n’en a pas moins obtenu, dans la foulée de son procès, le Grand Prix du roman de l’Académie française pour Les Honneurs perdus (Albin Michel, 1996) – le livre avait figuré la même année sur les premières sélections du prix Goncourt !
Cela ne l’a pas non plus empêchée de continuer à mener une carrière prolifique (elle est l’auteur de dix-neuf livres), de bénéficier d’une importante visibilité médiatique, comme écrivain ou comme militante de la représentation des minorités dans le paysage audiovisuel à travers le Collectif Egalité, de recevoir d’autres récompenses littéraires, de devenir, entre 2005 et 2012, éditorialiste au mensuel Afrique Magazine… Ni même d’être élevée au rang de chevalier de la Légion d’honneur en 2010 !
L’« affaire Beyala » éclate en janvier 1995. Le Canard enchaîné révèle par deux articles que la romancière franco-camerounaise a plagié, dans son quatrième livre, Le Petit Prince de Belleville (Albin Michel, 1992), Howard Buten, mais aussi l’auteur de polars américain Charles Williams et son Fantasia chez les ploucs (Gallimard, 1957). Le scoop est d’autant plus embarrassant que la jeune femme, premier auteur africaine de langue française à connaître un tel succès populaire, est devenue une figure des lettres. Il va donc falloir user de pincettes pour la sortir de ce mauvais pas.
Née au Cameroun en 1961, arrivée en France à l’âge de 17 ans, Calixthe Beyala a fait ses débuts chez Stock en 1987 avec C’est le soleil qui m’a brûlée, mais c’est Albin Michel, rejoint en 1992, et son directeur, Richard Ducousset, qui la propulsent au rang de star (il est le premier mentor de cette fourbe). Ses livres, agréables sans être inoubliables, mettent en scène des personnages africains exilés en France, ou une Afrique à la fois souffrante et majestueuse. Mais c’est d’abord par sa forte personnalité, sa gouaille, son physique (auquel quelques uns de ses sponsors ont probablement succombé) que Calixthe Beyala marque les esprits. D’ailleurs, habile à tisser des relations et à frayer avec ceux qui comptent, elle s’invite naturellement dans la course aux récompenses littéraires. Elle obtient ainsi le prix François Mauriac de l’Académie française et le prix Tropiques pour Assèze, l’Africaine (Albin Michel, 1994), livre qui fut également en lice pour le Femina.
Le 7 mai 1996, le tribunal de grande instance de Paris condamne donc Calixthe Beyala et Albin Michel pour « contrefaçon » (autrement dit, plagiat), leur ordonnant de dédommager Howard Buten (30 000 francs) et son traducteur, Jean-Pierre Carasso (30 000 francs), au titre du préjudice moral, ainsi que le Seuil (40 000 francs), au titre du préjudice matériel, de retirer tous les passages incriminés et de régler les frais de justice. Calixthe Beyala ne fait pas appel. L’histoire pourrait s’arrêter là, mais le journaliste et écrivain Pierre Assouline, alors directeur de la rédaction du magazine Lire, se met en tête d’examiner dans le détail l’œuvre de la romancière. Avec ces gens-là, les enquêtes policières s’avèrent souvent productives…
Fin 1996, sur RTL, il commence par affirmer que Les Honneurs perdus, primé par l’Académie, relève lui aussi du plagiat, pointant nombre de similitudes avec La Route de la faim (Julliard, 1994), de l’écrivain nigérian Ben Okri, avant de crucifier la romancière deux mois plus tard au terme d’une enquête approfondie publiée dans Lire : évoquant une « kleptomanie littéraire », Assouline revient sur les emprunts à Ben Okri, mais également à bien d’autres. Le Petit Prince de Belleville n’a ainsi pas seulement puisé chez Buten et Williams, mais aussi dans La Vie devant soi, d’Emile Ajar (Mercure de France, 1975), et La Couleur pourpre, d’Alice Walker (Robert Laffont, 1984). Pour Assèze, l’Africaine, qui se déroule au Cameroun, où elle est née, elle a pioché chez Paule Constant et sa fable africaine White Spirit (Gallimard, 1989).
Perseverare diabolicum !
Une personnalité du monde éditorial, qui souhaite rester anonyme, avance qu’en réalité Calixthe Beyala n’aurait pas écrit ses livres seule. Le nom de Patrick Rambaud, connu pour s’être régulièrement livré à des travaux d’« écrivain fantôme », est prononcé. Mais l’académicien Goncourt affirme que son rôle s’est borné à une relecture de certains manuscrits de Beyala, notamment celui des Honneurs perdus, ajoutant qu’il n’était pas chargé de vérifier s’ils contenaient des plagiats. « C’était un travail d’editing comme j’en faisais beaucoup à l’époque, souligne-t-il. Et la plupart des œuvres plagiées dans ces livres, je ne les connaissais pas. »
Au pied du mur, Calixthe Beyala s’est d’abord défendue de manière laconique. Après les révélations du Canard enchaîné, elle a affirmé qu’elle n’avait pas lu Buten et qu’il ne s’agissait que de « coïncidences », de passages sans doute inspirés à l’un et à l’autre par des « lectures communes ». Pour Charles Williams, elle s’est justifiée par des « réminiscences » dues à sa capacité de retenir des romans entiers « par cœur ». L’Académie française a aussi volé à son secours, arguant que « tout le monde a plagié, de Corneille à Stendhal » ! « C’était un argument bien commode pour noyer le poisson », se souvient aujourd’hui Assouline, avant de rappeler que « l’inspiration inconsciente, qui fait ressortir des idées ou tournures de phrases, l’intertextualité, hommage ou clin d’œil qu’un écrivain fait à un autre à travers des allusions ou références ou la reprise assumée d’œuvres classiques comme a pu le faire Joyce avec l’Odyssée d’Homère ne sont pas comparables avec les pratiques de la romancière ».
De fait, c’est après l’enquête accablante de Pierre Assouline que Calixthe Beyala s’est défendue avec le plus de verve, jurant même que c’était Ben Okri, qui n’avait pourtant jamais entendu parler d’elle, qui s’était inspiré de son travail… (ces gens-là ne manquent jamais de culot). Elle a ensuite évoqué des « persécutions » et de la « haine raciale » émanant de « journalistes de gauche ». La défense habituelle de ce genre de personnage coloré. Dans une longue tribune publiée par Le Figaro, la romancière s’est dédouanée de la manière la plus outrancière, alternant victimisation et mauvaise foi : « Peut-on naître dans un bidonville et être reconnu comme un écrivain dans sa totalité à Paris ? », s’est-elle interrogée, avant de souligner sa situation d’« Africaine ignorante », de « pauvre Négresse venue de nulle part » et de « cambroussarde », et justifiant cette fois ses plagiats par la tradition africaine… de l’oralité, dans laquelle une « histoire est à tous et à personne et un texte n’est jamais fermé ».
Ces gens-là ont un culot sans borne. Le comprendra-t-on un jour ?
Mais si Calixthe Beyala a été condamnée, c’est parce qu’elle a copié parfois à la virgule près une quarantaine de passages du livre de Buten. Comme le souligne Pierre Assouline, « le plagiat en droit n’a pas d’existence. Seule la contrefaçon est répréhensible. Pour faire la différence, les juges analysent les textes sur le fond, mais aussi mot à mot ». Le résultat fut, en l’espèce, implacable pour la romancière.
Aujourd’hui en retrait de la vie littéraire – son dernier roman, Le Christ selon l’Afrique, date de 2014 – (il était temps !), elle est pourtant encore, selon Albin Michel, « un auteur de la maison »… grâce à la complicité (intéressée ?) de Richard Ducousset. Aux dernières nouvelles, Calixthe Beyala vit de nouveau au Cameroun, dont le gouvernement l’a nommée en 2019 ambassadrice de la culture, et où elle œuvre pour diverses causes humanitaires et notamment pour l’Unesco en tant que membre de la décennie internationale pour la paix.
On croit rêver. Et dire que la doxa paléoanthropologique prétend que l’Homme moderne est né en Afrique !
Mais étonnez-vous, avec cela, que notre malheureux pays soit en perdition.