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Qu’est-ce qui poussa les paysans français à émigrer au Canada à partir de 1600 ?

Impasse techniquepénurie de terre et Petit Age glaciaire ne permettent plus aux paysans de la fin du seizième siècle de vivre de leur travail en France. Des terres ingrates mais disponibles aux Amériques seront, pour les plus entreprenants, une solution pour échapper à la misère. Dans les provinces conquises par les protestants huguenots, les moins entreprenants seront poussés à l'émigration par tous les moyens.

L'apogée de la vie rurale vers 1550

Le règne de Henri II (1547 à 1559) marque l’apogée, dans tous les domaines, de la vie rurale. Hormis les incursions impériales en Provence et en Picardie, les paysans français ont oublié depuis plus d’un siècle les horreurs et dévastations de la guerre. Dans toutes les provinces, l’ensemble des terres est cultivé, les vergers et vignes sont en plein rendement. Le niveau de production agricole, vue à travers du produit de la dîme, est florissant. Avec l’augmentation de la production et la hausse des prix, les propriétaires des terres peuvent prélever un loyer plus important sans conduire à la faillite.

Comme conséquence : le milieu du 16e siècle coïncide avec un maximum démographique. Les niveaux sont supérieurs de 15 à 20% à ceux de la fin du 18e en région parisienne ! La prospérité touche toutes les catégories de paysans : rares sont les brassiers qui ne possèdent pas leur maison ou un lopin de terre ou un jardin.

Des nuages dès 1530

Pourtant, dès les années 30, de sombres nuages apparaissent au loin. La croissance trouve ses limites naturellement : la production est durablement bloquée par l’immobilisme des techniques agricoles qui ne permettent plus de nourrir toutes les bouches. La révolution technique du Moyen Age, mise en œuvre peu avant l’an mille, a trouvé ses limites.

Avec l’accroissement démographique, les foyers nouveaux ne trouvent plus de terres disponibles ; les défrichements qui touchaient le midi et l’ouest ont fini par concerner des terres médiocres aux confins du finage.

L’étude des terriers seigneuriaux ou des compoix du midi, montre un morcellement des terres pendant toute la première moitié du 16e siècle. L’accroissement de la population paysanne associé au renouvellement rapide des générations a pour conséquence le morcellement des tenures familiales : soit que la coutume impose le partage égalitaire entre enfants, soit qu’un avantage soit accordé à l’un des enfants. La succession conduit donc à la création de nouvelles exploitations qui deviennent de moins en moins viables au fur à mesure qu’elles se morcellent. A partir de 1500, les familles paysannes s’appauvrissent ! A mi-siècle, le bilan est rude : quatre cinquièmes des ruraux n’ont pas assez de terres pour nourrir leur famille.

Une fausse idée, qui est bien ancrée depuis la révolution française, est de croire que la totalité des terres étaient, sous l’ancien régime, aux mains des nobles et du clergé catholique. Un long mouvement d’appropriation des terres par les paysans, commencé après l’an mille, a fini par créer une catégorie de paysans propriétaires. Le meilleur exemple en est le père de Jeanne d’Arc. L’accroissement de leur patrimoine de génération en génération a fini par être supérieur à bien de ceux des hobereaux ou chevalier ruraux ! Une catégorie de paysans aisés a ainsi vu le jour.

Un siècle et demi de misères pour les paysans

Pourtant, un mouvement de fond se dessine. La production n’a pas cessé de stagner au cours de cette première moitié du 16e et commence à régresser ; les vieux démons de la société paysanne réapparaissent : faim et disette. Entre 1525 et 1535 ; puis en 1545. Et pour aggraver les choses, la pression fiscale de la monarchie qui structure l’état ne cessera pas de croître ; il en est de même de la rente due au propriétaire.

Cet équilibre précaire du monde paysan va être amplifié par les évènements de la fin du 16e et de tout le 17e siècle. Après une réelle embellie, un siècle et demi de misères attendent la paysannerie française.

Le petit age glaciaire

Au titre des événements qui ont eu un impact important est le « Petit âge glacière ». Sans rentrer dans des débats idéologiques malsains, les sciences historique et archéologiques démontrent depuis une quarantaine d’année que le climat oscille sur une longue période entre des limites souples tantôt chaudes et sèches, tantôt froide et humide. Après l’optimum climatique (depuis la dernière grande glaciation) centré autour de l’an mille où le temps n’a jamais été aussi chaud, une période durable de refroidissement s’est produite : le « Petit Age glacière » ; Les historiens du climat le date de 1580 au milieu du 19e siècle. Les signes connus par les archives sont nombreux : avancées des glaciers dans les vallées alpestres ; fréquence des hivers rudes ; dates de vendange précoces ; dates de nombreuses inondations ; banquise en mer du Nord en 1709 – 1710 ; etc. Les effets d’un tel climat ne pouvaient pas être gommés par les techniques agricoles de l’époque et eut des conséquences sur plusieurs années de suite. Ce mouvement ne se fit pas de façon continue et régulière : il y eut des phases de profond marasme climatique et des phases de rémissions attendues. Il y eu trois périodes mauvaises : de 1580 à 1610 ; de 1640 à 1665 ; de 1690 à 1710. La période de 1670 à 1690 marque une trêve climatique.

Impasse technique, pénurie de terre et Petit Age glaciaire ne permettent plus aux paysans de vivre de leur travail en Europe occidental. Des terres disponibles aux Amériques seront, pour les plus entreprenants, une solution pour échapper à la misère. Mais, des évènements historiques spécifique à la France au 16e et début du 17e siècle pousseront les moins entreprenants à émigrer.

Qu’est-ce qui poussa plus particulièrement ceux du sud-ouest ?

Dans une conjoncture agricole morose, pour le monde rural, le fait marquant reste les guerres civiles qui déchirèrent presque toutes les provinces de France et qu’on nomme les « Guerres de religions ». A l’époque on parlait de « Troubles religieux ». huit guerres civiles successives !

Traditionnellement, les historiens les fait débuter en 1559 avec la mainmise du protestantisme français par les calvinistes lors de l’assemblée nationale de Paris, pour s’achever en 1598 avec l’Edit de Nantes qui accorda la liberté de conscience à tous les sujets. Nous verrons plus loin que l’instabilité politique et religieuse ne s’arrêta pas en 1598 !

Presque quarante ans de guerre civile qui mirent à genoux le monde rural déjà affaiblit par une évolution structurelle défavorable : vignes et vergers saccagés, bâtiments agricoles détruits, ponctions fiscales anéantissant toutes possibilités de redémarrage, pillages des armées royales ou de celles du parti huguenot, commerce déstructuré, etc. Le monde rural paya un lourd tribut comme dans toutes les guerres.

Sans oublier son lot de morts civils et de rancœur entre communautés qui est plus spécifique des guerres civiles ! Il serait long de citer toutes les horreurs commises dans ces phases de fanatisme exacerbé. Le baron des Adrets reste célèbre pour sa cruauté gratuite : en 1562, il força les vaincus assiégés dans le château de Montbrison à se jeter du haut des remparts sur les piques de ses soldats. Il renouvela son forfait à Mornas de Provence. Cet épisode tragique resta longtemps dans la mémoire des catholiques. Comme la « Michelade » qui eut lieu six ans avant la Saint Barthélemy au cours de laquelle tous les catholiques nîmois furent massacrés dont un grand nombre qui furent enfermés dans la cathédrale à laquelle les huguenots mirent le feu.

Durant ces quarante ans, plusieurs édits de pacification furent promulgués, le premier étant le plus favorable aux protestants[1]. L’édit de Nantes clôt cette période.

Les différents articles de l’édit de Nantes furent débattus âprement entre belligérants. Il accorda aux protestants la liberté de culte dans tous les lieux où le protestantisme était implanté avant 1597. A cela, il faut ajouter les 3500 seigneurs justiciers et deux localités par baillage. Sans oublier plus d’une centaine de lieux de refuge ou places de sûreté[2].

Avant l’édit de Nantes, le culte protestant était interdit dans certaines grandes villes comme Rouen, Toulouse, Lyon ; Il le restera. Après l’édit, le culte catholique fut interdit dans des villes comme La Rochelle, Saumur, Montauban ou Montpellier. Dans les pays à dominante réformée, les catholiques ne pouvaient plus se rendre au culte comme le faisaient leurs ancêtres : leur église était détruite ou l’accès en était barré par un piquet sur l’ordre d’un chef protestant local. C’est ainsi qu’un gros quart du territoire français resta sous contrôle huguenot.

De 1550 à 1580, on pouvait déjà dessiner une France rurale protestante : Cévennes, pays d’Agen et de Montauban, Angoumois, Saintonge, Poitou, Béarn, Haute Normandie. Elle sera confortée par l’édit de Nantes.

A y regarder de plus près, le mot tolérance n’apparaît pas dans le texte, malgré l’idée qu’on s’en fait et le cliché construit pour le tricentenaire de la révocation de l’édit de Nantes. Il s’agit bel et bien d’un partage du territoire entre catholiques et huguenots, accro à l’unité française. Il permet au mieux « de coexister dans l’intolérance[3] ».

L’édit de Nantes n’amena pourtant pas la paix : en 1615 les huguenots se révoltèrent contre la politique de Marie de Médicis qui ne leur était pas favorable ; en 1620 Louis XIII, alors majeur, occupa le Béarn afin de rétablir la liberté de culte catholique ; à la même date, le parti huguenots créa à La Rochelle l’Union des provinces réformées de France sur le modèle des Pays-Bas ; etc. Le 28 juin 1629 est mis fin à l’état dans l’état constitué par le parti huguenot : c’est l’édit de grâce d’Alès imposé par Louis XIII et le cardinal de Richelieu.

Pour les catholiques, il ne faisait pas bon vivre en terres protestantes, même après la proclamation de l’édit de Nantes. Ce fut pour eux une des raisons, et non des moindres, de l’appel à l’émigration. Cela explique pourquoi, essentiellement, ce sont des paysans et nobles ruraux du sud-ouest qui émigrèrent en Nouvelle-France et en Acadie afin de fuir les excès du calvinisme et l’embryon de puritanisme qu’il imposait.

Une condition importante permit que cela se concrétise. La société rurale du 16e siècle était encore plus sensible aux hiérarchies que le monde urbain : le rôle du notable y était déterminant. Pour le monde rural, il s’agissait du seigneur[4]. C’est ainsi que les ruraux, dans leur grande majorité, adoptèrent la religion de leur seigneur. A l’appel de ce dernier, ils n’hésitèrent pas à partir en petite communauté en Nouvelle-France afin de créer de nouveaux fiefs.

En Acadie, les migrants catholiques, pensant reconstruire un pays paisible, n’imaginaient pas qu’ils allaient vite se confronter aux excès du puritanisme venu d’Angleterre ! L’exemple le plus connu est celui de la ville de Salem, fondée en 1626, qui fut le siège tout le 17e siècle d’une chasse aux sorcières par laquelle une société protestante puritaine chercha à assouvir ses névroses dans la cruauté hystérique la plus totale. En réaction à ce puritanisme qui s’étendait sur la côte est, il est juste de citer les cas de protestant qui luttèrent comme Roger Williams qui prônait le libéralisme politique et religieux et fonda « La plantation de Providence » sur Rhode Island ; ou encore le quaker William Penn[5] qui fonda, en 1681, un état démocratique tolérant vivant en bonne entente avec les indiens Algonquins.

[1] L’édit de Saint Germain du 16 janvier 1562 qui attribuait aux protestants un statut de minorité reconnue et protégée (édit connu sous le nom de Edit de janvier).

[2] Le Catholicisme reste religion d’état dans le royaume ; le culte réformé demeure interdit à Paris et dans les villes où réside la cour.

[3] Le culte protestant condamne la liberté religieuse. En 1570, Théodore de Bèze, successeur de Jean Calvin, déclare : « Dirons nous qu’il faut permettre la liberté de conscience ? Pas le moins du monde, s’il s’agit de la liberté d’adorer Dieu chacun à sa guise. C’est là un dogme diabolique. »

[4] Pour le monde des bourgs et des villes, c’est les élites qui imposeront leur choix (essentiellement les notaires, officiers de justice et bourgeois).

[5] Il donnera son nom à l’état de Pennsylvanie.

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