Il s'agit donc bien d'une fusion, au meilleur sens du terme, entre deux grands peuples, d'une addition de leurs qualités, en quelque sorte, et non simplement de la conquête des uns (les Celtes) par les autres (les Romains), quelles que soient les qualités intrinsèques de ces derniers et ce qu'ils apportaient de bon et de fécond...
Le trésor qu'apportaient les romains n'a pu fructifier à ce point que parce qu'il tombait sur une terre tout à fait apte et disposée à le recevoir et à le faire produire au centuple.
C'est ce que dit fort bien Jacques Bainville, dès les premières lignes de sa magistrale Histoire de France :
"La fusion des races a commencé dès les âges préhistoriques. Le peuple français est un composé. C'est mieux qu'une race. C'est une nation..."
Voilà pourquoi, à partir de Jules César, conquérant des Gaules, qui a mis rudement les deux peuples en contact, nous évoquerons d'abord, avec Jacques Bainville, l'apport romain dans cette merveilleuse fusion de deux peuples. Mais, sitôt après, nous lirons un beau texte de Charles Maurras, exaltant les vertus ancestrales et la grandeur évidente de ces Celtes, sans lesquels, redisons-le, rien de ce à quoi l'on a assisté par la suite ne se serait passé de la même façon...
"...À qui devons-nous notre civilisation ? À quoi devons-nous d'être ce que nous sommes ? À la conquête des Romains. Et cette conquête, elle eût échoué, elle se fût faite plus tard, dans des conditions différentes, peut-être moins bonnes, si les Gaulois n'avaient été divisés entre eux et perdus par leur anarchie. Les campagnes de César furent grandement facilitées par les jalousies et les rivalités des tribus. Et ces tribus étaient nombreuses : plus tard, l'administration d'Auguste ne reconnut pas moins de soixante nations ou cités. À aucun moment, même sous le noble Vercingétorix, la Gaule ne parvint à présenter un front vraiment uni, mais seulement des coalitions. Rome trouva toujours, par exemple chez les Rèmes (de Reims) et chez les Eduens de la Saône, des sympathies ou des intelligences. La guerre civile, le grand vice gaulois, livra le pays aux Romains. Un gouvernement informe, instable, une organisation politique primitive, balancée entre la démocratie et l'oligarchie : ainsi furent rendus vains les efforts de la Gaule pour défendre son indépendance.
Les Français n'ont jamais renié l'alouette gauloise et le soulèvement national dont Vercingétorix fut l'âme nous donne encore de la fierté. Les Gaulois avaient le tempérament militaire. Jadis, leurs expéditions et leurs migrations les avaient conduits à travers l'Europe, jusqu'en Asie Mineure. Ils avaient fait trembler Rome, où ils étaient entrés en vainqueurs. Sans vertus militaires, un peuple ne subsiste pas; elles ne suffisent pas à le faire subsister. Les Gaulois ont transmis ces vertus à leurs successeurs. L'héroïsme de Vercingétorix et de ses alliés n'a pas été perdu : il a été comme une semence. Mais il était impossible que Vercingétorix triomphât et c'eût été un malheur s'il avait triomphé.
Au moment où le chef gaulois fut mis à mort après le triomphe de César (51 avant l'ère chrétienne), aucune comparaison n'était possible entre la civilisation romaine et cette pauvre civilisation gauloise, qui ne connaissait même pas l'écriture, dont la religion était restée aux sacrifices humains. À cette conquête, nous devons presque tout. Elle fut rude : César avait été cruel, impitoyable. La civilisation a été imposée à nos ancêtres par le fer et par le feu et elle a été payée par beaucoup de sang. Elle nous a été apportée par la violence. Si nous sommes devenus des civilisés supérieurs, si nous avons eu, sur les autres peuples, une avance considérable, c'est à la force que nous le devons.
Les Gaulois ne devaient pas tarder à reconnaître que cette force avait été bienfaisante. Ils avaient le don de l'assimilation, une aptitude naturelle à recevoir la civilisation gréco-latine qui, par Marseille et le Narbonnais, avait commencé à les pénétrer. Jamais colonisation n'a été plus heureuse, n'a porté plus de beaux fruits, que celle des Romains en Gaule. D'autres colonisateurs ont détruit les peuples conquis. Ou bien les vaincus, repliés sur eux-mêmes, ont vécu à l'écart des vainqueurs. Cent ans après César, la fusion était presque accomplie et des Gaulois entraient au Sénat romain.
Jusqu'en 472, jusqu'à la chute de l'Empire d'Occident, la vie de la Gaule s'est confondue avec celle de Rome. Nous ne sommes pas assez habitués à penser que le quart de notre histoire, depuis le commencement de l'ère chrétienne, s'est écoulé dans cette communauté : quatre à cinq siècles, une période de temps à peu près aussi longue que de Louis XII à nos jours et chargée d'autant d'événements et de révolutions. Le détail, si l'on s'y arrêtait, ferait bâiller. Et pourtant, que distingue-t-on à travers les grandes lignes ? Les traits permanents de la France qui commencent à se former..."
II : Éloge des Celtes (de Charles Maurras, allocution prononcée en 1939) :
"...Notre confrère Edouard Helsey mène en ce moment, au Journal, une lucide enquête sur les égarements sincères du peuple français. Et il a touché au point vif, très juste, quand il a observé qu'il existait dans les profondeurs de notre nationalité un élément d'anarchisme qui se met en mouvement un peu plus souvent qu'à son tour.
C'est quelque chose de notre vieux fond gaulois. Ce peuple généreux, mais trop avide d'éloquence, porté à l'esprit de parti, aux divisions, aux jeux naïfs de la jalousie ou même de l'envie, n'a jamais pu s'unifier ni se discipliner, en raison de ce gros défaut.
Mais Helsey oublie une chose. C'était un peuple très intelligent, très ami de l'intelligence, très sensible aux splendeurs de la vie intellectuelle, et l'on se trompe beaucoup toutes les fois que l'on fait honneur aux seules armées de César, au seul glaive des Légions et au seul faisceau des Licteurs de leur rapide conquête assimilatrice, si forte et si profonde que l'Histoire hésite à en admettre toutes les parties. Pour la bien comprendre, il faut se représenter l'admirable ouverture d'esprit du Gaulois et aussi la magique beauté de l'apport romain; c'était la raison, et c'était la science, et c'était l'intelligence, et c'était tout l'esprit de la civilisation générale héritée de la Grèce, de l'Egypte, de l'Etrurie.
Les gaulois auraient indéfiniment résisté à la force de la Légion. Ils ne résistèrent ni à l'ordre ni à l'intelligence qui leur apportaient, avec le Droit, la Loi, avec la discipline aimée et voulue autre chose qui y ressemble : la Charité du genre humain.... Ce fut le dernier coup. Le Gaulois n'y tint plus. Il admit Rome, il la reçut chez lui, en lui. Il constitua cette brillante improvisation de l'Empire qui s'appelle le Gallo-Romain. N'était-il pas trop bien doué pour s'y dérober plus longtemps ?..."