Parmi les arguments le plus souvent invoqués contre les Chrétiens figure le reproche d’avoir gravement, à au moins deux reprises, agressé les Musulmans : lors des croisades, puis, huit siècles plus tard, lors de la colonisation.
Ces « péchés », régulièrement invoqués par ceux qui ne semblent pas les avoir « digérés », feraient passer pour un juste retour des choses leur afflux massif en terre chrétienne et leur revendication du droit d’y affirmer leur foi.
Un tel argument est très largement repris chez nous : « avec tout ce qu’on leur a fait, on ne l’a pas volé ».
Ces reproches doivent toutefois être replacés dans une perspective historique plus large que celle du dernier siècle, ou même du dernier millénaire. (Lire l'article : Le point de vue des Européens sur l'Islam au 16e siècle)
Sans entrer dans les détails, il importe de rappeler quelques faits.
Presque du jour au lendemain, et pacifiquement, un Empire s’étendant d’est en ouest de l’actuel Iran à l’actuel Maroc, et du nord au sud de l’Écosse à l’Égypte, devient donc chrétien. Constantin, pour marquer cette rupture, transfère en 330 sa capitale de Rome à Byzance, qui prend le nom de Constantinopolis, la « ville de Constantin ».
La nouvelle religion se répand dès la mort du Prophète comme une traînée de poudre et toujours par le moyen de la guerre. Le Moyen-Orient (Syrie, Palestine, Égypte…) est subjugué entre 635 et 642, le Maghreb entre 660 et 710, l’Espagne dans les années 720, la France l’aurait été si Charles Martel n’avait remporté la victoire de Poitiers (732).
C’est donc en un siècle un énorme pan de la Chrétienté, comprenant les Lieux Saints, qui est par force islamisé.
Pendant près de cinq siècles, les Chrétiens purent toutefois continuer à se rendre en Terre Sainte. Le pèlerinage à Jérusalem est alors très répandu, mais devient de plus en plus périlleux jusqu’en 1078, où les Musulmans en interdisent complètement l’accès aux Chrétiens.
La première croisade eut donc pour objectif de réouvrir aux pèlerins la route de Jérusalem que leur interdisaient les Musulmans. Elle aboutit à la prise de la ville et à la reconstitution en Terre Sainte d’un éphémère État chrétien (1099-1291).
Le célèbre Cid de Corneille fut l’un des artisans de cette longue guerre, très dure puisque si la victoire chrétienne de Las Navas de Tolosa en 1212 est considérée comme un événement décisif, il fallut attendre 1492 pour que les armées d’Isabelle la Catholique mettent un terme définitif (?) à l’existence du Royaume islamique de Grenade (« et à la tolérance religieuse qui y régnait », nous apprend le journal Le Monde).
Le roi d’Arabie, de passage en Andalousie, a récemment demandé que la cathédrale de Séville soit rendue à l’Islam. L’archevêque de la ville lui a répondu qu’il faudrait d’abord rendre Sainte-Sophie de Constantinople au culte chrétien.
Car à l’époque même où l’Espagne se libérait du joug musulman, l’Empire byzantin succombait. Comme par un phénomène de vases communicants, le reflux de l’Islam en Espagne fut contemporain de sa formidable progression en Grèce et dans les Balkans. En 1453, Constantinople, capitale millénaire du premier empire chrétien, tombe entre les mains de l’Empire musulman des Ottomans, qui en font leur capitale (le nom d’Istanbul est une dégradation de celui de Constantinopolis).
On peut lire à ce sujet dans le dictionnaire d’Histoire universelle : « pendant près de trois siècles, le peuple serbe allait être soumis à une tyrannie très dure ; beaucoup de grandes familles serbes furent exterminées, le peuple réduit en servitude et des milliers d’enfants enlevés pour être élevés dans l’Islam et enrégimentés dans le corps des janissaires ».
Puis c’est la Bulgarie, l’actuelle Roumanie, la Hongrie qui succombent à leur tour. En 1683 (il y a trois siècles), les Musulmans assiègent Vienne dont la population, pour ne pas paraître affamée, leur lance par-dessus les remparts des petits pains en forme de croissants, symbole de l’Islam.
Ces « viennoiseries » auront la vie longue, mais qui se souvient encore de leur histoire ? C’est une intervention polonaise (déjà la Pologne !) qui délivre la capitale autrichienne.
Les Musulmans se montrent particulièrement cruels dans la répression des insurrections chrétiennes (le massacre de toute la population de l’île de Chio, en 1822, a été « immortalisé » par Victor Hugo).
La Grèce n’est libérée qu’en 1830, après quatre siècles d’occupation, la Bulgarie en 1876, la Bosnie en 1913.
En 1914 commence la première guerre mondiale, et c’est une époque charnière. L’Empire Ottoman s’allie en effet aux empires allemand et austro-hongrois. Il profite des hostilités pour en finir avec l’importante communauté arménienne (1,5 millions de morts).
Vaincu en 1918, l’Empire est démantelé en 1919 par le traité de Sèvres. Il n’existe plus depuis cette date d’État musulman unifié, mais des États islamiques indépendants et souvent rivaux les uns des autres. Le traité de Lausanne (1923) confirma (étrange amnésie ou volonté symbolique des puissances occidentales, devenues « « laïques » ?) le maintien de Constantinople-Istanbul dans la République turque.
Les derniers temps de l’Empire Ottoman ont vu les puissances occidentales profiter de son état « d’homme malade ». C’est la «colonisation ».
L’Algérie, la Tunisie et le Maroc ont été occupés par la France pendant respectivement 130, 80 et 40 ans ; l’Égypte par les Britanniques pendant 50 ans.
Ceux qui depuis cinq siècles campent à Constantinople nous invitent quotidiennement à battre notre coulpe pour quelques décennies de colonisation, ce que nous faisons bien volontiers. Mais si de nombreuses injustices ont certes été commises pendant cette brève période, il est en tout cas une chose que personne ne pourra venir reprocher aux « Chrétiens » : celle d’avoir tenté de convertir à leur foi les populations musulmanes des pays colonisés.
Il est caractérisé par un fait essentiel : la volonté constante d’expansion de l’Islam – pour qui le monde est divisé en deux parties : une « Maison de l’Islam » (Dar-el-islam) et une « Maison de la guerre » (Dar-el-harb – au détriment de la Chrétienté.
Ce dernier, qui a la mémoire plus longue, joue à fond de cet argument culpabilisant et inhibant. De la rancune des croisades à la nostalgie de l’Espagne islamique, il n’a, lui, rien oublié. Apparemment moins disposés que les Chrétiens à l’examen de conscience et à l’autocritique, les Musulmans leur font reproche d’avoir, même temporairement, reconquis d’anciennes terres chrétiennes.
Comme en leur temps les Marxistes, ils semblent considérer que l’Histoire est à sens unique, et que toute tentative d’en remonter le cours est proprement scandaleuse.
Mais l’on sent bien le défi que constitue pour les Chrétiens l’afflux pacifique dans leurs pays de millions de Musulmans porteurs d’une vision qui a le mérite d’être claire.
La ligne de front s’est aujourd’hui déplacée jusqu’au cœur de notre pays, de nos villes. La France est (re-) devenue Maison de la guerre, même s’il ne s’agit pas forcément d’une guerre au sens militaire.
Si nous devons relever ce défi en chrétiens, avec amour et espérance, nous ne devons pas en revanche nous voiler la face : quinze siècles nous éclairent sur le sens de ce que nous vivons aujourd’hui.