Regis Le Sommier
Gérald Darmanin l’assure : « l’Azerbaïdjan, ce n’est pas un fantasme, c’est une réalité. » Le ministre français accuse « une partie des indépendatistes » d’avoir « fait un deal » avec la dictature d’Ilham Aliyev. Bakou réfute : « Nous démentons tout lien entre les leaders de la lutte pour la liberté calédonienne et l’Azerbaïdjan », affirme l’Azerbaïdjan, voyant dans les propos du ministre « une campagne de calomnie » dirigée par Paris. Gérald Darmanin n’a pas tort pourtant. Les faits sont là. D’abord dans les manifestations, où le drapeau de l’Azerbaïdjan a été brandi à de nombreuses reprises à côté de la bannière du FLNKS. Étrange, lorsqu’on réalise que Bakou se trouve à 14 000 kilomètres de Nouméa... Ensuite, par les déplacements – trois au moins –, d’une délégation de représentants des peuples autochtones à Istanbul, pour assister le 1er mars dernier à une conférence tous frais payés, selon les services de renseignement français, sur la décolonisation. Car derrière l’Azerbaïdjan, il y a bien sûr la Turquie...
Les représentants ont formé le groupe d’initiative de Bakou, un collectif de 14 mouvements luttant pour l’indépendance des dernières colonies françaises qui diffuse des communiqués. Il est plus difficile d’assurer qu’en dehors de cette aide « idéologique », une véritable stratégie de déstabilisation de l’archipel français ait été mise au point par les Azerbaïdjanais. Il reste évident que Bakou cherche à faire payer à la France l’aide militaire que celle-ci apporte à l’Arménie. Jeter de l’huile sur le feu dans un bout de France au-delà des mers est sans doute davantage une aubaine que la mise en œuvre d’un plan machiavélique. Attention à ne pas reproduire les travers des guerres d’Indochine ou d’Algérie, trop longtemps perçues comme des agitations orchestrées par l’Union soviétique et la Chine, ce qui permettait d’occulter la propre responsabilité de la France. Ce n’est pas l’étranger qui crée le problème, même si c’est souvent lui qui en profite. L’Azerbaïdjan n’est d’ailleurs pas le seul pays à militer pour l’indépendance du « Caillou ». Depuis de nombreuses années, la Chine cherche à s’ouvrir de nouvelles routes maritimes dans le Pacifique pour y accroître son influence. La Nouvelle-Calédonie l’intéresse au premier plan. Prenant acte du repli de la France en Afrique, Pékin pense tirer profit de l’affaiblissement de notre pays. La fermeture du réseau TikTok depuis le début des émeutes est une première réponse de la France. Cette décision tient d’abord au fait que TikTok sert d’instrument de com- munication et de promotion de leurs exploits pour les émeutiers. Mais il s’agit aussi d’envoyer un signal en mettant un coup d’arrêt au puissant réseau chinois. Les États-Unis ne sont pas en reste et poursuivent des visées expansionnistes à partir de leurs prés carrés des Philippines, de Palaos, des Îles Marshall, de Jarvis ou des Samoa. L’Australie regarde également d’un œil bienveillant la dégradation de la situation à Nouméa. Elle dispute depuis longtemps à la Chine ses ambitions expansionnistes dans la zone. Ayant fait main basse sur Samoa et Nauru, elle lorgne sans vergogne sur l’« or vert » calédonien, le nickel, dont les sous-sols de l’île contiendraient entre 20 et 30 % des ressources mondiales. La Nouvelle-Zélande, dont l’influence s’exerce sur Tokelau et Niue, fait partie des prédateurs. Même si l’exploi- tation de ce minerai qu’on appelle l’« or vert » est au bord de la faillite, ce qui provoque sur l’île une crise économique majeure (son cours est passé de 50 000 à 19 000 dollars la tonne), il reste très convoité. Cet intérêt pour les ressources minières de l’archipel et ses zones de pêche n’est pas nouveau. Jacques Chirac avait autrefois remis les Australiens à leur place en leur rappelant que pour des gens qui souhaitent l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie et le bien-être du peuple kanak, ils n’en avaient pas moins, au cours de leur histoire, massacré leurs propres autochtones
Source : Journal du dimanche 19/5/2024