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A-t-on encore le droit d’être Blanc ?

Quelques-uns des militants antifas interpellés par les forces de l’ordre de la ville de Portland (Oregon) lors des émeutes de l’été 2020 dans cette ville.
 

Rien de tel qu’un slogan pour décrire la déchéance symbolique des Blancs outre-Atlantique. Une formule comme « It’s OK to be White » (« Ce n’est pas un problème d’être Blanc ») le montre à sa manière. Elle a été reprise dans les milieux de la droite alternative américaine pour dire la dégringolade du statut des Blancs, soumis au laminoir du « privilège blanc » et du racisme systémique. Face à cette offensive racialiste, amplifiée par la pensée « woke », Éléments se penche dans son dossier de la rentrée sur ce nouveau racisme anti-Blancs.

ÉLÉMENTS : Ce n’est pas la première fois qu’Éléments s’intéresse au privilège blanc. On peut même dire que, depuis la mort de George Floyd, en mai 2020, c’est un sujet récurrent pour notre rédaction. Pourquoi ?

FRANÇOIS BOUSQUET. Parce que chaque jour, ça va plus loin dans le délire. Jarry lui-même dans son Ubu roi n’a pas été si loin ; pas plus que Ionesco dans son phénoménal Rhinocéros. Aucun théâtre de l’absurde ne saurait décrire ce que nous vivons. Si on nous avait dit il y a dix ans que le privilège blanc serait sur toutes les bouches, on aurait haussé les épaules. Et pourtant ! C’était inscrit dans l’agenda de la gauche américaine depuis la lutte pour les droits civiques. C’est la thèse exposée par Christopher Caldwell dans son dernier livre, The Age of Entitlement : America Since the SixtiesNous l’avions d’ailleurs interrogé dans notre numéro de juin-juillet 2020 (n° 184). Cette thèse mérite qu’on s’y arrête. Pour Caldwell, le grand événement qui a secoué les États-Unis dans les années 1960, presque au sens psychiatrique du terme, c’est l’assassinat de Kennedy (il le compare à l’assassinat de Sarajevo en 1914 pour les Européens). Dans la foulée de ce traumatisme national, le successeur de Kennedy, Lyndon Johnson, va lancer deux guerres : contre le communisme au Vietnam et contre la ségrégation raciale. C’est la seconde qui nous intéresse ici. Elle s’est traduite par l’adoption de la loi sur les droits civiques, en 1964. Cette loi ne carbure pas seulement au fétichisme victimaire, mais plus encore à la surenchère punitive, hier sous la forme du politiquement correct, aujourd’hui sous celle du wokisme, qui doit redresser le bois tordu de l’humanité. Cette discrimination inscrite dans la loi, c’est comme les vases communicants. À ceci près que, jusqu’à présent, les progressistes ne s’intéressaient qu’au vase qui se remplissait. Le wokisme innove sur un point : il s’intéresse au vase qui se vide (pas assez vite selon lui). Si donc, comme le postule la théorie du privilège blanc, les Blancs disposent d’un avantage compétitif, c’est que tout, dans nos sociétés, a été abusivement conçu par eux et pour eux (un peu comme pour les droitiers). Il revient donc aux « woke » de corriger cette distorsion : d’un, en avantageant les gens de couleur (la discrimination positive) ; deux, en désavantageant les Blancs (le wokisme, la cancel culture, etc).

ÉLÉMENTS : En amont du droit, quelles sont les racines idéologiques qui sous-tendent le privilège blanc ?

FRANÇOIS BOUSQUET. Le privilège blanc emprunte ses mots d’ordre, sa rhétorique et son idéologie, à tout le spectre gauchiste, depuis les marxistes américains, pionniers en ces matières, jusqu’aux « liberals » obsédés depuis toujours par le sort des minorités, en passant par la bouillie de la déconstruction et les décoctions de la théorie critique de la race. Le livre le plus complet sur le sujet est celui de Georges Guiscard, Le privilège blanc. Qui veut faire la peau des Européens ? que la Nouvelle Librairie vient d’éditer avec l’Institut Iliade. Il dessine la généalogie d’un délire, presque la génétique. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Guiscard pointe également la dimension religieuse sous-jacente au wokisme, soulignée par d’éminents auteurs états-uniens, entre autres Joseph Bottum, qui parle d’un protestantisme sans la foi. Car nous sommes ici au cœur de la doctrine calviniste de la double prédestination, avec ses élus (les « woke ») et ses damnés (les Blancs). Les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers. Rien de nouveau sous le soleil de ce point de vue. On est là au cœur de l’inversion des valeurs dont Nietzsche a établi le panorama le plus abouti dans sa Généalogie de la morale.

ÉLÉMENTS : Vous évoquez Nietzsche. Comment ne pas songer au ressentiment, l’un des grands motifs nietzschéens ?

FRANÇOIS BOUSQUET. Le ressentiment est au cœur de ces politiques de « réparation ». Si on les étudiait cliniquement, à la lumière de Nietzsche, ça serait dévastateur : morale d’esclave, désir de vengeance, revanche de la médiocrité… Étonnamment, la société américaine ressemble de plus en plus au Joker (2019), film fabuleux où Joaquin Phoenix livre une performance exceptionnelle, quasiment une chorégraphie tellement il vole et survole sous son masque grimaçant du Joker. On ne peut cependant s’empêcher de déchiffrer dans ce film ce qui se secoue l’Amérique depuis une dizaine d’années : un pays à la dérive, livré depuis 2013-2014 aux nuits d’émeute et aux scènes de chaos récurrentes, enfermé dans les démons du ressentiment et de l’enlaidissement, piégé dans son équation raciale sans solution, traversé par une colère diffuse, têtue, totale, mais intransitive, puisqu’elle ne parvient pas à se fixer sur un objet politique positif (comme le populisme par exemple, n’en déplaise à ses détracteurs). Le wokisme a transformé l’Amérique en cour des Miracles, comme dans les freak shows qui ont fait la fortune de Barnum au XIXe siècle. L’Amérique ressemble aujourd’hui à un immense freak show, un défilé de monstres de foire. Partout la laideur, physique et spirituelle ; partout la tératologie, science des monstres, comme avec l’avènement de la société trans (le trans, c’est la femme à barbe d’aujourd’hui). Il suffit de voir la photo trombinoscopique de militants antifas interpellés par les forces de l’ordre de la ville de Portland, dans l’Oregon, qu’on publie dans notre dossier. Ils sont tous plus affreux, sales et méchants que les gangs « paki », vraiment pas beaux, de violeurs en Grande-Bretagne. Impossible d’échapper à l’accusation de délit de faciès.

ÉLÉMENTS : Être Blanc n’est plus cool, dites-vous, en tête de l’un de vos papiers, où vous dressez un inventaire de 26 privilèges blancs, qui font pendant aux 26 privilèges blancs recensés par Peggy McIntosh…

FRANÇOIS BOUSQUET. Qu’est-ce qui confère un statut dans les sociétés infantiles, lacrymales, hypersensibles, traumatiques et post-traumatiques, qui sont les nôtres ? La figure de la victime. Avec la notion d’intersectionnalité (qui désigne des personnes subissant simultanément plusieurs formes de discrimination, par exemple une Noire lesbienne handicapée, quatre fois discriminée, comme Noire, comme femme, comme lesbienne, comme handicapée), vous voilà mis au pinacle de ce Panthéon renversé qu’est devenue l’Amérique. C’est ce statut de victime, et lui seul, qui confère aujourd’hui des privilèges – et pas ceux qu’on désigne sous le vocable de privilège blanc, lesquels ne sont plus désormais que des stigmates. C’est la raison pour laquelle le concept de privilège blanc fonctionne comme une antiphrase orwellienne (le mal, c’est le bien ; les privilèges, ce sont des stigmates et des servitudes). Quand Peggy McIntosh, militant féministe et patricienne américaine, a comptabilisé 26 privilèges blancs, elle n’a en réalité fait qu’additionner des privilèges de classe qui tiennent à son immense fortune personnelle. Un électeur de Trump qui appartient à la working class blanche n’en a jamais vu la couleur. Or, c’est sur une pareille falsification que la notion de privilège blanc s’est construite. Elle occulte totalement le nouveau rapport de force ethnique. S’il y a désormais des privilèges raciaux symboliques, ce sont des privilèges noirs. J’en ai dénombré 26 pour rendre la pareille à Peggy McIntosh, mais il y en a en vérité des dizaines. Chaque jour en apporte de nouveaux.

ÉLÉMENTS : Quels liens troubles le privilège blanc entretient-il avec le féminisme ?

FRANÇOIS BOUSQUET. Le grand romancier noir américain Chester Himes,  disait que le couple qui dominait l’inconscient américain, c’est le sexe de l’homme noir et la névrose de la femme blanche. Chat noir et chatte blanche. Avec la notion de privilège blanc, qui a trouvé son expression la plus achevée sous la plume de Peggy McIntosh, on a pu mesurer les dégâts occasionnés par ce binôme infernal. Ce privilège à déboulonner, comme les statues de généraux sudistes, c’est d’abord celui du mâle blanc, qu’on va, toutes affaires cessantes, émasculer – symboliquement, sémantiquement et juridiquement. Si la société trans, qui s’esquisse outre-Atlantique, doit voir le jour, elle doit au préalable déconstruire tous les montages normatifs, tous les appareillages symboliques, toutes les architectures invisibles qui fondent nos sociétés depuis au moins Rome, en particulier la loi instituante du Père. Dans cette perspective, le meurtre du Père passe par l’abolition de l’homme blanc. Vaste programme !

© Photo d’ouverture : Quelques-uns des militants antifas interpellés par les forces de l’ordre de la ville de Portland (Oregon) lors des émeutes de l’été 2020 dans cette ville. Source : Multnomah County Sheriff’s Office (Portland).

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