Gabrielle Cluzel sur BVoltaire
Ce mardi matin, Nicolas Vanbremeersch, conseiller en communication numérique ayant son rond de serviette dans nombre de grands médias, a dénoncé sur son compte Twitter (certifié) ce qu’il appelle un « signe incroyable » (sic) : sur la toute nouvelle affiche de campagne de Marine Le Pen. On y voit la candidate souriante adossée à un bureau, les mains en appui sur le plateau en bois derrière elle. Nicolas Vanbremeersch a fait un gros plan sur la main droite et il est formel : dans les trois doigts posés, bien droits et le pouce qui rejoint comme négligemment l’index, Nicolas Vanbremeersch a immédiatement reconnu le « signe de reconnaissance utilisé par toute l’extrême droite mondiale ».
Et de joindre dans un autre article un article de L’Obs en 2019 en expliquant toute la signification cabalistique : ce qui ressemble à un innocent OK de plongeur est en fait un O-KKK en référence au Ku Klux Klan, et aurait été lancé au moment de la campagne de Donald Trump aux États-Unis. Pour Nicolas Vanbremeersch, « Marine Le Pen fait un signe de white power, signal envoyé à tous les fachos pour dire “Je suis avec vous”. N’oubliez pas qui elle est. »
Les commentaires sous sa publication vont bon train : sobres - « faites vous soigner » (Damien Rieu) -, ironiques - « oui et je ne sais pas si vous avez remarqué en plus, elle fait exactement le même sourire qu’Hitler. Un hasard sûrement pas » (Julien Rochedy) -, circonspects - « Ça me semble un peu tiré par les cheveux, non ? » (Raphaël Glabry).
Marine Le Pen a intérêt, pendant 15 jours, à se déplacer les bras serrés contre le corps telle une otarie, car tout bras levé, y compris pour attraper le sel sur l’étagère, pourrait lui attirer de graves ennuis.
Eugénie Bastié commente par deux mots « complotisme chic », et Gilles-William Goldnadel n’en revient pas : « Et l’on nous explique que se serait l’extrême droite qui serait complotante. Ce tweet halluciné vient d’un compte non négligeable. Je n’ose espérer une réaction de Twitter. »
Nicolas Vanbremeersch a fait HEC, est fondateur de l’agence numérique Spintank et du Tank, « lieu d’initiatives de la société numérique », auteur du livre De la démocratie numérique (Seuil, 2009). Sur France Culture, qui le présente comme un « acteur et observateur de la recomposition de la société par le numérique », il lui arrive, de loin en loin, de délivrer des analyses distanciées pleines de componction, comme c’est de règle sur cette radio. Au début des années 2000, et pendant cinq ans et demi, sous le pseudonyme de Versac, « il a tenu l'un des blogs politiques les plus influents, qui a été fréquenté par trois millions de visiteurs », expliquait, en 2007, Le Monde, qui voyait en lui un « blogueur consciencieux et régulier, appliqué et pédagogue, commentant et décryptant l'actualité politique et économique avec clairvoyance ». En 2018, dans le numéro 200 de la revue Le Débat, il a écrit un article intitulé « De quoi les fake news sont-elles le nom ? » (interdit de rire). Et tout récemment, il a bien précisé - qui pouvait en douter ? - qu'il allait voter au deuxième tour Emmanuel Macron. Bref, tous les sacrements pour être intégré au « camp de la raison » tel que le définissait Alain Minc.
Ce tweet est riche d’enseignements : une « fake news » délirante et complotiste, dès lors qu’elle ne provient pas de l’extrême droite mais du camp de la raison en col blanc, devient pudiquement une analyse comme une autre (au pire un peu capillotractée). Elle ne fait pousser aucun cri d’orfraie à ceux qui, d’habitude, dégainent la reductio ad complotum plus vite que leur ombre. Ce camp de la raison joue tellement à se faire peur depuis des dizaines d’années qu’il finit par croire à ses propres énormités.