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De la théologie politique américaine 4/4

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Un méta-langage qui accepte pour argent comptant les slogans de la propagande

Au cours de l’expansion­nis­me a­mé­ricain, déjà tout entier contenu dans la doctrine Monroe et ses nombreuses extensions, en particulier durant la Guerre Froi­de avec sa justifi­ca­tion idéologique donnée dans des documents tels le NSC-68, une destruction et une idéolo­gi­sation du langage politique furent accomplies. L’histoire de la Guerre Froide est l’histoire de l’effondrement de l’anglais américain en un jargon propagandiste pan-américain, avec sa propension à prendre pour ar­gent comptant pour les slogans, les simplifications, les mensonges et les clichés pompeux tels que le “totalitarisme”, la “défense de la dé­mo­cra­tie”, le “péril rouge”, etc. L’expansionnisme américain, propagande de guerre des machina­tions co­lo­niales de la perfide Washington, formata le langage de manière à répondre précisément au besoin de laisser libre cours à sa sauvagerie déguisée en universalisme au service de l’humanité. L'objectif préventif était de délégitimer toute résistance potentielle et de légitimer sa soif de conquête et d'hégémonie. Les États-Unis ont imposé une subversion planétaire du lan­gage et c’est sur la base de cette gigan­tes­que falsification que l’Améri­que contemporaine a été éduquée.

Un gigantesque mur de mythes

Pour paraphraser George Steiner, les diri­geants de l’Amérique ont élevé entre l’es­prit américain et la réalité empirique un gigan­tesque « mur de mythes ». Progressivement les mots ont perdu leur sens ori­ginel et acquis les contenus sémantiques propres à la théologie politique universaliste. Le langage est devenu une falsi­fi­cation générale, à tel point qu’il n’est plus ca­pable de saisir ou de restituer la vérité. Les mots sont devenus des instruments de men­son­ge et de désinformation, des convoyeurs de fausseté, servant à bétonner l’hégé­monie. « Le langage n’a pas seulement été contaminé par cette bestialité déchaînée, il a été sommé d’imposer les innombrables mensonges [de la propagande] » (20), de persuader, jusqu'à l'endoctrinement, les Amé­ricains que les nombreux actes de subversion des nations et du droit international ainsi que les a­gressions militaires et les crimes de guerre en Co­rée, au Vietnam et, plus récemment, au Panama et en Irak, ont ser­vi la cause des grands principes “hu­manitai­res”. La subversion du langage par la théo­logie politique américaine n'a pas seulement rendu la vérité empirique inexprimable, elle a aussi érigé une enceinte de non-dits et de duperie et aussi facilité l’effondrement de la langue anglaise, héritée de l’histoire, au profit du jar­gon panaméricain, pure fabrication récente. Et lorsque la langue « a été infectée de faussetés, seule la vérité la plus drastique peut la purger » (21).

Des torrents de parlottes moralisantes

Il existe un phénomène américain très particulier que l’on ne retrouve pas en Europe : un Hom­me de Dieu — d’ordinaire un prêcheur — qui s’a­vère escroc. Eh bien, dans l’arène politique, après la fin de la Pre­mière Guerre mondiale, le Président Wilson était un de ces “Hommes de Dieu” qui voilait l’expansionnis­me américain par des torrents de parlottes morali­santes. Pour Wilson, les États-Unis détenaient un rôle assigné par la Providence, celui de di­riger le monde. Le wilsonisme fut l’origine et la per­sonnification du totalitarisme améri­cain universa­liste. À présent, dans l’après-Guer­re Froide et l’a­près-Yalta, nous avons af­faire à un nouveau Wilson, un petit Wilson, soit le Président Clinton, qui, à son tour, ré­veil­le le torrent de parlottes moralisantes de son prédécesseur ; lui aussi se pose comme “Hom­me de Dieu”, et a pris sa place dans la cour­se à l’ex­pan­sionnisme universaliste, de fac­ture néo-wilsonienne, en utilisant la même vieille notion de Destinée Ma­nifeste et la mê­me théologie politique, cette fois sous les ori­peaux du “Nouvel Ordre mondial”. Mais une fois de plus, les concepts de la théologie poli­ti­que universaliste américaine se dévoilent pour ce qu’ils sont : l’opium de la communauté in­ter­na­tio­nale.

Nikolaj-Klaus von Kreitor [1946-2003], Nouvelles de Synergies Européennes n°55-56, 2002.

(tr. fr. : LA, légèrement remaniée pour notre entrée) [1ère VF paru dans NSE] [Version anglaise / ou ici]

◘ Notes :

* Anders Stephenson, Manifest Destiny. American expansion and the Empire of Right (Hill and Wang, New-York, 1995).

  • (1) Hans J. Morgenthau, Politics Among Nations, A. Knopf, New-York, 1948, p. 64.
  • (2) H. J. Morgenthau, ibid., p. 65.
  • (3) H. J. Morgenthau, Politics Among Nations, aux édi­tions Stanley Hoffman ; Contemporary Theory in Inter­natio­nal Relations, Prentice Hall, Inc, Englewood Cliffs, 1960, p. 61.
  • (4) Louis A. Coolidge, An Old Fashioned Senator : Orville H. Platt, New-York, 1910, p. 302.
  • (5) Richard Hofstadter, The Paranoid Style in American Poli­tics, Univ. of Chicago Press, 1965, p. 174.
  • (6) R. Hofstadter, ibid., pp. 175-177.
  • (7) Claude G. Bowers, Beveridge and the Progressive Era, New-York, 1932, p. 121.
  • (8) R. Hofstadter, ibid., p. 177.
  • (9) K. M. Coleman, « The Political Mythology of the Monroe Doctrine : Reflections on the Social Psychology of Hegemony », in Latin America, the United States, and the Inter-American system, Westview Press, 1980, pp. 99, 100, 110.
  • (10) M. Coleman, ibid., pp. 97, 103.
  • (11) M. Coleman, ibid., p. 102. Coleman cite Salvado de Madariaga, Latin America Between the Eagle and the Bear (Praeger, New-York, 1962) p. 74.
  • (12) Coleman, ibid. pp. 105, 109.
  • (13) C. Schmitt, « Großraum gegen Universalismus : Der völkerrechtliche Kampf um die Monroe-Doktrin » (article de 1939), in : Positionen und Begriff : im Kampf mit Weimar - Genf - Versailles 1923-1939 (Hamburg, 1940) ; tr. fr R. Kirchhof : « Grand espace contre universalisme. Le conflit sur la doctrine de Monroe en droit international » in : Du politique : « Légalité et légitimité » et autres essais, Pardès, 1990, pp. 127-136. Cf. également Völkerrechtliche Grossraumordnung, Berlin, Deutscher Rechtsverl., 1939, p. 43 : « En droit international, les concepts généraux, universels, qui embrasent le monde entier sont les armes typiques de l’interventionnisme. »
  • (14) Edward Hallet Carr, The Twenty Year’s Crisis 1919-1939 (Harper Torchbooks, New-York, 1964) p. 78 ; aussi R.S. Baker, Public Papers of Woodrow Wilson : The New Democracy.
  • (15) Voir sur ce sujet : Kenneth W. Thompson, Toynbee and the Theory of International Poitics, aux editions Hoffman, Contemporary Theory in International Relations, ibid., p. 97.
  • (16) Public Papers of Woodrow Wilson : The New Democracy, Ed. R. S. Baker, pp. 318-319.
  • (17) E. Hallet Carr, The Twenty Year Crisis, ibid. p. 79 ; aussi Toynbee, Survey of International Affairs, 1936, p. 319.
  • (18) E. Hallet Carr, ibid., pp. 79, 80.
  • (19) Roland Barthes, Mythologies (Hill and Wang, New-York, 1987) pp. 131, 148, 149.
  • (20) Georg Steiner, A Reader (Oxford Univ. Press, New-York, 1984), p. 212. Tr. fr. : « Le miracle creux » (The Hollow Miracle, 1959), repris dans Langage et silence.
  • (21) G. Steiner, ibid. p. 219.

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