L’éditorial de François Marcilhac
Emmanuel Macron a le sens des priorités, surtout lorsque ce messager international de la paix, que personne n’écoute, daigne se pencher sur les affaires intérieures. Courageusement absent de la réforme des retraites, pourtant la seule mesure phare de son programme de 2022, toutes affaires cessantes, il vient de décider que la « liberté » (plutôt que le « droit ») d’avorter — la formulation courageusement trouvée au Sénat afin d’obtenir le consensus du pays légal — doit être inscrite « le plus tôt possible » dans la Constitution afin de la rendre « irréversible ».
Rappelons la genèse de cette lumineuse idée. Le 24 juin 2022, aux États-Unis, la haute Cour, remaniée par Donald Trump — comme elle l’est par chaque président au gré des postes qui se libèrent —, annule son arrêt « Roe v. Wade », qui garantissait depuis 1973 le droit des Américaines à avorter, et a rendu à chaque Etat sa liberté de légiférer. Aussitôt, par une soumission, en l’occurrence paradoxale, à l’imaginaire américain, puisque les Etats-Unis venaient justement de montrer que, chez eux, cela n’avait servi à rien, la députée macronienne Aurore Bergé de demander l’inscription du droit à l’avortement dans notre propre loi fondamentale. Comme pour « Me too » ou pour « Liveblack matter », le pays légal et médiatique français vivant au rythme de la vie politique et des phénomènes sociaux made in USA, importe des problématiques qui ne sont pas les nôtres. Ainsi du « droit » à l’avortement, nullement menacé en France — on peut le regretter —, une France qui, de plus, est un État non pas fédéral mais qui demeure jacobin — en dépit de la lettre de la Constitution : nous ne sommes donc pas concernés par une problématique telle que celle qui est issue de la décision de la Cour fédérale américaine. En France, une loi ordinaire s’applique à tout le territoire national, nonobstant quelques aménagements pour les outre-mer, certaines particularités étant par ailleurs prévues par ladite Constitution.
L’initiative de Mme Bergé a été saluée par une grande partie du pays légal. Dépitée de ne pas avoir été la première à la prendre, Marine Le Pen a couru derrière elle dans l’espoir de la dépasser, et de dépasser LFI, très en pointe sur le sujet, en proposant de constitutionnaliser la loi Veil, sans préciser s’il s’agissait du premier état ou du dernier état de celle loi, maintes fois remaniée, toujours dans le sens d’une plus grande facilitation au recours à l’infanticide — il en est de la « loi Veil » comme de la fameuse loi « de 1881 » sur la liberté de la presse : leurs remaniements successifs ont fait disparaître leur état initial, à ceci près : la loi Veil contenait en germes les gravissimes aménagements auxquels elle a donné lieu, du fait qu’elle banalisait un acte en soi répréhensible, alors que c’est contre l’esprit des législateurs de 1881 que les aménagements successifs de la loi sur la presse vers une censure toujours plus aggravés ont été adoptés.
Bref, Mme Bergé a été récompensée pour son courageux combat en étant nommée, lors du dernier remaniement du gouvernement Borne, ministre des Solidarités et des [sic] Familles. Nul doute que la réforme constitutionnelle sera adoptée, que Macron passe par la voie parlementaire (le Congrès), ce qui est le plus probable, ou par la voie référendaire : l’état de l’opinion publique est tel que, comme pour l’Europe, des sujets sont devenus en quelque sorte tabous. Une constitution pouvant toujours être changée, il va de soi que cette inscription ne saurait rendre « irréversible » — Macron n’a pas dit la vérité — la « liberté » d’avorter mais il va de soi qu’elle ne fera que rendre plus difficile — tel est le but des pro-mort — le retour à un état antérieur — lequel, du reste ? car l’avortement était déjà prévu dans certaines situations avant 1974. Mais toute « liberté » ou tout « droit » étant encadré, il va de soi qu’il appartiendra ensuite au Conseil constitutionnel de décider si tel ou tel aménagement législatif, notamment dans un sens restrictif, de cette « liberté » respectera ou non son caractère constitutionnel.
Bref, c’est le symbole qui est le plus fort. « Toute vie est un don pour ce monde », a déclaré le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France le 9 décembre 2022 au sujet de l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution. A l’heure où nous écrivons, l’Église de France n’a fait aucune autre déclaration. Qu’une telle mesure soit considérée comme une priorité par le pays légal et par les media main Stream indique à quel point c’est l’instinct de mort qui préside à une société fondée sur un individualisme frénétique dispensateur de droits. La question de l’avortement, c’est un fait, s’est posée à tous les âges, dans toutes les sociétés, qui y ont répondu de manières différentes. Mais seule la nôtre a atteint un tel degré de barbarie qu’elle l’a banalisé, jusqu’à en faire un simple acte chirurgical. Certes, seuls le mensonge et l’hypocrisie nient qu’une grossesse puisse être vécue comme un drame par une femme, ou du moins pouvaient l’être à une époque où les tabous faisaient de la « fille-mère » une paria de la société. Aujourd’hui, tout est renversé : la morale sociale considère, d’un côté, qu’une mère peut bien choisir une maternité sans père et, de l’autre, qu’elle a la « liberté » d’avorter même si aucune notion de détresse — hypocrisie de la loi Veil initiale — n’est attachée à sa grossesse. Et alors que notre époque aurait les moyens humains et matériels, dans le cas d’un refus obstiné, voire justifié, à ses yeux, de la mère, de conserver son enfant, d’organiser son accueil au sein de la société. Mais comme un grand nombre de sociétés européennes le prouvent déjà, la logique individualiste conduit au principe du laisser-faire avant de s’abîmer, ou de se résoudre, dans le nihilisme. Le passage de Macron — mais il a derrière lui tout le pays légal — à l’Élysée sera marqué par l’inscription de la « liberté » d’avorter dans la Constitution, puis par la légalisation — avant leur prochaine inscription dans la loi fondamentale ? — du « suicide assisté », forme déguisée d’euthanasie, et de l’euthanasie elle-même. « Vive la mort ! » : tel est le seul message que nous aurons été capables d’envoyer aux générations suivantes.