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Michel Onfray : « Contrairement aux élites, les Français aiment leur passé ».

ENTRETIEN. Vianney d’Alançon est un jeune entrepreneur en spectacles historiques, créateur du parc à thème le Rocher Mistral, en Provence. Nous lui avons proposé de croiser son regard avec celui de Michel Onfray pour parler patrimoine et identité française.

Front populaire : Les journées du patrimoine (18 et 19 septembre) célèbrent cette année le « patrimoine pour tous ». Que vous inspire ce slogan et cette célébration ?

Michel Onfray : C’est une formule de publicitaire et de communicant assez démagogique comme si le patrimoine, après avoir été déclaré matrimoine il y a quelque temps, était une affaire aristocratique, élitiste, réservée à une caste. Si tel est parfois le cas, c’est parce qu’un lieu commun de la « gauche » a opposé les acteurs de l’art contemporain aux vieux barbons défenseurs des vieilles pierres…En augures du politiquement correct, cette « gauche » oppose les progressistes bien sûr situés du bon côté de l’histoire aux passéistes qui campent sur son mauvais côté. Le patrimoine c’est l’histoire, refuser le patrimoine c’est tout bonnement refuser l’histoire, ce qui est la ligne de force de l’idéologie Woke et de la cancel culture.

Vianney d’Alançon : Il est inquiétant de devoir écrire ce type de slogan sur un thème qui semble si évident. Comme si l’État avait besoin de convaincre alors que tous savent le succès des journées du Patrimoine. Tous savent que le patrimoine est dans le quotidien des Français. Du simple four banal à la chapelle romane, du château fort aux édicules Guimard, les Français sont émotionnellement attachés à leurs monuments comme nous l’a rappelé l’incendie de Notre-Dame.

Ce slogan des villes est dans la rupture avec le monde rural pour qui le patrimoine est au quotidien un moteur économique et une immense fierté.

Front populaire : Ces journées connaissent un grand succès auprès des Français, comment l’expliquez selon vous ?

Michel Onfray : Parce que, contrairement aux élites, les Français aiment leur passé, leur histoire de France, leur identité nationale et patrimoniale. Ils aiment leur littérature, leur gastronomie, leurs paysages, leurs monuments, leurs grands hommes, ils aiment l’histoire de France, d’où les succès médiatiques des nouveaux Alain Decaux et André Castelot que sont Stéphane Bern, Franck Ferrand ou Marc Menant qui n’ont jamais eu la prétention de se dire historiens, mais qui sont d’authentiques passeurs de l’Histoire de France qui rencontrent un grand succès.

Vianney d’Alançon : Après des années de repentance et de manipulation de l’histoire de France, il était temps que les Français se réconcilient avec leur patrimoine, la plus belle illustration de notre histoire. Il suffit de passer devant un lavoir pour s’imaginer les lavandières et remonter plusieurs siècles de notre histoire. Il suffit de découvrir la salamandre sur les murs du château de Chambord pour s’intéresser à François Ier et à toute la Renaissance française.

On nous a fait culpabiliser pour des actes que certains ont commis par le passé. On a porté un regard anachronique sur des périodes compliquées. Certains se sont servis de l’Histoire de façon idéologique. Des historiens ont fait de la politique, des politiques ont joué avec l’Histoire. Résultat : les Français ont un sentiment de dépossession.

Le patrimoine c’est le réel qui revient au galop et qui redonne du sens et de l’identité. Les Français sont en quête de sens, de verticalité et de grandeur. Le patrimoine le célèbre et leur donne.

Front populaire : La célébration du patrimoine dépasse-t-elle aujourd’hui le cadre du simple marqueur d’un attachement aux splendeurs du passé ?

Michel Onfray : Oui. Dans une époque d’effondrement de la civilisation, cette célébration témoigne en faveur d’une nostalgie pour cette civilisation qui s’en va comme un vieillard qui s’achemine vers son trépas et pour lequel on ressent une infinie tendresse. Célébrer le patrimoine c’est estimer que le passé de la France n’est ni déshonorant, ni condamnable, ni honteux, ni ignominieux. L’Histoire n’est pas une affaire de bons sentiments, mais de tragique incarné. Quel pays peut afficher une Histoire dans laquelle, avant toute colonisation blanche, il n’y aurait eu aucun sang versé ?

Vianney d’Alançon : Le patrimoine célèbre l’enracinement qui n’est pas seulement un marqueur du passé, mais une source d’énergie pour bâtir l’avenir. Célébrer le passé c’est faire mémoire et transmettre.

Comme témoigne à nouveau la mort de Jean-Paul Belmondo, les Français sont attachés à cette « douce France ». La pensée du maire et du curé, de l’estaminet et du bal musette leur donne une bouffée d’oxygène dans une France où les communautarismes se développent à grande vitesse et où le « vivre ensemble » s’éloigne de plus en plus.

Front populaire : Selon vous, célébrer le patrimoine, c’est une manière de refaire du commun pour les Français ?

Michel Onfray : C’est en effet une façon de lier ce qui s’est délié, ce qu’on délie sans cesse, ce qu’on atomise en permanence. Les « Historiens » qui dénoncent de prétendus « historiens de garde », en prenant modèle sur les « Chiens de garde » dénoncés par Paul Nizan, sont en fait des idéologues qui perpétuent le gauchisme culturel français. Ils travaillent à la créolisation du monde et sont eux-mêmes… les chiens de garde du libéralisme planétaire ! Ils se croient et se disent de gauche, la presse dite de gauche leur déroule en permanence le tapis rouge, ils estiment que quiconque ne bêle pas leur catéchisme est d’extrême-droite, mais, in fine, ils sont bénis par le capitalisme planétaire… Ce sont les idiots utiles de Georges Soros. Le patrimoine est pour eux la preuve d’un passé dont ils ne veulent plus. Le vandalisme fut aussi la grande affaire de la Révolution française. La haine du patrimoine est variation sur ce vandalisme-là.

Vianney d’Alançon : Lorsque j’ai racheté la forteresse de Saint-Vidal en Auvergne et plus tard le château de la Barben où j’ai créé le Rocher Mistral, j’ai très vite compris que ces monuments historiques portaient le cœur de notre mémoire collective.

Dans ces grands projets créés, la sauvegarde du patrimoine est devenue la sauvegarde du lien social. Plus de 1000 bénévoles ont voulu rejoindre ces aventures. Toutes les strates de la société, de l’ouvrier au chef d’entreprise, de l’agriculteur au webmaster, toutes les générations confondues se sont retrouvées pour bâtir à nouveau et fêter l’unité française autour de notre identité.

Front populaire : À vous entendre, célébrer le patrimoine c’est refaire du commun d’une part, mais, au-delà, c’est une manière de participer à un combat culturel et même civilisationnel ?

Michel Onfray : Oui, tout à fait : le patrimoine prouve que ce qui fut n’est pas rien et que ce passé pourrait encore servir de socle à un présent de résistance à cette veulerie généralisée qui célèbre l’inculture, la bêtise, la crasse mentale, pour tout dire : le nihilisme si bien annoncé par Nietzsche.

Voilà pour quelles raisons l’athée que je suis et que je demeure a pris la défense de la messe en latin qui est une liturgie patrimoniale. Le politiquement correct n’a rien à redire sur les rituels du chef tribal Raoni qu’il veut sauver, et il a bien raison, mais il souhaite passer par-dessus bord les rituels de la religion catholique qui se trouve à la base de notre civilisation.

Vianney d’Alançon : Les nouvelles incultures portées par la trilogie « insta » « mac-do » « ikea » est l’exemple même de l’effondrement d’une culture française tournée vers les autres et non vers soi.

Le patrimoine naturel est aussi fort que le patrimoine architectural et on entend moins les lobbys écolos comme France Nature Environnement lutter contre l’hyper consommation… ces lobbys devraient s’enraciner dans l’histoire de l’Europe en réapprenant ce qui se vivait encore et ce qui se disait déjà par des grandes figures telles saint François d’Assise dans son rapport à la nature.

Front populaire : La France doit elle se doter d’un plan pour accélérer, non seulement la préservation de son patrimoine, mais son activation ?

Michel Onfray : Si la France avait encore des projets de grandeur et de grands hommes pour les porter cela se saurait depuis longtemps ! Le dispositif politique maastrichtien est ainsi fait qu’il sélectionne un personnel politique aux ordres qui finit toujours par se trouver aux affaires en France, droite et gauche confondues. Le patrimoine est le cadet des soucis de ces gens-là qui le laissent aux privés.

Or la plupart des fortunes planétaires sont mafieuses et les mafias ne sont pas connues pour entretenir des relations passionnées avec la culture ! Les monarchies pétrolières investissent dans le prestige vulgaire que reconnaissent les milliardaires. Par ailleurs, ces mafieux peuvent acheter un château de la Loire, le démonter pierre par pierre et le remonter à l’identique en périphérie d’une mégapole ou en plein désert… Cette mafia dispose d’un idéal esthétique : c’est celui du kitsch de Disneyland.

Vianney d’Alançon : La République française doit davantage soutenir et faciliter les porteurs de projets qui réhabilitent et sauvent le patrimoine bâti. Il m’est arrivé de rencontrer dans les services de l’état des fonctionnaires pleinement engagés dans la cause du patrimoine, mais j’ai pu mesurer à quel point nos procédures et nos réglementations empêchent la grande majorité des français d’entreprendre, de créer, de bâtir… Le président de la République l’a dit lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris « Je vous le dis ce soir avec force nous sommes ce peuple de bâtisseurs ». Tous descendons des bâtisseurs de cathédrales, tous rêvons d’un avenir de bâtisseurs. Je crois que nous sommes davantage devenus un peuple de formulaires « cerfa » !

Front populaire : Selon vous, cela doit-il devenir un enjeu pour les prochaines élections ?

Michel Onfray : La prochaine élection se fera sur l’immigration, l’insécurité, l’islam politique, pas sur la culture et encore moins sur le patrimoine…

Vianney d’Alançon : Michel a très probablement raison. On ne parlera jamais sérieusement de tous ces thèmes tant que nous n’aurons pas accepté notre Histoire et notre identité. Tant que nous n’aurons pas accepté de nous aimer tels que nous sommes.

Front populaire : Les candidats semblent bien muets sur le sujet…

Michel Onfray : Et pour cause, la plupart sont incultes et partagent cet idéal esthétique proposé par Disneyland !

Vianney d’Alançon : Ils le sont malheureusement. Nous allons réfléchir à comment les faire parler…

Front populaire : Quand on voit la ferveur autour du Puy du fou, de Rocher Mistral et de bien d’autres manifestations populaires d’initiatives locales n’est-ce pas aussi aux acteurs privés de s’investir dans ce combat civilisationnel ?

Michel Onfray : À défaut de soutiens politiques d’État, oui, en effet. C’est le cas et ce le sera de plus en plus. Mais les plus grosses fortunes françaises sont dérisoires par rapport aux fortunes planétaires. Les Saoudiens, la Qataris, les Chinois, les Russes sont déjà les privés qui peuvent investir des sommes considérables en la matière. Et quand l’Émir du Qatar proposera d’acheter le Mont-Saint-Michel qui lui dira non ? Et si ce chef de l’État dit non : en combien de temps le Mont deviendra-t-il une ruine ?

Vianney d’Alançon : Nous, les acteurs privés, devons-nous engager dans des initiatives pour participer à la transmission de notre culture. Partout en France, à moins de 10 km autour de nous se trouve au moins un projet porteur de sens qui lève haut les couleurs de notre histoire et de notre patrimoine.

Je pense souvent au folklore laissé à l’abandon qui est encore vivant dans de nombreuses régions. Je suis également persuadé que de nombreuses familles ou chefs d’entreprise souhaitent entreprendre ou soutenir des initiatives qui valorisent la grandeur de la France.

Front populaire : Vous êtes tous les deux amateurs de politiques concrètes et d’éducation populaire, comment faire avancer la cause de ce combat ?

Michel Onfray : En créant des lieux comme le Puy-du-Fou où l’histoire est enseignée de façon ludique et populaire. En créant aussi des universités populaires où l’on enseignerait à restaurer la spiritualité via une transmission de ce qu’est l’art occidental. C’est pour ma part mon prochain chantier dans mon village natal, à Chambois, dans l’Orne. Je ne sais combien de temps il me reste à vivre, mais ce sera désormais mon grand chantier.

Vianney d’Alançon : Guédelon est un site magnifique ! Les spectacles historiques de Saint Fargeau ou de Castillon-La-Bataille sont des lieux qui éduquent et transmettent !

Les bistrots qui ouvrent encore en France contre la mode des « fast food » ou des « kebabs » sont à soutenir. Il faut redonner de la force à notre patrimoine matériel et immatériel qui fait vivre cette « douce France » et nous donne la fierté d’être français.

C’est mon combat à Saint-Vidal et au parc Rocher Mistral.

Source : https://frontpopulaire.fr/

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