Dominique Venner, Le cœur rebelle, Belles Lettres, 1994. [rééd. G. de Roux, 2014]
Par celui qui fut, entre autres, le fondateur d’Europe-Action et qui dirige actuellement l’excellente revue Enquête sur l’Histoire. Il s’agit des carnets d’un ancien activiste faisant preuve d’autant de courage que de lucidité : « Notre nationalisme, terme impropre encore une fois, était beaucoup plus qu’une doctrine de la nation ou de la préférence nationale. Il se voulait une vision du monde, une vision de l’homme européen moderne.
Il se démarquait complètement du jacobinisme de l’État-nation. Il était ouvert sur l’Europe perçue comme une communauté de peuples. Il voulait s’enraciner dans les petites patries constitutives d’une "Europe aux cent drapeaux", pour reprendre l’expression de Yann Fouéré. Nous ne rêvions pas seulement d’une Europe de la jeunesse et des peuples, dont la préfiguration poétique était la chevalerie arthurienne. Nous imaginions cette Europe charpentée autour du noyau de l’ancien empire franc, un espace spirituel, politique et économique suffisamment assuré de soi pour ne rien craindre de l’extérieur ».
« Nous étions nécessairement conduits à une réflexion sur les sources de l’identité européenne. Celle-ci était-elle réductible au christianisme ? L’Église (ou les églises) avai(en)t apporté la réponse. Pendant la guerre d’Algérie, à la fin surtout, dans la période cruciale, elle avait choisi son camp, soutenant le plus souvent nos ennemis sans avoir l’air d’y toucher, distillant sournoisement la gangrène du doute et de la culpabilité. Par réaction, nous aspirions à une religion nationale et européenne qui fût l’âme du peuple et non son fourbe démolisseur. L’Église jouait de l’ambiguïté. Aux traditionalistes, elle faisait valoir son empreinte profonde sur l’histoire et la culture européennes. Aux autres, elle rappelait qu’étant universelle, étant la religion de tous les hommes et de chaque homme, elle ne pouvait être la religion spécifique des Européens ».
Cette longue citation est révélatrice tant du fond (Venner vise juste) que du ton de son livre : lucide, implacable, libre. Ses carnets sont donc à lire et à faire lire en tant que petit manuel du "Jeune Européen" d’aujourd’hui.
Patrick Canavan, Nouvelles de Synergies Européennes n°5, 1994.
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« Demain comme hier, si de nouvelles tables de valeurs doivent être instituées, elles ne le seront pas par des mots, mais avec des actes, par un engagement de l’être même. La vérité du monde ne réside pas dans son “essence” mais dans le travail, la création, la lutte, l’enfantement, dans ces actes dont nous avons oublié qu’ils sont religieux. La seule vérité est de se tenir debout quoi qu’il arrive, de faire face à l’absurdité du monde pour lui donner une forme et un sens, de travailler et de se battre si l’on est un homme, d’aimer si l’on est une femme.
Pendant des années j’avais été constamment placé devant l’obligation de savoir si la fin justifiait les moyens. Il vint un jour où je compris que ma finalité serait aussi ce que mes actes en auraient fait. Raisonnant ainsi, je renonçais nécessairement à la politique. Elle soumet les moyens à des fins qui n’ont pas nécessairement l’excuse d’être désintéressées. J’éprouvais la crainte aussi de verser dans l’habitude et la médiocrité. Il était temps de marcher à mon pas, ce qui comportait d’autres risques. J’ai rompu avec l’agitation du monde par nécessité intérieure, par besoin de préserver ma liberté, par crainte d’altérer ce que je possédais en propre. Mais, il existe plus de traverses qu’on ne l’imagine entre l’action et la contemplation. Tout homme qui entreprend de se donner une forme intérieure suivant sa propre norme est un créateur de monde, un veilleur solitaire posté aux frontières de l’espérance et du temps. »