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L’Occident devient une civilisation de la démission

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Xavier Patier

Sauve qui peut ! Le suicide, le retrait, la démission : la fin violente ou soudaine des aventures humaines est en train de devenir une norme en Occident. La lente promotion de l’euthanasie, l’essor des lynchages médiatiques ou judiciaires, la déconstruction constante de la « valeur travail » après les lois Aubry, et enfin le culte du « lâcher prise », ressassé dans nos magazines deviennent chaque jour davantage un marqueur de la nouvelle civilisation en train de naître sous nos yeux.

La même semaine, deux chanceliers autrichiens, Schallenberg et Kurtz, l’archevêque de Paris et un ministre clé du gouvernement libanais ont annoncé leur démission, toujours immédiatement acceptée. Peu de jours après, Guy Forget, héros de notre tennis national, à son tour a jeté l’éponge : il quitte brusquement la direction de Roland-Garros au motif que son nom figure dans une affaire qui n’a pourtant donné lieu jusqu’ici à aucune poursuite pénale.

La démission est en passe de devenir l’aboutissement inévitable de toute carrière publique, fût-elle sportive ou religieuse : elle est le dernier recours dans lequel la liberté individuelle des responsables accablés trouve à se défendre contre l’ordre moral et le regard des autres. Et je ne parle pas de Nicolas Hulot, qui a annoncé en direct, la même semaine encore, qu’il renonçait à faire front et se retirait de la vie publique : écrasé d’accusations, déshonoré à bon ou mauvais droit, il n’avait d’autre idée que d’abdiquer son statut pour se retirer loin des hommes.

Mais l’œil est loin des hommes et regarde Caïn ! L’ogre médiatique n’est jamais rassasié. La démission est une fuite vers un paradis qui n’existe pas. François Hollande le sait, qui en ne se représentant pas à l’élection présidentielle, en 2017, croyait se retirer en paix, et n’en finit pas de nourrir son deuil de tourments aigres-doux.

Autrefois, chacun croyait qu’une part de sa vie ne dépendait pas de lui : Dieu décidait de ces choses trop graves pour un homme. Le chef ne faisait pas tout ce qu’il voulait : il servait. Il y a dans « le roi n’est pas malade. Il meurt, c’est tout », attribué à Louis XIV au moment de ses derniers instants, durant l’été 1715, cette idée que Dieu seul peut signifier à l’homme qui porte la charge de ses frères le moment où il pourra enfin poser à terre le joug qui l’accable. Georges Pompidou, malade, souffrant comme un damné, tenait son Conseil des ministres déguisé en homme bien portant. Il ne lâcha jamais. Jean-Paul II moribond continua à supporter son fardeau de pape, lui qui avait été si fier de son corps d’athlète, car il croyait, en vicaire du Christ, qu’il avait le devoir d’apporter un ultime témoignage. Son successeur, Benoît XVI,  a annoncé sa renonciation quelques années plus tard, en 2013. Ce fut un coup de tonnerre : première démission d’un pape depuis le Moyen Âge, saluée par les « modernes » comme une preuve de progrès. Le pape donna son explication : il n’avait « plus l’énergie nécessaire ». Un ambassadeur auprès du Saint-Siège a traduit : « Il a été assassiné. »

Il y avait aussi naguère, vieille lune, la présomption d’innocence. On ne démissionnait pas pour une rumeur. Tout cet ordre est inversé : désormais on démissionne d’abord, on examine le dossier ensuite. Bientôt la justice ne fera qu’acquitter des morts.

La vague submerge tout. Ne nous étonnons pas que tant de jeunes actifs décident sans motif sérieux de démissionner de leur travail. On leur a mis sous les yeux une civilisation de la démission, version à peine atténuée de la culture de mort. La « grande démission », qui frappe les jeunes actifs américains, commence à se manifester en France. Elle en est à son début. Des entreprises voient de jeunes cadres parfaitement intégrés frappés d’un mal mystérieux : ils s’en vont. Ils expliquent qu’ils veulent « vivre » plutôt que « faire ». Ils ne critiquent pas le système, ils ne prônent pas un monde alternatif sur le mode hippie, ils ne sont nullement révoltés : ils prennent congé.

Cette épidémie de démissions annonce, si elle prospère, la déconstruction de la civilisation elle-même.

* Xavier Patier a publié plus de 25 romans, nouvelles et essais, tels « Bientôt nous ne serons plus rien » (La Table ronde, 1994), prix Jacques-Chardonne, et « Le Silence des termites » (La Table ronde, 2008), prix Roger-Nimier.

Source : Le Figaro 20/12/2021

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