La Roumanie avait besoin d’être reprise en main, c’est fait depuis hier. Le président Klaus Iohannis a nommé à la tête du nouveau gouvernement le général Nicolae Ciuca, ancien chef d’état-major de l’armée et ancien ministre de la défense. Un homme fort… respecté de tous qui promet de mettre de l’ordre dans un pays à la dérive et ravagé par la pandémie de Covid-19.
Le profil militaire de cet homme de terrain, entré récemment en politique, est de nature à rassurer une grande partie de la population en Roumanie, où l’armée est l’une des institutions les plus respectées. Mais, comme vous vous en doutez, sa nomination ne fait pas l’unanimité dans les rangs politiques. Membre du Parti national libéral (PNL), ministre de la défense depuis 2019, il a obtenu ses galons sur les grands théâtres de guerre de ces vingt dernières années. Surnommé « le Général du désert », il a dirigé le bataillon des « Scorpions rouges » qui accompagnait l’armée américaine lors des opérations « Enduring Freedom » en Afghanistan en 2002-2003. Coqueluche de l’US Army, il s’est aussi fait remarquer en 2004 lors de la bataille de Nassiriya, en Irak.
Il aura pour mission d’apaiser la crise politique qui s’est greffée sur une crise sanitaire virulente. « Nous avons travaillé pour créer une coalition solide et un gouvernement capable d’assurer la stabilité de la Roumanie, a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse après sa nomination. Les Roumains attendent des solutions pour lutter contre la pandémie et la crise énergétique. Nous devons aussi mettre en œuvre le plan de relance européen. » La Commission européenne a promis à la Roumanie une aide d’un montant de 29 milliards d’euros. Mais faute d’un gouvernement soutenu par le Parlement, le pactole européen ne pouvait pas lui être accordé.
Les Roumains sont exaspérés par la crise politique qui a divisé le Parti national libéral, dont le gouvernement est tombé le 5 octobre à la suite d’une motion de censure déposée par l’opposition sociale-démocrate. Les querelles internes entre l’ancien président du parti, Ludovic Orban, et le Premier ministre sortant, Florin Citu, ont fracturé la droite. Son alliée, l’Union pour sauver la Roumanie (USR), dirigée par l’ancien chef du groupe Renew au Parlement européen, Dacian Ciolos, a abandonné l’alliance avec les libéraux et contribué à la chute du gouvernement.
Ces manœuvres politiques ont profité au Parti social-démocrate (PSD), dans l’opposition, qui a fini par s’associer avec l’aile libérale dissidente, dirigée par M. Citu, pour former une nouvelle coalition. Le 25 novembre, le futur gouvernement issu de ce mariage de circonstance entre d’anciens adversaires sera soumis au vote du Parlement, où il dispose d’une majorité confortable de 65 % des sièges. « J’ai constaté qu’une majorité solide a été créée au Parlement, a déclaré le président libéral Klaus Iohannis, lundi. Cette majorité a proposé un premier ministre que j’ai accepté. »
M. Ciuca a déjà été premier ministre par intérim en décembre 2020. A ce poste qu’il n’avait occupé que deux semaines, il avait su faire preuve d’autorité ; il promet cette fois de diriger le pays d’une main de fer. Mais le choix d’un militaire à la tête du gouvernement ne convainc pas l’ensemble des responsables politiques, habitués aux petites magouilles. « Le président Iohannis a abandonné son rôle de médiateur sur la scène politique et parrainé cette coalition monstrueuse, a d’ailleurs réagi Dacian Ciolos. Nous sommes en opposition avec ce gouvernement anti-réformateur, et nous allons tout faire pour nous assurer que les milliards d’euros du plan de relance seront dépensés au bénéfice des Roumains. » Sa nomination inquiète surtout l’opposition européiste réunie autour de l’USR. « La solution militaire n’est pas une solution pour la Roumanie, a déclaré Vlad Voiculescu, son vice-président. C’est une solution pour un président qui ne supporte pas d’être contredit et pour un groupe d’individus qui veulent contrôler les ressources. »
Les sociaux-démocrates, eux, ont promis des hausses de salaires et des retraites, afin de renforcer leur capital électoral avant les élections législatives prévues en 2024. « La Roumanie a besoin d’être stabilisée et notre présence dans le gouvernement est la garantie d’une augmentation des revenus », a assuré Marcel Ciolacu, le chef de file des sociaux-démocrates.
Le nouveau premier ministre est aussi attendu sur le front sanitaire. En octobre, la pandémie a particulièrement frappé la Roumanie, qui recensait 19 000 cas et 400 décès par jour. Selon les statistiques officielles, le pays compte un million et demi d’individus contaminés, et la crise est loin d’être terminée. Les 1 800 lits réservés aux urgences dont dispose la Roumanie sont occupés, les halls de certains hôpitaux ressemblent à des champs de bataille. Les milieux médicaux redoutent désormais l’apparition d’un nouveau variant du Covid-19. Mais le faible taux de vaccination explique sans doute cela… « Nous devons tout faire pour prévenir cette menace », a déclaré le médecin militaire Valeriu Gheorghita, le coordinateur de la campagne de vaccination. Sur ce terrain, la mission de l’ancien général ne sera pas des plus faciles dans un pays où seulement 37 % des 19 millions d’habitants sont vaccinés. Mais il compte sur le soutien du Parlement et de la présidence. Comme il peut compter aussi sur le soutien de la famille royale, très présente et très active dans le pays (https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2018/08/12/vivement-le-retour-de-la-monarchie-en-roumanie/ et aussi https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2021/10/17/en-roumanie-ceremonies-royales-exeptionnelles-dans-la-salle-du-trone-pour-le-centenaire-de-la-naissance-du-roi-michel-i-de-roumanie/).
Un peu d’ordre dans ce pays ne nuira à personne.
Le 24 novembre 2021. Pour le CER, Jean-Yves Pons, CJA.