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Charles Maurras une tragédie française

Un homme couvert de femmes

« Tous ceux qui m'ont connu savent combien je fus sensible au charme féminin sous toutes ses formes, à son mystère sous tous ses masques », fait dire Charles Maurras à son double Denys Talon dans Le Mont de Saturne. Contrairement à l'image austère que certains ont voulu cultiver du théoricien monarchiste, il fut, en bon Provençal, un sanguin, prompt à s'enflammer devant la beauté d'une dame, « un amant passionné, un charmeur blaguant, diseur de vers et buveur de bon vin, un solitaire conquérant, intrépide, patient et impatient : très sensible aux femmes » dont il est souvent entouré, ainsi que le décrit Stéphane Giocanti, révélant cette part méconnue de l'écrivain. 

Ainsi, à son arrivée à Paris, Maurras, en compagnie de son fidèle ami Amouretti, ne dédaigne pas d'aller « courir la gueuse » et de fréquenter les filles des maisons closes selon une tradition encore bien ancrée à l'époque. « Je pourrais citer telle au telle maison où, durant des années fort longues, le sentiment de mon infirmité a été littéralement annulé ou rendu si léger qu'il ne m'était presque plus permis d'y penser. »

Après cette étape initiatrice, suivront des amours qui pour passagères et nombreuses n'en furent pas moins profondes. Au cours d'une tournée félibréenne dans l'Ouest, il s'éprend de la jolie Juliette Prévost-Roqueplan qui accompagne Maurras avec ses parents. Pendant deux ans, ils s'échangeront des lettres où Maurras signe « votre vieux Faust ». Mais la correspondance du poète peut aussi se faire coquine lorsqu'il s'entretient de sujet galant avec ses amis. Barrès notamment. Lorsque celui-ci lui parle du masque mortuaire de Don Miguel Manara, modèle de Don Juan, Maurras l'interroge sur son appendice nasal : « Vous savez que le nez, en donjuanisme, est d'une importance infinie; chez tous les érotiques, le nez passe pour être la mesure du reste. » Sans doute pensait-il à lui-même ...

Durant cette période, il fréquente la famille de Saint-Pons dont toutes les filles sont amoureuses de lui. Avec Valentine, il vit son premier grand amour. Leur relation ne durera qu'un an, mais leurs échanges épistolaires bien plus. Stéphane Giocanti note que Maurras termine toujours ses amours par des amitiés et ne rompt jamais brutalement avec celles-ci. Ainsi sa correspondance va croître au rythme de ses amantes ...

Après quelques aventures, il s'éprend de Marie-Louise Léonnelle de la Tourasse, qui lui inspire les Poèmes à Marie, toujours inédits. Après avoir été l'amant de « la bouillonnante » Mme Paul Souday, il tombe amoureux de la comtesse de La Salle-Beaufort qui, mariée, ne peut répondre à ses avances. S'ensuivra une grave crise sentimentale qui le conduira, comme antidote, à écrire Les Amants de Venise. Qu'à cela ne tienne, Mme Stefani, née Rachel Legras, sera son amante jusqu'à son mariage et aussi, sous le pseudonyme de Pierre Chardon, l'organisatrice du Dictionnaire politique et critique.

Ensuite, il sera l'objet de la passion amoureuse d'Alice Gannat, intendante au collège des jeunes filles de la Légion d'Honneur. Hormis plusieurs dîners et quelques roses, Maurras ne donnera pas d'autres suites. Peut-être parce que, parallèlement, il est occupé avec une habitante de Limoges, qui le rejoint régulièrement dans une chambre d'hôtel à Paris et qu'il appelle « la Myrte ». Ou bien encore par sa relation avec Marie-Madeleine Debrandt, secrétaire de son ami député et ministre socialiste du Lot, Anatole de Monzie.

Mais le Maître demeure trop occupé par son activité politique et littéraire pour mener une vie maritale. C'est ce que ne cessera de lui reprocher l'une de ses dernières passions, la baronne de Villenfagues de Sorinnes, épouse Rospigliosi, Belge au tempérament romain qui supportera ses absences et ses retards pendant près de dix ans. Sa dernière compagne, Mme de Dreux-Brézé, le veillera jusqu'à sa mort. Dans le portefeuille du défunt, on retrouvera même un poème dédié... à la beauté de la gorge de la comtesse.

Michel Arbier Le Choc du Mois n° 4 - Septembre 2006

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