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Les Khmers rouges : l’enfer sur terre au nom de l’avenir radieux du communisme

Les Khmers rouges : l’enfer sur terre au nom de l’avenir radieux du communisme

Dans la seconde moitié des années 1970, près d’un tiers de la population cambodgienne a été tué par le régime des Khmers rouges, un mouvement communiste radical d’inspiration maoïste. Le procès des Khmers rouges – Trente ans d’enquête sur le génocide cambodgiens (Éditions Gallimard, 465 pages, 24,90 euros) du journaliste Francis Deron, demeure un ouvrage de référence sur cette « machine à broyer les hommes qu’institua cette idéologie parvenue au pouvoir ».

Formés dans les universités françaises

En 1962, après l’assassinat par la police politique du régime de Norodom Sihanouk d’un chef historique clandestin, « un petit groupe de communistes d’âge moyen, qui ont en commun d’avoir suivi des études supérieures en France – entre passables et médiocres, pour être indulgents – au début des années 1950, voient leur heure venue. Parmi ceux-ci, un professeur de lycée de 36 ans, fils de bonne famille, du nom de Saloth Sâr. […] Tous ou presque ont fait leurs écoles en communisme en marge de la Sorbonne, orbitant autour du Parti communiste français. »

En 1963, Saloth Sâr, qui adoptera plus tard le nom de guerre de « Pol Pot », devient le chef du mouvement communiste clandestin au Cambodge.

Phnom Penh « libéré »

L’armée de la forêt s’empare de Phnom Penh le 17 avril 1975, cinq jours après le départ des derniers Américains.

Dans un article publié à la Une et intitulé « La fête à Phnom Penh », Patrice de Beer, l’envoyé spécial du Monde, décrit l’« enthousiasme populaire » qui accompagne l’entrée des Khmers rouges dans la capitale du pays, au moment où règne en France « une atmosphère d’empathie pro-Mao et pro-Pol Pot dans les milieux intellectuels français, encore marqués par l’opposition à la guerre américaine au Vietnam ».

Ce journaliste ne voit pas – ou ne veut pas voir – que dès leur arrivée, à la pointe de leurs fusils chinois, les hommes en noir vident la ville de toute sa population, malades hospitalisés, infirmiers et médecins compris. Des militaires du régime pro-américain qui tentent de se débarrasser de leur uniforme sont fusillés sur-le-champ. Pendant trois semaines, cet exode conduit, à pied, tous les citadins vers des camps de travaux agricoles, moins ceux qui sont laissés morts sur les bas-côtés.

Le Cambodge se referme, à l’exception de rares ambassades où résident encore quelques diplomates.

L’Angkar (« L’Organisation ») promet le bonheur à la population en mettant en place un « programme » visant à créer un « peuple nouveau » et à remplacer l’État cambodgien par une « nouvelle puissance étatique révolutionnaire ».

Dès lors, tous ceux qui sont suspectés d’appartenance au camp ennemi doivent être éliminés : les porteurs de lunettes s’en voient tout d’abord privés avant d’être envoyés en camp de travaux forcés, dans le meilleur des cas (le superviseur de l’opération est lui-même porteur de lunettes !). Les boutiques de tailleur sont fermés et les artisans sont également expédiés dans les camps. En outre, tout ce qui symbolise la « vieille société » est détruit, à l’instar de motos Harley-Davidson en parfait état de marche…

« Le Kampuchéa démocratique [proclamé en janvier 1976] ne connaîtra jamais aucun tribunal, ni aucune loi, ni aucune “élection”, si les mots ont un sens. Quant à la religion, elle sera éradiquée et ses serviteurs envoyés aux champs – ou assassinés. »

Tandis que des purges successives éliminent les cadres supérieurs communistes, le pouvoir repose de fait « sur les petits nervis incultes qui forment sa piétaille et dominent une population terrorisée et affamée ». Une grande latitude est laissée « à des gamins illettrés, mais fortement endoctrinés ».
Pour autant, « on est loin d’une situation chaotique où des subalternes auraient pris sous leur chapeau d’ordonner des massacres en ordre dispersé. Tout au contraire, la pyramide du pouvoir est parfaitement stratifiée, et chaque niveau décisionnel sait où trouver ses ordres et à qui en donner ».

Le bilan humain

En mars 1978, des journalistes yougoslaves interrogent Pol Pot sur l’absence de population dans les villes et sur l’abolition de la monnaie, du système salarial et de l’échange commerçant, en lui demandant s’il s’agit d’une étape dans la « transformation sociale et révolutionnaire » ou bien d’un modèle de société que son régime entend édifier en tant que tel.

Le dirigeant communiste répond en substance que le peuple cambodgien est animé d’un tel enthousiasme pour les idéaux proclamés que la direction a choisi de s’en remettre à la sagesse de la base. Selon lui, il était nécessaire d’évacuer la population à la campagne pour résoudre la question alimentaire, ce qui empêchait par ailleurs les « impérialistes américains et leurs laquais » d’attaquer les Khmers rouges dans la capitale. Concernant la monnaie, le peuple a répondu lui-même qu’elle ne lui était d’aucune utilité puisque les coopératives suffisent aux échanges de produits. Quant au salariat, le mouvement révolutionnaire ne l’a pas connu durant la guerre nationale de libération, de même que la population des zones libérées. Seuls les fonctionnaires avaient antérieurement un salaire mais la population citadine est désormais incorporée aux coopératives. L’argent peut donc servir pour la défense nationale et l’édification du régime.

Comme le souligne Francis Deron, il s’agit d’un « rare panégyrique d’une utopie par son auteur, sur le mode tautologique absolu ».

« Avec les Khmers rouges, on a affaire à un système cohérent d’extermination en masse opérant dans un souci de “rendement” qui défie l’entendement : dix-huit mille membres du parti seulement pour encadrer l’élimination de près de deux millions de personnes. »

Aux éliminations physiques et aux assassinats collectifs s’ajoutent les conséquences de conditions de vie affreuses et des travaux forcés qui entraînent la faim, le dénuement, les maladies, etc.

« Aucune nation au monde n’a subi une telle hémorragie, proportionnellement à sa taille, au XXe siècle ».

[Cette hécatombe explique en partie l’actuelle colonisation économique du Cambodge par la Chine qui, sur le golfe de Thaïlande, a détruit la quasi-totalité du mangrove pour le remplacer par des plantations de palmiers à huile, sans d’ailleurs encourir la condamnation des mouvements prétendument voués à la défense de l’environnement.]

La fin du régime

En 1977, des incursions de soldats cambodgiens ont lieu en Thaïlande et au Vietnam, suivies d’affrontements armés.

Entre le 7 et le 8 janvier 1979, les Khmers rouges se dispersent devant l’avancée des troupes vietnamiennes.

À l’époque, une « incrédulité coupable » accueillent les premières révélations des crimes, survenues peu après la fin de la Guerre du Vietnam.

Par la suite, on voit parfois « poindre à propos de Pol Pot et ses lieutenants un discours qui tend à les asseoir à une place moins sinistre du XXe siècle », en mettant en avant « le contexte » comme circonstance atténuante des crimes de masse.

Le procès de Phnom Penh

« Les années ont certes emporté avec elles trop de témoins et d’acteurs, mais elles ont aussi permis la constitution d’un dossier historique d’une épaisseur et d’une qualité incomparable en regard d’autres atrocités de cette envergure. »

Alors que Pol Pot est mort en 1998 (officiellement d’une crise cardiaque), dix ans plus tard, certains de ses lieutenants comparaissent à Phnom Penh devant un tribunal mixte composé, sous l’égide de l’ONU, de juges cambodgiens et internationaux.

Kaing Guek Eav, dit « Duch », le chef du « centre d’extermination politique S-21 du premier jour aux toutes dernières heures », est le principal accusé. L’intéressé s’était converti au christianisme en 1996 et vivait sous une fausse identité avant son incarcération au Cambodge en 1999.

« Se voulant d’abord et seulement “un bon communiste”, Duch a fait tuer un nombre considérable d’hommes, de femmes et d’enfants, sacrifiés sur l’autel de son idéologie. »

L’accusé explique que Tuol Sleng (S-21) « n’avait pas pour but de déterminer si les détenus étaient bien des traîtres : le simple fait de leur arrestation et de leur transfert au centre de détention suffisait à établir leur culpabilité. C’était leurs confessions qu’il fallait recueillir, pour justifier leur incarcération […] et également pour impliquer les membres des réseaux dont les détenus faisaient partie ».

La révolution dévorait ses enfants : deux instituteurs, qui avaient respectivement formé Duch pendant sa scolarité et en matière idéologique, ainsi que son premier chef durant l’insurrection, sont morts sous la torture à Tuol Sleng.

Les gardiens et les interrogateurs du centre pouvaient également se retrouver prisonniers, torturés (une pratique systématique) et mis à mort. Quand, « en 1977, toutes les interrogatrices sont devenues à leur tour prisonnières interrogées », les interrogatoires de femmes ont été menés par des hommes.

Comme Duch le reconnaîtra, personne ne devait sortir vivant de S-21. Sur 16 000 prisonniers, 177 seulement ont été « libérés » lors des derniers mois du régime, sans que l’on sache ce qu’ils sont devenus ni même s’ils ont survécu. Les tortionnaires annonçaient à un supplicié sa fin prochaine : “Tu vas devenir de l’engrais, maintenant”. »

Ce type de centre était dupliqué verticalement jusqu’au niveau des populations villageoises. Près de 200 bureaux de sécurité ont ainsi été identifiés à l’échelle nationale, tandis que les fosses communes et les charniers se comptent par milliers dans le pays.

[En 2010, une peine de quarante ans de prison a été requise contre Duch, qui a été condamné à trente-cinq ans de réclusion pour crimes contre l’humanité, puis à trente ans dans un deuxième temps. En 2011, un nouveau procès l’a condamné à l’incarcération à vie. Il est mort en 2017.

En 2022, il a été décidé de mettre un terme au fonctionnement de cette instance judiciaire internationale. Selon l’avocat français Jean Reynaud, son bilan est maigre puisque seuls cinq anciens responsables communistes ont été accusés, ce qu’il explique par « l’implication des juges cambodgiens, soumis au gouvernement en place, lui-même compromis dans le régime des Khmers rouges. […] Ce que montre bien ce procès, c’est qu’en justice internationale, on est très souvent à la frontière entre le droit et la politique. Et que le droit, face à la politique, perd toujours malheureusement ».]

Johan Hardoy 26/01/2025

https://www.polemia.com/les-khmers-rouges-lenfer-sur-terre-au-nom-de-lavenir-radieux-du-communisme/

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