En ce moment l'attention de l'opinion publique se focalise, de façon en partie légitime, sur la situation de l'Ukraine. En France, certes, les médias hexagonaux, polarisés sur l'État central parisien, cultivent toujours très fort un certain nombrilisme. De plus, le calendrier électoral préoccupe assez naturellement aussi les citoyens. Et cependant c'est bien sûr vers Kiev ou sur Marioupol que se tournent les regards.
Censés apporter la paix, les entretiens d'Istanbul tirent en longueur. Cela permet au Kremlin d'espérer parfaire son continuum territorial vers la mer Noire, en vue d'assurer l'accès aux mers chaudes. Le rêve de Pierre le Grand continue. Le pouvoir moscovite s'acharne toujours à consolider les conquêtes de Catherine II. Les esprits du XXIe siècle sont priés de s'abstenir.
Au contraire, à l'autre bout du monde, Pékin met en place une vision moins archaïque et plus subtile, qui cherche lentement mais sûrement, à s'imposer comme hyperpuissance à l'égale de Washington.
Certes dans la littérature officielle chinoise les bobards russes et les critiques des affreux impérialistes américains se portent à merveille. Ainsi, en cherchant bien, en bas de page sur le site de l'agence Xinhua, on trouvera ce 31 mars : "Comment les États-Unis intensifient la guerre de l'information dans le conflit russo-ukrainien" ; "Le monde a besoin de réponses sur les laboratoires biologiques américains" ; et même "Washington, le plus grand tyran du monde".
Mais le traitement de la guerre en Ukraine reste étonnamment discret. Antoine Bondaz, spécialiste de l'Asie à la Fondation pour le Recherche stratégique remarquait ainsi, dans une intervention sur Public Sénat ce 29 mars : "En Chine, vous n'avez quasiment aucun éditorial sur la guerre en Ukraine".
En fait, à Pékin, on se préoccupe surtout d'approfondir et de consolider le régime, et, point essentiel, son caractère marxiste.
Le 27 mars, la même agence officielle Xinhua annonçait triomphalement ainsi la publication de deux livres sur les études et la pratique de la pensée économique de Xi Jinping. Le premier de ces ouvrages propose une anthologie d'articles théoriques publiés en 2021, qui développent la doctrine économique du camarade Xi. L'autre volume rassemble les rapports de recherche approfondie sur son application en Chine.
Retrouvant un aspect essentiel de la mise en œuvre des théories de Marx, c'est en effet par le biais économique, par l'accumulation de capital, que la puissance de l'Empire du milieu entend se répandre dans le monde.
Quelques jours plus tôt c'est en qualité de secrétaire général du Parti communiste chinois que, le 23 mars, Xi Jinping avait pu envoyer une lettre de "félicitations", rédigée en langue de bois, à l'occasion du "quatrième séminaire de théorie" scellant le rapprochement avec le Parti communiste de Cuba…
Si la disproportion de deux pays peut faire sourire, ne nous y trompons pas : depuis l'arrivée au pouvoir du castrisme en 1959, ce régime représente le principal pivot d'implantation révolutionnaire à travers l'ensemble de l'Amérique latine, du Mexique à la Terre de Feu. Le parti unique au pouvoir y est devenu officiellement communiste en 1965. Or, après que les subsides de l'URSS ont disparu, c'est successivement le Venezuela vivant encore richement sur la rente du pétrole, à l'époque de Chavez, puis maintenant la Chine qui ont secouru l'économie désastreuse de l'île.
À lire attentivement le texte publié par Xinhua le 24 mars, on découvre d'ailleurs que, contrairement aux Soviétiques d'avant-hier et aux chavistes vénézuéliens d'hier, les Chinois savent compter.
Ils s'apprêtent donc à imposer aux Cubains une réforme économique. Ils en contrôleront étroitement l'application par l'instrument de "l'amitié" des deux partis, car ceux-ci suivront une ligne désormais commune. Précisément, celle-ci s'articulera sur les mots d'ordre qui n'a cessé de régner à Pékin depuis la victoire de Deng Xiaoping sur l'extrême gauche maoïste en 1979. Et Xi Jinping, aux commandes depuis 10 ans, s'en affirme sans conteste le continuateur.
L'erreur de trop d'observateurs agréés consiste souvent à croire que le parti qui impose sa ligne implacable à ce régime "n'a de communiste que le nom". Nous relevons cette expression, par exemple, dans le livre, par ailleurs recommandable d'Éric Izraelewicz sur "l'Arrogance chinoise". La question de la nature du régime chinois ne doit donc pas être considérée comme un simple sujet de dissertation stérile pour intellectuels de gauche fatigués, puisqu'il menace une partie de l'Amérique latine et de l'Afrique.
À La Havane, aux frères Castro a succédé un gris apparatchik en la personne de Miguel Diaz-Canel. Officiellement président de la république depuis 2019, celui-ci exerce désormais la fonction clef de secrétaire général du parti. Si Fidel et Raùl rôtissent en enfer mais leurs continuateurs rayonnent encore dans le cadre de l'ALBA. Cette Alliance bolivarienne pour les Amériques, créée à La Havane en 2004 par Chavez et Fidel Castro regroupe déjà, outre Cuba et le Venezuela, la Bolivie, le Nicaragua et le Suriname, mais aussi une poussière de petits pays insulaires : Antigua-et-Barbuda, la Dominique, Grenade, Sainte-Lucie et Saint-Vincent-et-les-Grenadines. La victoire de Boric au Chili, le retour des péronistes de gauche en Argentine, l'éventualité d'une victoire de Gustavo Petro en Colombie, ou la présence de "AMLO" Obrador au pouvoir à Mexico, ne peuvent que les conforter.
Oui, à l'autre bout du monde, les adversaires de la Liberté montent en puissance...
JG Malliarakis