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De quoi le fascisme est-il le nom ?

Aujourd’hui, de tout et de rien. La rupture consommée, l’odieux déchiffré, on devient le fasciste de l’autre. Inévitablement. Comment expliquer ces facilités langagières ? Non par le positionnement idéologique mais par l’inculture politique croissante.

Jusque dans les années 80/90, l’accusation de fascisme était portée par des gens se réclamant du communisme de parti ou d’une forme de marxisme. Ce référencement se faisait à partir d’une lecture militante du XXème siècle, de la création des faisceaux de combat  par Mussolini en 1919 à la disparition des deux dictateurs ibériques, Salazar et Franco, 1970-1975.

En France, l’historiographie universitaire du fascisme était la chasse gardée de spécialistes encartés à gauche. Un cas amusant, celui de Pierre Milza (1932-2018). Ce « grand spécialiste » du fascisme attendit les années 90 pour, enfin, lire les deux auteurs italiens indispensables sur cette matière, Renzo de Felice et Emilio Gentile. Il en résulta une biographie, habilement révisionniste, de Mussolini (Fayard, 1999).

Frédéric Le Moal qui vient d’écrire une Histoire du fascisme (Perrin) est un historien délié de toutes ces adhérences. Sa démarche est rigoureusement nominaliste. Pour lui, le fascisme naît en 1919 et meurt en 1945, avec l’exécution de son chef. Point final. Son étude, très dense, fortement référencée insiste sur les sources plurielles voire contradictoires du fascisme qui est l’affaire d’une génération de très jeunes hommes sortis indemnes des tranchées. Jusqu’en 1922, le pouvoir est à prendre. Discréditée, la classe politique est condamnée. Ce sera une course de vitesse entre les rouges, kominterniens, et les noirs, qui l’emporteront.

Le Moal insiste sur la personnalité ambigüe de Mussolini, trop vite présenté comme un César de carnaval. Autodidacte, il a le goût de la culture et la respecte sous toutes ses formes. Alors que dans la Russie soviétique et, pire, dans l’Allemagne nazie, la vie culturelle est enrégimentée et abêtie, dans l’Italie fasciste – au moins durant les dix premières années – elle fermente, bouillonne et invente.

Le fascisme rallia l’essentiel de ce qui comptait dans la vie intellectuelle, littéraire et artistique. Outre D’Annunzio, déjà dépassé, le philosophe Gentile, la plupart des futuristes (Marinetti), Malaparte, les deux Chirico, Morandi, Pirandello, l’architecte Terragni, le physicien Marconi… Le Moal (p. 217-230) insiste sur l’apport cinématographique du fascisme : très peu de films de propagande ( souvent mauvais), le champ libre laissé à de jeunes réalisateurs, Visconti, Rossellini, de Sica… Le néo-réalisme se pensa dans la Cinecitta mussolinienne.

Les Italiens appréciaient le nouveau régime. Ils  retrouvaient ordre, dignité et progrès social. L’hostilité resta longtemps marginale. De toutes les dictatures du XXème siècle, le fascisme fut le moins répressif (Le Moal, p.239). Il suffit de lire le chef-d’œuvre de Carlo Levi, Le Christ s’est arrêté à Eboli (1948) pour découvrir qu’on est loin de Buchenwald et du Goulag.

Avec la crise mondiale et ses effets en Europe, le régime fasciste décréta l’autarcie, il se durcit et se sclérosa. Mussolini qui naviguait a vue crut trouver dans les conquêtes coloniales, les agressions et les annexions un dérivatif. L’aide apportée à l’Espagne nationaliste usa l’outil militaire et en révéla les faiblesses. L’alliance avec l’Allemagne fut l’erreur majeure et Mussolini perdit la main en moins de trois ans.

On lira chez Le Moal (p. 340-372) l’effort ultime de Mussolini pour renouer avec les aspirations d’origine du fascisme, rupture avec l’ordre bourgeois, avec  la main mise cléricale, retour à un socialisme national… Mais satellisée par l’Allemagne, la république sociale italienne, dite de Salò, n’avait aucune chance de l’emporter. Elle se perdit dans l’application des lois racistes du Reich et dans une guerre civile atroce.

Le Moal conclut : « L’histoire du fascisme, son programme, ses aspirations autant que ses réalisations concrètes interdisent de le considérer comme un phénomène réactionnaire (…). Rien ne permet de douter de la prétention révolutionnaire des chemises noires. Nous en avons donné d’innombrables preuves. »

Je terminerai avec le chef-d’œuvre  de Federico Fellini, Amarcord (1973). Il y condense tout ce qu’il a vu, vécu et compris du fascisme ; sa force, ses tares, ses ridicules. On y voit (deux fois) cette séquence : dans une petite ville, la nuit, dans son cœur historique débordant de monuments, comme un décor, passe et repasse un motard carapaçonné de noir. Le poids des siècles, le choc du futur, à inventer.

Jean HEURTIN

Frédéric Le Moal une Histoire du fascisme (Perrin)

Crédit photo : DR
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