[ci-contre : Emblème de l'organisation paramaçonnique munichoise Société Thulé (fondée en 1918) représentant le svatiska dextrogyre aux branches recourbées, rayonnant et surplombant un poignard. La date du dessin est indiquée : 1919. Le svastika, courant dans l'iconographie aryosophiste de l'époque, sera repris comme croix gammée par le NSDAP. Peut-on considérer l'ésotérisme nordiciste comme préfigurant le régime hitlérien qui en serait le versant exotérique ? Une étude récente aide à faire la part du mythe et de la réalité sur ce sujet. En voici la recension]
Une fois la république des conseils de Munich abattue, la Société Thulé semble effectivement avoir atteint son objectif, accomplie la mission qu'elle s'était donnée, et ne s'occupe plus que d'activités fort modestes. Ce qui permet d'affirmer que le développement ultérieur du national-socialisme ne lui doit vraiment pas grand chose et que ce mouvement politique a suivi sa logique et ses dynamiques propres, sans la tutelle d'une société à vocation ésotérique.
Une signification marginale
Dès lors, pour en arriver au cœur de la problématique et du “mythe” qui s'y accroche, posons la question : quel rôle cette Société a-t-elle joué en tant qu'élément précurseur du national-socialisme ? Rose nous brosse un tableau bien moins coloré et fantasmagorique que celui que nous font miroiter les interprétations habituelles (ndlr : néo-nazies exaltées ou anti-fascistes tourmentées par de nouvelles théories du complot) . Il constate : « Nous ne pouvons parler ni d'une idéologie unitaire ni d'une Weltanschauung originale dans le cas de la Société Thulé ». Pour Rose, la Société Thulé ne revêt qu'une signification marginale dans le processus général d'émergence du national-socialisme. (*)
À propos de la Société Thulé, on ne peut nullement parler d'une « influence téléguidée, dûment planifiée, aux objectifs précis, visant à piloter la NSDAP ». Bon nombre d'auteurs se sont laissé piéger par Sebottendorf [ci-haut], qui a donné trop d'importance à la Société Thulé dans son livre Bevor Hitler kam (tr. fr. : Avant que Hitler ne vienne) [1933]. Sebottendorf, notamment, exagère et extrapole en écrivant que certains membres en vue de la NSDAP, comme Rudolf Hess ou Hans Frank, étaient membres de la Société Thulé.
Les élucubrations de Rauschning
Rose a également abordé la question cruciale des racines prétendument occultes du national-socialisme ; évoquons rapidement ses arguments : avec des phrases claires, Detlev Rose écrit que les cent conversations que Hermann Rauschning aurait, paraît-il, eues avec Hitler, ne sont que des élucubrations, notamment quand Rauschning parle des “tendances occultistes” de Hitler (« Hitler aurait été l'instrument de “forces mystérieuses” »). Pourtant, ces conversations, vraisemblablement fausses, ont été décrites par l'historien Theodor Schieder, décédé en 1984, comme des « documents attestant de sources indubitables et de grande valeur ». À la lumière des recherches de Rose, on peut dire désormais que Schieder a malheureusement répandu et consolidé, par son autorité, une « grossière falsification de l'histoire ».
Tentons une synthèse : l'écriture claire et précise de Rose, qui évite toute jactance et toute grandiloquence, rend son livre indispensable pour tous ceux qui veulent jeter un regard critique ou s'informer sur les racines prétendument occultes ou ésotériques du national-socialisme.
Michael Wiesberg, Nouvelles de Synergies Européennes n°44, 2000.
(article paru dans Junge Freiheit n°3/1995. Tr. fr. : RS)
* Nicholas Goordick-Clarke minimise également l’influence des cercles ésotériques dans l’essor du nazisme. Les Racines occultistes du Nazisme : Les Aryosophistes en Autriche et en Allemagne (1890-1935), Pardès, 1989. [analyse critique] [version anglaise].
Pour prolonger :
- « Sur deux approches de l'idéologie nazie », P. Baillet, in : Catholica n°106
- « L’ésotérisme nazi : Entre pensée völkisch et phantasme », du doxographe S. François, 2013
S'appuyant, entre autres, sur les travaux de Raoul Girardet, l'essayiste A. de Benoist se livre à une psychologie, pour ne pas dire à un psychologisme, du conspirationnisme. Extrait sur le thème de notre entrée :
« Un autre exemple que l’on peut encore citer concerne précisément le IIIe Reich. Il s'agit de cette littérature foisonnante, inaugurée dans une certaine mesure par Le matin des magiciens (1960), qui tend à représenter le régime hitlérien comme une entreprise manipulée en sous-main par des “supérieurs inconnus”, détenteurs de “pouvoirs magiques” (hérités, le cas échéant, de “maîtres tibétains” !). Cette thèse, sans cesse ressassée sous les variantes les plus diverses, a donné naissance à une multitude d'ouvrages dont les auteurs se recopient les uns les autres sans jamais vérifier leurs sources et relève elle aussi, sans conteste, du délire d'interprétation conspirationniste. On y fait en général grand cas des sectes ariosophiques (*) du début du siècle et des tendances les plus extravagantes de la mouvance völkisch. On y répète, par ex., que Hitler fut “initié” à la Société Thulé (Thule-Gesellschaft) par l'intermédiaire du géopoliticien Karl Haushofer, qui en aurait fait le “centre magique du nazisme”. Des auteurs plus rigoureux, comme Nicholas Goodrick-Clarke, ont fait justice de ces assertions plus sensationnelles les unes que les autres, qui n’ont que l’inconvénient d’être dépourvues de tout fondement. Indépendamment du fait que Hitler fit constamment preuve d’un méprisant dédain pour les illuminés völkisch, on sait aujourd'hui très bien que la Société Thulé fut un groupuscule munichois sans grande audience qui disparut dès 1925, et que Haushofer n'y appartint jamais ni de près ni de loin. Mais ces démentis n'ont évidemment pas suffi à mettre un terme à la spéculation. Comme toutes les théories conspirationnistes, la thèse du “nazisme magique” a probablement encore de beaux jours devant elle. »
Alain de Benoist, extrait de : « Psychologie du conspirationnisme », in : Politica Hermetica n°6, 1992. Repris dans : Critiques - Théoriques, L'Âge d'Homme, 2002.
[addenda d'AdB, 2013] [critique du texte]
* ariosophique (ou aryosophiste, sur le modèle de gymnosophiste) signifie : concernant la connaissance secrète relative aux Aryens.