Quoique engagé par ailleurs, j’adore me pencher sur l’analyse de débats et de complicités qui ne me regardent pas directement.
Je commence ce billet après avoir écouté Eric Zemmour (EZ) qui, dans Le Grand Jury, a littéralement mis KO debout Benjamin Sportouch et Adrien Gindre, Guillaume Roquette ayant été réduit à une portion congrue. Les deux premiers, en effet, ont été saisis par une stupéfaction qu’un reste d’objectivité ne rendait pas aussi indignée qu’ils l’auraient souhaité.
Il est vrai que EZ a fait fort, renvoyant par exemple Marine Le Pen et son programme à une aimable bluette, en poussant notamment jusqu’à des limites extrêmes la préférence nationale, induisant selon lui une distinction radicale entre Français et étrangers. Il a également confirmé, reprenant un point de vue déjà exprimé, que le mouvement #MeToo n’était pas “émancipateur mais éradicateur” et avait plus relevé de la “délation” que de la dénonciation légitime. On imagine comme avec de telles pensées provocatrices et totalement assumées, il a secoué le ronron de cette émission dominicale que je ne manquerais pour rien au monde.
Elle ne m’a pas éloigné de mon thème initial qui visait à attirer l’attention sur le lien fort entre EZ et Michel Onfray (MO). On sait depuis longtemps, au fil de leurs débats, de leurs rencontres et du point de vue qu’ils expriment l’un sur l’autre, qu’ils sont de plus en plus proches pour ce qui concerne le constat sur la France, sur l’immigration et la réalité dramatique d’un vivre-ensemble dévasté.
Ce qui est nouveau et ne devrait pas étonner les esprits lucides et de bonne foi est l’affirmation récente de MO sur CNews selon laquelle il pourrait voter pour EZ, à condition qu’il “muscle son bras gauche” concernant la question sociale (Le Point).
Il me semble que cette éventualité qui constituerait tout de même un choc dans le monde médiatico-politique, apporterait à EZ une crédibilité d’importance largement aussi décisive que, à rebours, les attaques programmées des politiques contre lui.
Il est piquant que cette relation entre EZ et MO résulte d’un double mouvement contradictoire qui se rapporte au terreau intellectuel et politique de ces deux personnalités et à leur évolution.
D’une certaine manière, EZ, déçu par la droite classique et l’extrême droite de Marine Le Pen, n’a pas eu, selon lui, d’autre choix que de proposer aux Français, à partir d’une vision extrême du réel, un programme en tirant les enseignements, aussi abruptes ou choquantes qu’en soient les conclusions.
C’est parce que MO croit à une gauche humaniste et sociale et que la gauche d’aujourd’hui a trahi celle-ci qu’il se retrouve accordé avec EZ et a la tentation de lui apporter sa voix.
Reste que j’imagine mal MO valider un renforcement social d’EZ si ce dernier demeure dans la conception intégriste et implacable qu’il a développée le 24 octobre, par exemple, sur la préférence nationale.
MO n’a pas peur de la vérité, ni des idées et des mots même les plus décapants, mais il y a chez EZ – qui ne ressemble à personne d’autre qu’à lui-même – une sorte d’audace suicidaire à faire advenir dans l’espace public et médiatique ce qu’on n’a jamais entendu, ce qu’on n’a jamais osé dire et dont il espère que cela fera de lui le porte-voix d’une majorité de citoyens. Ceux qui, selon lui, approuvent largement ses thèmes dominants.
Pour que la droite traditionnelle s’immisce victorieusement dans ce langage qui rend caduques les scrupules et les précautions d’avant, il conviendra qu’à partir de l’acceptation sans doute du même constat, LR maîtrise la politique comme “l’art de rendre nécessaire ce qui est possible” selon la belle formule du Cardinal de Richelieu.
MO doit encore hésiter.
Philippe Bilger
Tribune reprise de Philippebilger.com