A moins de deux mois du scrutin du 9 juin, l’Euro-Rolling 2024 Ifop-Fiducial pour LCI, Le Figaro et Sud Radio révèle des premières tendances de ce début de campagne (sondage entier ici)
– un rapport de forces électoral largement dominé par le RN qui devance nettement la liste Renaissance ;
– une gauche éparpillée où seule émerge la liste socialiste avec plus de 10% des intentions de vote ;
– une faible dynamique enregistrée pour la liste LR qui – entre Renaissance, Reconquête et le RN – peine à trouver sa place.
– un tassement de la liste de la majorité qui marque les limites de la stratégie macroniste de nationalisation du scrutin et de la tentative de le réduire à un duel avec le RN.
Plus largement, dans cette campagne, se fait jour une domination du bloc de droite nationale- populiste aux élections européennes, premier scrutin majeur depuis le la séquence électorale de 2022.
1.Le point d’étape sur le rapport de forces électoral
Un duel RN-majorité présidentielle qui tourne à l’avantage de l’opposition
Les premières intentions de vote de l’Euro-Rolling 2024 montrent la domination de la liste du Rassemblement national (31%), qui devance de 13 points la liste de la majorité présidentielle (18%). La liste menée par Jordan Bardella parvient à rassembler les électeurs de droite : elle réaliserait notamment un bon score auprès des électeurs d’Éric Zemmour au premier tour de la présidentielle (34%), et parviendrait à obtenir 13% des électeurs de Valérie Pécresse en 2022. La domination du RN apparaît d’autant plus solide que ses électeurs sont ceux qui, comme lors des élections européennes de 2019, montrent la plus forte sûreté de choix : si, en moyenne, 71% des personnes interrogées se disent sûres de la liste pour laquelle ils envisagent de voter, ce chiffre monte à 85% auprès de l’électorat du Rassemblement national. La majorité présidentielle, quant à elle, peine à retrouver son niveau de 2019, où elle rassemblait, deux mois avant les élections, 22% des intentions de vote contre seulement 18% aujourd’hui, alors même que l’UDI, qui avait présenté une liste à l’époque (2,5% des voix) s’est alliée cette année à la liste de la majorité présidentielle.
Alors qu’en 2019, le parti fondé par Emmanuel Macron réalisait, deux mois avant les élections, ses meilleurs scores notamment chez les cadres (36%), les plus diplômés (33%) et les personnes habitant l’agglomération parisienne (33%), il ne parvient pas autant à mobiliser ces mêmes segments de la population aujourd’hui. Ainsi, 29% des cadres, 26 % des plus diplômés et 21% des habitants de l’agglomération parisienne indiquent avoir l’intention de voter pour la liste de la majorité présidentielle. Seules les catégories les plus aisées semblent se montrer toujours autant fidèles au parti présidentiel (33 % d’intentions de vote en 2019, 31% en 2024). A l’inverse, le Rassemblement national a non seulement conforté sa base électorale, en performant particulièrement auprès des ouvriers (50%), des moins diplômés (41 %), et des catégories modestes (37%), mais l’a également élargie, en obtenant 17% des intentions de vote des cadres (2 points de plus qu’en 2019 à la même époque), 30% de celles des dirigeants d’entreprise (18 points de plus) et 16% de celles des plus diplômés (6 points de plus).
Une percée de la liste PS-PP, les autres gauches et la droite modérée en difficulté
À gauche, tout comme en 2019, la grande diversité de l’offre entraîne un morcellement de l’électorat. La liste du Parti socialiste-Place Publique semble cependant se détacher en atteignant aujourd’hui 12,5 % des intentions de vote, soit deux fois son score de 2019. La liste menée par Raphaël Glucksmann profite d’une redistribution des cartes au sein de la gauche, en captant nombre d’électeurs déçus de Jean-Luc Mélenchon (26 % de ses électeurs du 1er tour de 2022), et dans une moindre mesure d’électeurs issus des rangs du macronisme (10% des électeurs Macron au 1er tour de 2022). La liste PS-PP est suivie par la liste de la France insoumise (8%, au même niveau que deux mois avant les élections de 2019) et par celle des Écologistes (6%) qui peine à retrouver son niveau d’il y a cinq ans au même stade – 8 % –, et du Parti communiste (3%). L’éclatement de l’électorat de gauche se traduit aussi par une forte incertitude de choix de leurs électeurs, dont toutes les formations de gauche semblent souffrir : si en moyenne, 71% des électeurs se disent sûrs de leur choix, ils sont seulement 66 % parmi les électeurs de la liste LFI et ceux du PS-PP, et seulement 54 % parmi ceux des Écologistes.
La liste Les Républicains, conduite par François-Xavier Bellamy, se situe à un étiage similaire à son niveau de 2019 (8,5% des suffrages exprimés) en réunissant 8,5% des intentions de vote. La liste Reconquête, menée par Marion Maréchal, rassemble 6,5% des intentions de vote. Les deux listes peinent à conserver leur électorat du 1er tour de la présidentielle de 2022 : la liste LR n’obtient que 61% des intentions de vote des électeurs de Valérie Pécresse ; celle de Reconquête seulement 55% des électeurs d’Éric Zemmour. La liste LR parvient cependant à capter quelques électeurs d’Emmanuel Macron au 1er tour de 2022 (11%).
Un rapport de force largement dominé par la droite nationale-populiste
Les listes de la droite nationale-populiste – le Rassemblement national, Reconquête, l’UPR et Les Patriotes – dominent largement ce début de campagne, avec 38,5% des intentions de vote, soit 10 points de plus que ce qu’elles avaient obtenu lors des élections européennes de 2019, où le RN, LP, l’UPR et DLF avaient rassemblé 28,5% des suffrages exprimés. Ce bloc de droite nationale-populiste devance de 8 points l’ensemble des listes de gauche (30,5%). En difficulté dans le début de cette campagne, la majorité présidentielle (18%) semble nettement distancée par ce bloc.
Cette dynamique des forces « nationalistes » repose sur un renforcement de la base sociologique traditionnelle de la droite radicale – elles performent notamment chez les ouvriers (56 %) et chez les employés (49 %) – mais aussi sur un élargissement à des segments jusque-là plus réticents. Ainsi, les listes de droite nationale-populiste parviendraient à marcher sur les terres de la macronie en rassemblant 37 % des intentions de vote des retraités (contre 28% pour la majorité présidentielle), et 35% des dirigeants d’entreprise (contre 29%).
En l’état actuel, le Rassemblement national et Reconquête seraient les grands gagnants des élections européennes de 2024, en obtenant respectivement 29 sièges (+6 par rapport au nombre de députés que le parti a aujourd’hui) et 6 sièges (+6), suivis, dans une moindre mesure, de la liste PS-PP (11 sièges, +3), et de celle de LFI (7 sièges, +1). La liste LR menée par François-Xavier Bellamy perdrait un 1 siège (7). Enfin, Renaissance (16 sièges) et les Écologistes (5 sièges) seraient les grands perdants de l’élection, en obtenant respectivement 7 et 8 sièges de moins qu’au scrutin précédent.
2.Un vote qui s’annonce avant tout dicté par les « enjeux nationaux » et notamment l’envie de sanctionner le gouvernement
Dans la signification qu’ils donnent à leur vote, bien que les scènes politiques nationales et européennes se recoupent de plus en plus, les enjeux nationaux priment encore sur les enjeux européens pour plus d’un électeur sur deux (56%), un score similaire à celui enregistré en mars 2019 (53%) lors de la précédente campagne européenne. Le prisme national est donc bien ancré pour cette campagne européenne, et teintera en particulier le vote de l’électorat du Rassemblement national (77%), traditionnellement en position de rejet de l’UE.
En outre, cette primauté donnée au national s’observe également sur la question de la place du vote sanction dans ce scrutin : une part significative (41%) d’électeurs déclarent qu’ils voteront pour « sanctionner la politique du président ». Cette tendance se révèle massive parmi les oppositions : 84% des sympathisants la France insoumise et 68% du Rassemblement national déclarent vouloir sanctionner le gouvernement par leur vote.
3.Le regard des Français sur la campagne : qui fait la meilleure compagne et qui va gagner ?
Effet potentiel du meeting de lancement de la campagne du RN le 3 mars dernier par Jordan Bardella, le parti de droite nationale-populiste semble se distinguer par rapport aux autres formations : un tiers (34 %) des Français pensent que le RN est le parti qui a mené, cette semaine, la meilleure campagne. Cette bonne image de la campagne du Rassemblement national se traduit également dans le pronostic de victoire. À deux mois du scrutin, près d’un électeur sur deux (44 %) anticipe une victoire de la liste du RN, contre seulement 7 % qui pronostiquent une victoire de la majorité présidentielle. L’élection paraît donc, aux yeux des Français, moins incertaine qu’il y a cinq ans au même stade : 18% prédisaient une victoire du RN, 27 % de la majorité présidentielle, et 34 % ne savaient pas.
Hugo Lasserre et Mathilde Tchounikine, chargés d’études sénior au pôle Actualités et politique de l’Ifop
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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