Si la France ne dépend plus que de 17 % de la Russie pour son approvisionnement en gaz, Emmanuel Macron a décidé d’en donner à l’Allemagne, dépendante à 55 % de la Russie, en échange, paraît-il, d’électricité, qui risque de manquer aussi à notre voisin germanique. Par ailleurs, Macron a fermé Fessenheim et il manquera donc 2,5 % d’électricité française de plus cet hiver. Au prix de l’électricité de la fin de l’été, cela représente 8 milliards d’euros par an, soit environ trois fois le coût de sa construction.
Comme le secteur nucléaire a subi désintérêt et désinvestissement, que la maintenance « a été faite avec les moyens du bord », la moitié des réacteurs restants sont à l’arrêt. Il semble très improbable qu’EDF réussisse à remettre tous les réacteurs nucléaires en ordre de marche pour cet hiver. Imaginons (hypothèse raisonnable) qu’EDF réussisse à faire fonctionner les trois quarts de ses réacteurs nucléaires cet hiver. La France achète depuis quelques années de l’électricité aux autres pays européens les jours de pointe. La France devrait donc en acheter beaucoup plus, parfois un quart de notre production nucléaire habituelle. Comme les autres pays produisent plus de 20 % de leur électricité avec du gaz qui risque fort de manquer, ils ne pourront probablement pas nous vendre de l’électricité ! Les coupures de courant, peut-être pour plusieurs jours, sont donc quasiment inévitables. Ce qui signifie soit des arrêts d’entreprises et donc leur mise en danger, soit des coupures pour les ménages et l’impossibilité de se chauffer pour certains, de cuisiner pour d’autres, d’accéder à Internet, à la télévision ou même de lire pour tous. La France ne sera pas seule dans ces difficultés, les autres pays étant souvent très dépendants du gaz pour l’électricité et l’énergie. Il n’y a donc rien d’étonnant dans le fait que les prix de marché du gaz et de l’électricité aient été multipliés respectivement par des facteurs vingt et douze, même si la sortie du marché européen de l’électricité aurait permis de réguler ces prix et d’éviter une telle dérive.
Pénurie, inflation et cherté de l’énergie sont donc lourdement probables. L’économie, c’est de l’énergie transformée. Le scénario de la tempête parfaite point à l’horizon. Les prémices s’annoncent déjà difficiles pour notre tissu industriel. Arc, Ascométal et Duralex ont annoncé fermer « temporairement » leurs usines pour cause de prix de l’énergie trop élevés : ils perdent un argent fou en restant ouverts ! Le président de Système U a annoncé que sa facture d’électricité serait multipliée par deux l’année prochaine. Pour des entreprises moyennes comme les fonderies Dechaumont, c’est plutôt une multiplication par quatre à six qui est attendue, soit la ruine pour cette entreprise énergivore si la situation perdurait. Dès aujourd’hui, la production d’aluminium et de zinc en Europe a déjà été réduite de moitié. Arcelor a réduit la production de sept sites en France. Alors qu’ils avaient déjà dû réduire fortement leur activité, les producteurs de zinc, de cuivre, de nickel ou de silicium se disent menacés dans leur existence même ! Les fabricants d’engrais ne peuvent plus produire à des prix raisonnables, le gaz étant trop cher. Quid de notre alimentation, l’année prochaine ? Si l’énergie russe ne coule pas rapidement vers l’Europe, c’est notre tissu industriel et celui de l’Europe qui seront partiellement coulés. Et ce ne seront pas les start-up qui nous sauveront la mise. Si la situation peut un peu s’améliorer, le problème pourrait durer un peu moins de cinq ans. Et ces cinq ans passés, l’énergie sera plus chère en Europe qu’en Asie car elle viendra de plus loin et l’Europe n’aura pas tous les choix ouverts. C’est donc un avenir de destruction de notre tissu économique et social et d’inflation qui nous attend si la situation n’est pas reprise en main. Pour l’heure, nous assistons impuissants à une forme de suicide européen. Rappelons, enfin, que nos sanctions morales entraînant une explosion des prix de l’énergie partout dans le monde touchent durement l’économie et la vie quotidienne déjà fragile des habitants des pays pauvres.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Au risque de choquer les belles âmes, il y a une forme de crétinisation de la vie publique qui s’explique notamment par l’abus de communication, celle-ci ayant progressivement remplacé l’analyse rationnelle. La Commission européenne proposant, dans les faits pensant pour les pays dans des domaines de plus en plus nombreux, les partis politiques européistes n’ont depuis des années qu’à utiliser cette feuille de route et la répéter comme des perroquets en changeant légèrement l’argumentation. C‘est, d’ailleurs, conseillé si vous ne voulez pas passer pour un méchant politique nationaliste. Quand notre Président va à Bruxelles, il est par ailleurs confronté à la Commission européenne et à 26 autres pays aux intérêts différents. Il est alors difficile de dire non et d’être le mouton noir qui bloque la décision européenne. Voici comment de plus en plus de décisions contraires à l’intérêt du pays passent sans difficulté particulière. L’alignement sur l’intérêt américain de l’Union européenne est une autre pièce de ce puzzle. Pour finir, les grands partis d’opposition, guère courageux et imaginatifs, tenus par la trouille de la pensée unique, ne proposent pas grand-chose, si ce n’est de régler des problèmes annexes et non la partie principale du problème. On entend donc presque uniquement : « Occupons-nous du pouvoir d’achat des Français et tout sera résolu » ou « c’est la faute de Macron et des socialistes, ils ont amoindri la force de notre système électrique nucléaire ». Ces grands partis d’opposition sont bien majoritaires à l’Assemblée nationale mais presque aucune voix ne s’élève pour demander rapidement une session extraordinaire sur le problème vital que nous posent ces sanctions antirusses. On devrait plutôt dire anti-européennes ou antifrançaises, puisque la Russie sera bénéficiaire de ces sanctions à hauteur de 100 milliards d’euros de recettes supplémentaires, cette année, quand la France s’appauvrira. Et sur le moyen terme, ses débouchés énergétiques sont garantis en Asie. Il faudra pourtant choisir entre deux alternatives : continuer ainsi et avoir une guerre longue au cœur de l’Europe, voir l’Europe et ses peuples subir un profond déclassement économique et social, ou bien chercher la paix sur le continent, négocier et, bien sûr, arrêter ou, au minimum, adoucir ces « sanctions ». Même lorsque l’on n’en est pas responsable, la guerre n’amène jamais que la ruine économique dans ses bagages.
Ce fatras d’erreurs de toutes sortes nous laisse parfois penser que nous vivons en idiocratie. Quoi qu’il arrive, il est inimaginable que les Français soient sacrifiés sur l’autel de l’Absurdie (ou d’une défense d’une hégémonie américaine déclinante). Il ne s’agit donc plus d’un problème économique mais d’un problème politique. Le pire n’est jamais certain, mais il est inconcevable de ne pas s’en prémunir. En attendant, préparons-nous à affronter la tempête, à moins qu’un miracle ne l’arrête avant de toucher nos côtes.
Philippe Murer