Bien que tous les regards soient aujourd’hui tournés vers l’Ukraine, il ne faut pas oublier les réalités auxquelles sont chaque jour confrontés les Français. Focus sur l’état de notre Justice, à l’aube d’une élection présidentielle cruciale pour l’avenir de notre pays. Il y a quelques mois, un collectif de rappeurs lyonnais déguisés en bagnards défrayait la chronique sous les regards médusés de la population française. Rodéos urbains, blocages d’autoroutes, irruption dans un centre pénitentiaire étaient autant de faits auxquels les forces de l’ordre ont dû faire face, réduites à l’impuissance.
Si trois membres des « Dalton » ont été condamnés à des peines d’emprisonnement assorties du sursis, ces dernières restent trop faibles pour dissuader le reste du groupe dont les rangs se garnissent de jour en jour. Il faut malheureusement se rendre à l’évidence : pour les intéressés, le statut de délinquant est désormais devenu un marqueur de réussite sociale, promesse d’un certain succès sur les réseaux sociaux. En choisissant l’effigie des Dalton, les rappeurs s'opposent à Lucky Luke, idéal de justice et d’ordre. Mais force est de constater que l’État, censé leur faire face, est chaque jour davantage ridiculisé et tient désormais plus de Rantanplan que du cow-boy qui tire plus vite que son ombre.
Une chaîne pénale distendue
Ces récents faits divers ne sont qu’un exemple parmi tant d’autres d’une délinquance qui se banalise dans notre pays. En effet, certains comportements, qui paraissaient inadmissibles il y a peu encore, sont aujourd’hui tolérés, à l’instar de la consommation de stupéfiants sur la voie publique. Ces infractions, dont la gravité peut être relativisée au regard de celles qui émaillent notre quotidien quand elles ne l’ensanglantent pas, sont pourtant la cause d’insupportables nuisances pour beaucoup d’honnêtes citoyens. Cette impunité est la raison principale du « sentiment d’insécurité » dont se prévaut le garde des Sceaux pour justifier de son inaction. Celle-ci renvoie l’image désastreuse du désarmement et de l’impuissance imposée aux forces de l’ordre par un État manifestement incapable d’apporter une réponse pénale efficace. Face à cette réalité dont témoignent chaque jour nos rues, Éric Dupond-Moretti devrait se garder de tout commentaire sur le sujet, lui qui, comme ses prédécesseurs, est le ministre d’une Justice exsangue, laissée démunie dans l’accomplissement de sa mission. Comment le pourrait-elle, puisqu’avec 11 magistrats pour 100.000 habitants, quand la moyenne européenne est à 21, la Justice française est la lanterne rouge de l’Union européenne. Relevons qu’en 1900, ce chiffre était de 17 pour 100.000 habitants. Il en va malheureusement de même pour l’administration pénitentiaire, comme en témoigne le nombre de places en prison : 88 pour 100.000 habitants, tandis que la moyenne européenne est de 130. Privées de moyens humains et financiers, police, Justice et administration pénitentiaire ne peuvent mener à bien leur mission de répression des infractions pénales et de sauvegarde de l’ordre public, pour le plus grand malheur des Français exposés à une délinquance qui a, elle, les mains libres pour commettre ses méfaits, sans crainte de sanction.
Quand l’État faiblit, les délinquants sévissent ; mieux : ils prospèrent !
Toutefois, curieusement, ce même État retrouve énergie et vitalité lorsqu’il s’agit de procéder aux contrôles massifs d’honnêtes citoyens. Ainsi, en matière d’infractions routières, celui-ci a su trouver effectifs et moyens pour développer une politique efficace de verbalisation systématique des automobilistes (26 millions d’infractions au Code de la route ont été relevées en 2018). La machine administrative française n’est pas, non plus, grippée lorsqu’il s'agit d’imaginer et de mettre en œuvre un système de contrôle quotidien efficace en matière de passes sanitaire et vaccinal. Est-ce à dire que les automobilistes ou les non-vaccinés seraient plus dangereux que les délinquants de droit commun et menaceraient davantage la sécurité et la tranquillité de nos concitoyens ? La politique du deux poids deux mesures, ici à l'œuvre, consistant à être faible avec les forts et fort avec les faibles, fait peser sur chacun d’entre nous une double peine : subir à la fois la rigueur administrative de l’État et souffrir de la délinquance dans nos villes.
Un besoin impérieux d’une politique courageuse
Outre le renforcement des moyens des forces de l’ordre, des tribunaux et des établissements pénitentiaires, d’autres remèdes sont envisageables. Le premier réside dans un changement de mentalité : la culture de l’excuse ne doit plus avoir sa place dans la politique pénale. Lorsqu’un individu commet une infraction, il doit être condamné et le Code pénal appliqué sans trembler. Le principe de systématicité de la réponse pénale était, d’ailleurs, l’un des fondements de notre système pénal, imaginé par Beccaria et mis en œuvre depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, au même titre que la présomption d’innocence. Ainsi, aucune complaisance avec la délinquance ne doit être affichée. Par un revirement aussi surprenant qu’injuste, le comportement délictuel est banalisé, le délinquant assimilé à une victime sociale et le policier transformé en persécuteur. C’est pourquoi le terme de « violences policières » doit être banni du vocabulaire politique, d’autant plus qu’il est en lui-même antinomique : l’État est, seul, détenteur du monopole de la violence légitime.
La politique pénale doit retrouver ses lettres de noblesse et son but premier, qui est d’assurer la paix publique.
La justice se rend au nom du peuple, c’est pour lui et lui seul qu’elle doit désormais se rendre, en le protégeant efficacement.
Il est, d’ailleurs, navrant qu’une majorité de décisions pénales ne soient pas appliquées telles que prononcées. Le principe d’aménagement des peines a surtout été pensé pour éloigner le condamné de la délinquance et l’aider à sa réinsertion pour le bien de la société. Or, il est actuellement utilisé, avant tout, comme un outil de régulation de la surpopulation carcérale. Il convient donc de l’encadrer efficacement afin qu’il ne soit plus détourné de sa vocation première.
En effet, par manque de volonté politique et de moyens humains, les juges d’application des peines sont contraints de prononcer des aménagements quasi automatiques des peines d’emprisonnement de moins de deux ans. L’emprisonnement est devenu une exception dans l'exécution des courtes peines. Ainsi, non seulement on affaiblit l’autorité de la Justice, on décourage le policier et on ne protège pas le citoyen honnête, mais encore, on ne corrige pas le délinquant. Il en résulte que le délinquant prend l’habitude de commettre des infractions de plus en plus graves sans subir de répression.
Enfin, le peuple ne doit pas être soigneusement tenu à l’écart de la justice. L’actuel garde des Sceaux, dans son projet de loi manifestement mal nommé « pour la confiance dans l’institution judiciaire », a souhaité que le recours au jury populaire fût réduit comme peau de chagrin pour, à terme, disparaître. Comment le peuple pourrait-il, dès lors, avoir confiance dans une Justice qui cherche à le bannir des tribunaux pour mieux le tenir à l’écart de ses défaillances et, parfois, de l’idéologie de certains de ses magistrats appartenant à un certain syndicat ?
L’élection présidentielle de 2022 revêt une importance cruciale dans la direction que prendra la justice. Les acteurs du monde judiciaire n’y seront pas étrangers : certains ont déjà commencé à proposer des solutions, à l’instar de la Conférence des procureurs, qui a rédigé dix propositions à destination de tous les candidats. Plus que jamais, l’heure est au rétablissement de la justice !