Procès des attentats du 13 novembre ou tribune ? Salah Abdeslam profite des audiences pour poursuivre son combat contre la France, au grand dam des victimes. C’est pourtant la vérité du djihadisme qui émerge ainsi du prétoire.
« Terroristes, djihadistes, radicalisés... Tous ces termes créent de la confusion, il ne s'agit que de l’islam authentique. Ces terroristes, ces radicaux, ce sont des musulmans ». lance Salah Abdeslam à la Cour. Après une semaine de procès, la parole du seul survivant des équipes de tueurs de l’attentat du 13 novembre 2015 pèse lourd. On aurait tort de ne pas écouter les totalitaires, ils annoncent toujours la couleur. La leçon du nazisme, dont les horreurs sont contenues dans Mein Kampf, n'a pas été plus retenue pour les crimes du communisme que pour ceux de l’islamisme. Le procès des attentats du 13 novembre permettra-t-il enfin de prendre conscience de la nature du danger qui a déjà tant frappé la France ?
Certes, il a été déjà reproché à la plus grande audience criminelle jamais organisée en France de servir de tribune à Salah Abdeslam. L'attentat a tué 130 personnes, blessé 413 autres, le djihadiste est la star des 20 accusés, dont six par défaut. De fait, depuis qu’il a lancé la profession de foi islamique à l’ouverture du procès le 8 septembre dernier, il est clair qu'Abdeslam qui s’était distingué par son mutisme depuis son arrestation il y a six ans - a décidé de changer de tactique. « Il n'y a point de divinité avant Allah et Mohammed est son messager » : le djihadiste oppose d'emblée la justice divine à celle des hommes et ne craint pas de faire l’amalgame entre islamistes et musulmans « modérés » pour les entrainer dans son combat.
« J’ai délaissé ma profession pour devenir un combattant de l’État islamique », répond-il à Jean-Louis Periès, président de la cour d'assises spéciale, qui lui demande son métier.
« Ces terroristes, mes frères »
« Ça fait six ans que je suis traité comme un chien » clame t-il encore. Des mots qui doivent peu au hasard. Un djihadiste traité comme un chien, animal impur en terre d’islam, cela devrait indigner tous les « bons » musulmans, voire suscité des vocations. Car si l’État islamique a perdu de sa superbe, le « djihadisme d’atmosphère », comme le politologue Gilles Kepel nomme radicalisme qui sévit dans les banlieues, est plus virulent que la menace du terrorisme islamiste - qu'il soit low cost façon attaque au couteau ou plus élaboré - est donc plus que jamais présente et les neuf mois de procès vont fournir à Salah Abdeslam maintes occasions de souffler encore sur les braises. Des djihadistes passés ou futurs dont il est proche : « Ces terroristes, ce sont mes frères », lance-t-il à l'audience du 20 septembre. Pas étonnant donc que Ie palais de justice soit transformé en forteresse. On aimerait pouvoir en dire autant de l’ensemble du territoire français, sur lequel la police semble déployer plus de zèle à chasser les resquilleurs au passe « sanitaire » qu’à poursuivre les islamistes.
Pour autant, couper le micro au convoyeur des terroristes (il a déposé les kamikazes devant le Stade de France et a loué la voiture qui a transporté les massacreurs du Bataclan) serait une erreur.
D'abord parce que les victimes en ont besoin pour tenter de comprendre la folie meurtrière dans laquelle elles ont été plongées; plus largement, parce que ses premières déclarations, en attendant son audition prévue en janvier 2022, mettent en lumière la substance du djihadisme. II s'agit moins de « provocations », comme l’affirment certains journalistes, que d’une plongée dans l’esprit et le combat par le verbe d'un djihadiste.
À ceux qui bêlent « Padamalgam », Abdeslam répond donc que ses compagnons et lui-même sont des représentants de « l’islam authentique. Ces terroristes, ces radicaux, ce sont des musulmans ». Si bien sûr tous les fidèles ne suivent pas la voie des « pieux ancêtres » (al-Salaf al-Sälih), tous les salafistes et les djihadistes se réclament du même Coran que les « modérés », qu'ils estiment appliquer plus fidèlement que les autres. Et ils invitent de gré ou de force les masses musulmanes à leur emboiter le pas. Une pression continue qui commence par des revendications communautaristes (halal dans les cantines, voile dans la rue...) et qui s’achève par le recrutement de « martyrs » pour aller répandre l’islam par le fer et le feu, au Levant ou sur les terrasses des cafés parisiens.
Le front de la « guerre sainte » est en effet planétaire dans l’esprit des djihadistes. Là encore, la vedette du procès est très claire. Le 15 septembre, il justifiait les attentats par l’intervention française en Syrie et en Irak. « Les bombes qui visent l’État islamique ne font pas de distinction entre les hommes, les femmes et les enfants. On a voulu que la France subisse la même douleur que celle que nous subissons ».
Dialogue à la Kalachnikov
Œil pour œil en somme, mais que les victimes se rassurent, « on a combattu la France, on a visé la France, on a attaqué des civils, mais on n’a rien de personnel contre ces gens-là ». Dineurs attablés ou spectateurs d'un concert, de simples dégâts collatéraux, en somme ? Dans l’esprit d’Abdeslam, ils seraient plutôt des pions dans un jeu d'échecs macabre et leur meurtre un simple moyen d'atteindre son objectif. Une déshumanisation de ses victimes qui transparait dans son attitude vis-a-vis d'elles. Il a ainsi choqué au premier jour des audiences, alors que le président examinait la recevabilité en tant que partie civile de certaines victimes, en demandant si « les victimes en Syrie pourront avoir la parole ».
Plus révélatrice encore, son attitude au neuvième jour du procès. Une journée consacrée à exposer le détail du massacre au restaurant La Belle Equipe, 21 personnes tuées, des corps enchevêtrés, criblés de balles, 128 coups de feu tirés au cri de « Allahou akbar ». Deux séquences, l’une filmée par un voisin, l’ autre par une caméra de vidéosurveillance, saisissent l’audience par leur violence. Pas Salah Abdeslam, qui les commente : « Je voudrais dire que si on les sort de leur contexte, je suis le premier à les désapprouver. Mais si on les met dans leur contexte, je ne peux les condamner ». Au-delà de sa justification politique immédiate, le djihadiste signifie à la Cour que le massacre d'infidèles est licite à ses yeux, comme le prescrivent les quelque 400 versets du coran belliqueux appelant à tuer les ennemis de la foi et les 129 versets consacrés à la guerre et au djihad.
Dans ce contexte, l’échange qui suit entre le président du tribunal et le principal prévenu devient surréaliste : « On peut se faire la guerre, s'entretuer, se détester, mais la porte du dialogue doit toujours rester ouverte », affirme le terroriste. « Tirer avec des Kalachnikovs sur des civils sur des terrasses de restaurant, ce n'est pas comme cela que l’on dialogue », lui répond Jean-Louis Périès. « Le 13 novembre était inévitable. Mais vous pouvez éviter de nouveaux 13 novembre et c'est pour cela que je parle de dialogue », rétorque l’accusé.
Le dialogue en question étant probablement celui de la soumission obtenue par la force du verbe, des Kalachnikovs et des couteaux. Pas sûr dans ces conditions que le procès tienne ses promesses.
Richard Dalleau Monde&Vie 8 octobre 2021 n° 1003