Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Un stalinisme d'atmosphère

240520

Une récente conférence m'a conduit à revisiter un livre que je datais d'avant le déluge, puisqu'antérieur à la chute sans gloire de l'URSS. S'exprimant ce 14 mai devant un cercle choisi d'anticommunistes avertis, Jean-François Bouthors, ancien collaborateur de La Croix y développait en effet une intéressante analyse.

Selon lui, la date cruciale de la fin de l'Union soviétique ne fut pas sa dissolution en 1991, mais bien l'arrivée au pouvoir de Youri Andropov en 1982, chef du KGB. Ses prédécesseurs avaient accédé au statut de dictateur en qualité de secrétaires généraux du Parti. Désormais, si nous suivons cette thèse, la Russie ne serait plus gouvernée uniquement par les apparatchiks et autres idéologues du marxisme-léninisme, mais principalement par ceux qu'on appelle à Moscou les siloviki, les maîtres des organes dits de sécurité.

Ainsi sommes-nous invités à comprendre le régime poutinien installé depuis bientôt un quart de siècle.

Ceci amena votre chroniqueur à ressortir de sa bibliothèque un petit livre vieux de plus de 40 ans. Écrit par un des plus pertinents auteurs de la dissidence, Jaurès Medvedev il décrivait en 1983 "Andropov au pouvoir" [tr. Anne Beaupré in coll. Champs Flammarion, 254 pages]. La question décisive devient alors celle de la répression, qu'il introduit de la manière suivante [chapitre VIII, page 87] :

"Depuis Lénine, la dissidence politique n'a pas été tolérée en Union soviétique. Ceci est caractéristique d'un Etat à parti unique, et même plus caractéristique encore d'un Etat communiste à parti unique."

Le contexte est éclairé par le principe caractéristique suivant :

"Selon la doctrine régnante, la société communiste constitue la forme la plus accomplie de développement social et la seule société juste possible ; aussi toute expression d'antisocialisme et d'anticommunisme est-elle considérée comme un délit."

En vertu de cette doctrine implacablement logique :

"le Code pénal de Staline, [...] comporte plusieurs définitions complexes relatives aux crimes politiques, aux activités antisoviétiques et aux opinions antisocialistes ; toute personne peut ainsi être arrêtée et emprisonnée pour opinions antisocialistes ou critiques sans les avoir jamais exprimées en public : en privé, cela suffit."

En conséquence, dans les années 1930, "la chasse aux ennemis du socialisme atteignit un niveau de paranoïa général."

La Grande Terreur est ainsi déclenchée en août 1936, avec le premier procès de Moscou à l'encontre de dirigeants historiques du parti bolchevik. Elle culmine entre août 1937 et novembre 1938, période qui vit la liquidation létale de 750 000 personnes, et la déportation de millions d'êtres humains.

Or, à partir du discours secret de 1956, "on doit à Khrouchtchev d'avoir mis fin à cette attitude paranoïaque vis-à-vis de la critique. En dénonçant les crimes de Staline, en réhabilitant ses nombreuses victimes et en adoptant d'autres mesures pratiques, il provoqua un changement d'interprétation du terme crime politique."

À ce stade il faut se départir d'une erreur couramment commise dans les milieux du courant occidental dominant.

Elle attribue à Mao le mérite d'une imaginaire distance avec le stalinisme, sous prétexte qu'à partir de 1960 le fossé ne cessa de s'élargir entre Moscou et Pékin, au point que Nixon et Kissinger allèrent conclure en 1973 une belle et bonne alliance antisoviétique avec la Chine rouge.

Cette erreur de parallaxe est tellement répandue, à un demi-siècle de distance, qu'elle était encore réaffirmée mécaniquement ce 19 mai sur LCI par l'inévitable Alain Bauer, au bagout imparable et incomparable. Supposé tout savoir en ses qualités de professeur de criminologie et d'ancien grand maître du grand orient, il croit pouvoir dire : "Mao haïssait Staline". Contre-vérité absolue. En réalité, le Grand Timonier de la révolution chinoise nourrissait la plus grande admiration pour le Petit Père des Peuples et copiait assez fidèlement ses méthodes, dans tous les domaines.

Ce que Mao reprochait à Khrouchtchev, qu'il méprisait, c'était précisément sa rupture avec le stalinisme. La rivalité entre les deux pays-empires n'est rien en comparaison de la lutte entre deux factions communistes.

L'injure suprême, adressée à partir de 1966 à l'encontre de Liu Shaoqi, numéro 2 du régime et président nominal de la république le qualifiait de "Khrouchtchev chinois". Arrêté en 1967, molesté par les gardes rouges, il fut destitué en octobre 1968, et mourut en prison en 1969. Il ne fut réhabilité qu'en 1980 sous le règne de Deng Xiaoping, autre "Khrouchtchev chinois"...

Et ce à quoi nous assistons à de nombreux égards ressemble fort à un rétablissement, à Pékin comme à Moscou, d'un véritable stalinisme d'atmosphère dans le contexte d'une nouvelle guerre froide. Des anciens du KGB, on entend dire par les Moscovites : "c'était notre ENA". Espérons seulement que la réciproque ne se révèle pas exactement symétrique...

Il devient donc urgent que l'Europe libre se solidarise avec les dissidents, en Russie comme en Chine.

JG Malliarakis 

https://www.insolent.fr/2024/05/un-stalinisme-datmosphere.html

Les commentaires sont fermés.