par Jean-Philippe Chauvin
La reprise de la contestation agricole ces derniers jours n’est pas vraiment une surprise : les promesses faites aux agriculteurs l’hiver dernier sont largement restées lettre morte, d’autant plus depuis la dissolution hâtive et désordonnée de l’Assemblée nationale en juin dernier par le président de la République ! La résistance de la France face à la perspective de la signature du traité dit du Mercosur par l’Union européenne est-elle suffisante pour amoindrir la colère paysanne ?
Il semble bien que cela ne puisse plus suffire car la Commission européenne et l’Allemagne (entre autres) sont bien décidées à ne pas tenir compte de la position française sur ce plan-là comme sur beaucoup d’autres ces dernières années : que fera la République française si, d’aventure, le traité est signé ces heures prochaines ? S’inclinera-t-elle (ou, plutôt, s’humiliera-t-elle…) pour respecter les règles d’une Union européenne qu’elle entend ne pas remettre en cause quoiqu’il advienne ? Sacrifiera-t-elle ainsi une grande partie de nos éleveurs (entre autres) auxquels cette même Union impose des règles et des normes qui, pour ne pas être toutes inutiles, sont le plus souvent comminatoires et fort peu appropriées aux enjeux du moment, particulièrement sociaux et, ici, ruraux et agricoles ?
Ce projet d’accord avec les pays d’Amérique du Sud révèle à l’envi toute l’hypocrisie d’une Union qui se veut écologiquement irréprochable chez elle (ce qui peut prêter à sourire, en fait) mais accepte toutes les dérives loin du continent européen, comme si l’éloignement garantissait l’impunité aux destructeurs de la forêt amazonienne et de la savane du Cerrado : en somme, l’Union européenne délocaliseles productions agricoles de son propre continent après avoir laissé les grandes entreprises délocaliser notre industrie depuis plus de quarante ans, avec les conséquences économiquement et socialement désastreuses que l’on connaît… L’environnement des pays sud-américains et les emplois des agricultures européennes seront les principales victimes de cet accord « bœuf brésilien contre voitures allemandes », mais qu’importe aux idéologues de la mondialisation libérale qui ne jurent que par le libre-échange et en oublient les producteurs de base !
Il est pourtant bien possible que nous arrivions à la fin d’un cycle, et que le temps du libre-échange incontesté soit en passe d’être révolu : le durcissement probable de la politique d’extrême protectionnisme des États-Unis dans les mois prochains et la prise de conscience de nombre d’États qu’un protectionnisme raisonnable est d’abord préservateur de leurs propres intérêts et qu’il tend aussi à diminuer les effets d’une circulation trop intensive (et fortement carbonée…) des produits autour de la planète, sont autant de signes annonciateurs de cette dévaluation dans les esprits de la logique (et de la pratique ?) de la mondialisation sans entrave. L’empressement allemand à signer le traité avec le Mercosur se conjugue désormais avec la peur de la désindustrialisation Outre-Rhin, ce processus a commencé tranquillement en 2016 sans, alors, alerter la chancelière Merkel ni les acteurs publics allemands persuadés de l’éternité de l’industrie triomphante allemande.
Les agriculteurs français ne doivent pas faire les frais de l’aveuglement des élites mondialisées qui siègent à Bruxelles ou à Francfort, ni de la faiblesse et de la bêtise d’une République française qui a, depuis plus de quarante ans, si systématiquement désarmé industriellement et productivement le pays, au risque d’une dévitalisation économique et d’une explosion de l’endettement (public comme privé) français. « Faites-moi de bonnes politiques, je vous ferai de bonnes finances », affirmait crânement le baron Louis au pouvoir royal en 1830 : sa formule devrait inspirer tous ceux qui se targuent aujourd’hui de se mêler de politique et des affaires de l’État : cela leur éviterait quelques errements…