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Jakob Burckhardt : un regard sur l'histoire mondiale

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Historien suisse d'expression allemande, Jacob Burckhardt est né en 1818 à Bâle (Suisse). Fils d'un pasteur calviniste, il se destine à la théologie, avant d'entamer des études historiques à Berlin, en 1839. Il y subit l'influence de Leopold von Ranke (1795-1886), qui tente de mettre l'histoire au service du nationalisme prussien : sa première étude, consacrée en 1840 à Charles Martel, se ressent de cette philosophie de l'histoire. À partir de 1848, il cherche à concilier histoire politique et histoire de l'art. Des voyages en Italie (qui lui inspireront la rédaction d'un guide touristique, le Cicerone, en 1855) et son expérience de l'enseignement de l'histoire de l'art à Bâle à partir de 1858 — il est l'un des premiers à utiliser des documents photographiques — le décident à se consacrer à l'histoire italienne. La Civilisation de la Renaissance en Italie, publié en 1860, lui vaut une célébrité immédiate. La parution de ses notes de cours sur la civilisation grecque en 1898, l'année de sa mort, impressionna et influença grandement Nietzsche.

Réflexions sur son œuvre à l'occasion du 100ème anniversaire de sa mort

La grandeur est un besoin des époques terribles », J. Burckhardt, ci-dessus vers 1845]

« Pourquoi ne pas fuir dans des circonstances plus simples et plus belles, si on en trouve encore quelque part ? Pour ma part, je suis bien décidé de jouir à ma façon de la vie, avant que ne viennent les mauvais jours » : ce sont là les paroles d'un jeune homme qui, pendant toute son existence, a émis le souhait de consacré sa vie à l'art et à la science.

Jakob Burckhardt, né le 25 mai 1818, était issu d'une vieille famille patricienne, bien en vue, de Bâle. En tant que fils de pasteur, il a pu très tôt jouir d'une éducation en sciences humaines, qui l'a conduit, comme le souhaitait expressément son père, à étudier successivement la théologie, puis l'histoire, la philologie et l'art. Après sa “promotion” et son “habilitation” en 1844, il enseigne brièvement à l'université de Zurich, puis revient à Bâle, sa ville natale, où il enseignera jusqu'à un âge très avancé l'histoire de l'art et l'histoire.

Burckhardt, un homme pour qui le regard est l'essentiel, qui aimait les voyages passionnément, a vite développé son amour de l'art antique et de l'art de la Renaissance italienne. Ses grands talents de dessinateur l'ont aidé à fixé ses impressions en images. Ce qu'il voyait était travaillé par son regard, qui produisait plus qu'il ne réfléchissait, car, outre le génie du dessin, Burckhardt possédait aussi celui de la poésie. Pendant longtemps, il a hésité, ne sachant pas s'il allait devenir historien ou écrivain. Finalement, il est devenu les deux. Cette combinaison a permis l'émergence de ses œuvres les plus célèbres, qui gardent encore aujourd'hui toute leur pertinence : par ex. Cicerone, sorte de guide de voyage, portant comme sous-titre « Invitation à jouir des œuvres d'art italiennes » ; ensuite Kultur der Renaissance in Italien, ou encore, Griechische Kulturgeschichte, paru après sa mort. Dans ce dernier ouvrage, Burckhardt présente une vision de la polis grecque, personnelle mais intéressante. Il y insiste aussi sur le pessimisme grec, dont il fait le noyau essentiel de la culture hellénique. Ses Weltgeschichtliche Betrachtungen (Considérations sur l'histoire universelle) procèdent de plusieurs cours donnés à l'université, et jettent les bases de sa théorie de l'histoire de la culture : celle-ci repose sur une vision de l'homme au comportement constant, « patient, porté sur l'effort et actif », car cet homme est l'élément porteur des « grandes forces de l'histoire », c'est-à-dire la culture, l'État et la religion. En tant que constantes de l'histoire, celles-ci forment l'essence de toute forme d'histoire.

Burckhardt souffrait du déclin de l'idéalisme allemand et se montrait fort sceptique face aux évolutions politiques de son temps. La démocratie de masse, les agitateurs socialistes et le libéralisme exclusivement axé sur le profit étaient tous pour lui les symptômes d'une décadence politique. « Depuis la Commune de Paris, tout est devenu possible en Europe, principalement parce que partout nous rencontrons de braves gens, des libéraux très convenables, qui ne savent pas exactement où se situe la limite entre le droit et l'absence de droit ni où commence le devoir de résister et de réagir ». Il prévoyait l'ère des dictatures et de l'extrémisme politique en Europe, l'ère des « terribles simplificateurs », qui n'avait plus rien à voir avec les « grandes individualités » radieuses, avec les « princes de la renaissance », avec ces figures nobles qui avaient tant inspiré la pensée de Nietzsche.

Burckhardt craignait que la “vieille Europe”, fatiguée et usée sur le plan culturel, finirait par sombrer définitivement à cause des luttes que se livraient partis et factions. À la fin de ces luttes, prévoyait-il avec raison et à propos, s'imposerait une démocratie corrompue : « Les masses veulent la tranquillité et le profit » : c'est par cette phrase qu'il résume sa position dans Weltgeschichtlicher Betrachtungen. Burckhardt était tout, sauf une personnalité politique, il était essentiellement un esthète, qui n'envisageait nullement de s'impliquer directement dans la politique. Son conservatisme est plutôt libéral et idéaliste. Il méprisait tant l'absolutisme royal d'avant la révolution de 1848 (Vormärz) que les révolutionnaires qui s'efforçaient de l'éliminer. Pour Burckhardt, les changements ne pouvaient s'accomplir que sur un mode évolutionnaire, s'ils ne voulaient pas n'être que purement subversifs. La césure ne cessait plus de s'élargir entre l'État et la société et prenait la forme d'une opposition croissante entre le pouvoir (politique) et la culture, surtout dans l'Allemagne impériale et wilhelminienne. Son pessimisme culturel n'était donc pas de principe mais était le résultat d'une observation fine des constellations historiques. Burckhardt a gardé l'espoir de voir les cultures renaître dans un futur lointain. Sa pensée est restée jusqu'au bout fidèle à la “vieille Europe” : ses idéaux de vie étaient une absence extrême de besoins, un pari foncier pour le spirituel au détriment du matériel, un service absolu à beau et au bien. Le 8 août 1897, quand meurt Jakob Burckhardt, disparait une figure tragique qui portait en elle les craintes et le pessimisme, mais aussi les espoirs et les aspirations du XIXe siècle, comme peu d'autres savants de cette époque.

Frank Lisson, Nouvelles de Synergies Européennes n°29, 1997.

(texte paru dans Junge Freiheit n°33/97)

http://www.archiveseroe.eu/histoire-c18369981/98

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