Parmi les mythes qui sont tenaces, il y en a trois qui reviennent périodiquement pour justifier l’apport « essentiel » de la science arabo-musulmane à la science européenne : le zéro, les chiffres arabes et l’invention de l’algèbre.
Prenons les faits tels qu’ils sont et rendons à César ce qui lui appartient !
Le zéro a été inventé par les Babyloniens pour montrer une absence dans l'écriture d'un nombre comme dans 102 où le zéro signifie l'absence de dizaines. On nomme ce zéro, le zéro de position. De façon indépendante, le zéro de position a également été inventé par les Mayas, un peuple d'Amérique centrale.
Chez les Grecs classiques, le zéro posait un gros problème. Avec sa connotation de néant et de non existence, l'esprit grec avait un peu de mal. Les grecs comprenaient l'utilité d'un zéro pour leurs calculs mais le rejetaient pour des croyances philosophiques. Comme l'infini, le zéro faisait peur aux grecs. Selon la conception aristotélicienne, le vide et l'infini n'existaient pas, bien qu'elle conçoive un infini potentiel au sens d'une éventualité utopique impossible à réaliser.
Certains croient que ce sont les Grecs qui ont pourtant inventé le symbole du zéro. Les astronomes grecs employaient dans leurs tables un zéro, l'omicron, noté o qui ressemble à notre zéro actuel mais il s'agit vraisemblablement d'une coïncidence.
Dans le courant du IVe siècle, les Indiens ont réinventé le zéro de position avant d'en faire un vrai nombre qu'on peut additionner et multiplier, comme les autres, au VIIe siècle. Ce zéro de position apparait dans un ancien texte indien appelé manuscrit de Bakhshali qui se compose de 70 feuilles d'écorce de bouleau, remplies de mathématiques et de textes en sanskrit. Les pages les plus anciennes de ce manuscrit remontent entre 224 et 383 après JC. Le zéro y est représenté sous forme de point.
A la même époque (Vers 300), les marchands indiens inventèrent une manière plus pratique de noter les chiffres. Au lieu de répéter l'unité comme le faisaient les Babyloniens, les indiens ont tout simplement inventé les neuf symboles représentant les chiffres de 1 à 9, chiffres que, après plusieurs transformations graphiques, nous utilisons encore aujourd'hui. C’est ce qu’on appelle les chiffres arabes, ou pour être plus précis les chiffres indo-arabes qui nous sont parvenus par les savants chaldéo-assyriens à travers l’Empire byzantin (Qui fut colonisé totalement par les arabes un peu avant la Renaissance italienne, en 1453).
Les chiffres arabes ont donc été inventés par les marchands indiens quatre siècles avant l’arrivée de l’Islam !
Mais nous devons l'apparition de zéro en tant que nombre au mathématicien indien Brahmagupta (598-668). Dans le Brahmasphutasiddhanta, ce qui signifie « l'ouverture de l'Univers », écrit entièrement en vers, il donne les règles régissant zéro, ainsi que les nombres positifs ou négatifs, en termes de dettes et de fortunes :
- Une dette moins zéro est une dette.
- Une fortune moins zéro est une fortune.
- Zéro moins zéro est zéro.
- Une dette soustraite de zéro est une fortune...
Dans ce même ouvrage, Brahmagupta donne donc les règles de manipulation des nombres positifs et négatifs, mais compile d’autres découvertes mathématiques : Une méthode de calcul des racines carrés, des méthodes de résolution des équations linéaires et quadratiques, des règles pour la manipulation des séries. Il poursuit ainsi les travaux d’Aryabhata l'Ancien sur des cas particuliers d’équations d’inconnues entières du type ax + by = c, où a, b et c sont des entiers. Il présente une méthode de calcul du nom de gomutrika dont la traduction est la « trajectoire de l’urine d’une vache » ! Elle est semblable à celle encore utilisée de nos jours pour poser les multiplications.
Le zéro comme objet mathématique que nous utilisons en mathématique est donc une invention indienne du milieu du septième siècle !
C'est dans l'école d'Alexandrie que nous trouvons les premières traces de l'algèbre, c'est-à-dire du calcul des quantités considérées uniquement comme telles. La nature des questions proposées et résolues dans le livre de Diophante, exigeait que les nombres y fussent envisagés comme ayant une valeur générale, indéterminée, et assujettie seulement à certaines conditions. Avec l’arrivée de l’Algèbre, les mathématiques sortent de la simple résolution de problèmes concrets en se conceptualisant. Cette conceptualisation de l’algèbre fera un nouveau pas décisif au XVIe siècle quand François Viète fonda le calcul littéral en introduisant la représentation symbolique des grandeurs par des lettres.
L’algèbre fut donc inventée par un grec (Diophante) qui vécut à Alexandrie entre le premier siècle avant J.-C. et le quatrième siècle.
De son côté, le terme « Algèbre » provient du latin algĕbra qui, à son tour, dérive d’un vocable arabe qui veut dire « réduction ». Dans le monde arabe, l’on entendait par algèbre l’art permettant de réduire les os déplacés ou fracturés. C’était donc la science des rebouteux. Il est passé dans la langue espagnole où "algebrista" désigne encore le rebouteux. Il faudra attendre le début du IX siècle pour voir apparaitre le terme dans un traité du mathématicien Al-Karezmi. Il y désigne un procédé de calcul consistant à ajouter un même nombre aux deux membres d’une égalité.
On est fort loin du mythe de l’Algèbre inventé par les arabes !
Le zéro (Comme élément mathématique) et les chiffres arabes inventés respectivement par les savants ou les marchands indiens, L’algèbre conceptualisé par un grec vivant à Alexandrie et formalisée par un français au XVIe siècle …. Mais où est l’apport de la « Brillante » science arabo-musulmane qui, sans elle, l’essor scientifique occidental n’aurait pas pu avoir lieu ? En colonisant l’Empire byzantin chrétien, l’Empire arabo-musulman a hérité de la brillante science chaldéo-assyrienne qui reprenait la science grecque. Il avait toutes les connaissances et les savants à Bagdad pour continuer le développement des sciences. Au lieu de cela, il n’a laissé que la désolation intellectuelle jusqu’à son démantèlement en 1919 se contentant de faire des compilations des travaux existants bien avant l’arrivée de l’Islam et de rares avancées scientifiques mineures.