Bertille Bayart
Les déambulations au bord de l’Elbe permettront-elles à Emmanuel Macron et Olaf Scholz de poser enfin les bases d’un compromis sur la réforme du marché de l’électricité ? Entre les deux hommes et entre les deux pays partenaires, il est plus que temps de purger l’abcès. De surmonter le grand différend qui a pour nom, selon l’expression d’un officiel français, « le mot en “N” » : autrement dit, le nucléaire.
Le virage énergétique (« Energie- wende ») engagé par Angela Merkel en 2012 avait creusé un fossé entre la France et l’Allemagne. La crise provoquée par la guerre en Ukraine l’a transformé en gouffre. D’un côté du Rhin, l’Allemagne a maintenu sa décision de fermer ses réacteurs nucléaires - les derniers ont été éteints en avril dernier. De l’autre, la France, sortie de ses ambiguïtés juste avant le début des hostilités, en février 2022, a fait le choix de miser au contraire sur l’atome avec la relance d’un nou- veau programme.
Cette divergence est devenue guérilla, avec Bruxelles comme théâtre des opérations. Chacun des textes européens examinés depuis trois ans a été le prétexte à un affrontement entre Paris et Berlin : la taxonomie - c’est-à-dire la classification des investissements pouvant prétendre à être « verts » -, la directive sur les énergies renouvelables, le développement de la production d’hydrogène ou encore le texte en faveur de l’industrie verte ont été autant d’occasions saisies par l’Allemagne pour mettre des bâtons dans les roues françaises.
Avec le projet de réforme du marché de l’électricité soumis par la Commission au printemps et qu’il faudrait adopter avant la fin de l’année, le temps de la grande explication est venu. La semaine dernière, en réunion technique, les représentants des vingt-sept États membres se sont séparés sur un constat d’impasse. La controverse se concentre sur l’article 19b du texte, qui porte sur les mécanismes d’encadrement des prix. Au moyen de CFD (« contracts for difference »), chaque pays pourrait fixer un prix plancher et un prix plafond de l’électricité au-delà du- quel les revenus des producteurs seraient taxés et redistribués aux consommateurs.
Mais Berlin voit dans cet instrument un outil pour stimuler les in- vestissements futurs dans de nou- veaux moyens de production. Paris veut s’en servir (au moins du plafond) pour son parc existant de réacteurs nucléaires dont la prolongation suppose d’importants investissements. « Pour l’Allemagne, le passé, c’est les gazoducs Nord Stream. Pour nous, c’est 56 réacteurs en état de marche », résume une source française.
« C’est géopolitique »
Les officiels français ont multiplié les déplacements outre-Rhin ces dernières semaines pour tenter de rassurer leurs homologues convaincus qu’un prix bas de l’électricité en France ne résulterait pas d’un calcul économique de la performance du parc nucléaire mais d’une aide d’État massive apportée au travers d’EDF, d’ailleurs renationalisée à 100 %. « Mon problème, ce n’est pas que la France possède des centrales nucléaires ; (c’est) que l’opérateur des centrales nucléaires peut offrir des prix inférieurs à la valeur de marché », résumait ainsi le ministre de l’Économie, Robert Habeck.
L’exécutif français en est con- vaincu : l’Allemagne panique à l’idée de se désindustrialiser à cause de l’envolée des prix de l’énergie. Un constat posé avec une pointe de « Schadenfreude ». Après vingt ans de complexe d’infériorité, les Français se plaisent à réciter la triple erreur des voisins qui ont misé sur le gaz russe, sur le marché chinois et sur les dividendes de la paix.
Le rendez-vous de Hambourg est décrit à l’Élysée comme « une étape politique », en amont d’un Conseil européen sur l’énergie, le 17 octobre. Emmanuel Macron a mis une pression maximale. « Nous allons reprendre le contrôle du prix de notre électricité », a-t-il déclaré le 25 septembre. Le détournement du slogan de la campagne pour le Brexit était à dessein : il signifie que la France légiférera à l’échelle nationale pour tirer parti de la compétitivité de son électricité nucléaire, quelle que soit l’issue des discussions avec Berlin.
Mais un accord reste possible si les deux pays parviennent à s’extraire de l’affrontement binaire entre pro et antinucléaire. Le secrétaire d’État allemand, Sven Giegold, a plaidé la semaine dernière pour un « grand compromis ». La ministre de la Transition énergétique française, Agnès Pannier-Runacher, rappelait samedi dans le Financial Times que le sujet n’était pas tant de compter les points entre la France et l’Allemagne que d’apporter une réponse à l’Inflation Reduction Act de Joe Biden, susceptible d’aspirer les investissements des multinationales vers les États-Unis. « C’est géopolitique », a résumé vendredi à Grenade Emmanuel Macron.
Source : Le Figaro 8/10/2023