Dans un contexte où le CNRS fait parler de lui pour avoir développé une application visant à aider ses membres à quitter le réseau social X, la polémique enfle autour de la mobilisation de chercheurs français dénonçant l’« ingérence » d’Elon Musk dans les affaires « intérieures » de l’Union européenne. La bonne blague ! Le CNRS a depuis longtemps choisi son camp : à gauche toute ! Lionel Rondouin nous rappelle la mésaventure qui est arrivée à Julien Freund, qui fut maître de recherche au CNRS dans les années 1960, d’où il ressort que l’emprise gauchiste sur la recherche française est bien antérieure à Mai-68.
Dans les derniers jours, les médias ont retenti d’une polémique au sujet de l’intervention tonitruante de chercheurs français au CNRS qui se sont mobilisés contre Elon Musk et le réseau social X, pour dénoncer « l’ingérence » du multimilliardaire dans les affaires « intérieures » de l’Union européenne. Je ne vais pas m’approfondir sur cet aspect particulier des choses, sauf à remarquer que l’Union européenne est dirigée par des praticiens chevronnés du droit d’ingérence, de la Syrie à la Roumanie, et que par ailleurs il est piquant de parler d’affaires « intérieures » dans un moulin sans frontières ouvert à tous les vents financiers, économiques, politiques, religieux et migratoires.
Toujours est-il que le débat sur la légitimité des chercheurs au CNRS à s’exprimer ainsi dans l’agora politique m’a rappelé une vieille anecdote. Cela se passe vers 1975, sans doute à l’occasion d’un colloque. Nous étions quelques-uns à discuter avec Julien Freund. Tous nos lecteurs connaissent l’importance de son œuvre en sociologie et en philosophie politique, dont en particulier L’Essence du politique, qui popularisa en France dès 1965 la pensée de Carl Schmitt.
Freund a enseigné à l’Université de Strasbourg pendant de nombreuses années. Il se trouve qu’il fut aussi été maître de recherche au CNRS de 1960 à 1965, retenons les dates…
Dérive académique
Parmi les étudiants, on dirait aujourd’hui les « doctorants » que Julien Freund suivait et accompagnait à Strasbourg dans ces années 60, il avait identifié un élève extrêmement prometteur, qui avait un bon sujet de thèse et toutes les capacités à l’exploiter. Freund proposa donc de faire nommer cette personne comme chercheur au CNRS afin de lui donner les moyens de poursuivre sa recherche pendant les quatre ou cinq ans nécessaires à ses travaux.
La demande de Julien Freund resta sans réponse. Il la renouvela l’année suivante sans plus de succès ni plus de justification.
Alors Freund fit son enquête et identifia parmi les chercheurs en sociologie politique du CNRS un quidam qui émargeait là depuis cinq ou six ans, sans avoir jamais publié le moindre article ni produit le moindre rapport intermédiaire. Il se trouve que, sans doute par coïncidence, le « chercheur » était issu d’un pays récemment décolonisé de l’Afrique subsaharienne.
Freund renouvela donc la demande de recrutement de son poulain, et l’assortit d’une demande de communication, par l’institution, à lui Freund, maître de recherche, de l’état d’avancement des travaux du quidam. La démarche, restée initialement sans réponse, fut renouvelée jusqu’à obtenir enfin satisfaction.
Il s’avéra que (je cite de mémoire) « la personne en question se consacre à des études et des recherches sur certaines sociétés africaines de tradition orale et que, par conséquent, les recherches sont menées de manière orale et que, par conséquent, le chercheur en question a été dispensé par le CNRS de produire un état écrit de ses travaux ». Et cela durait depuis des années…
Ni chercher ni trouver
C’est farfelu au possible et bien révélateur de la libéralité financière et de l’irresponsabilité de certaines institutions académiques, mais on pointera ici les dates : c’était il y a soixante ans, de Gaulle imperatore, Pompidou consule.
Le problème du CNRS, de son recrutement, de l’opacité de ses procédures internes, ne date pas de Mai-68, de la décadence mitterrandienne et de Jack Lang, comme se l’imaginent les gens de la « droite de gouvernement ». Il préexistait à cette prise officielle du pouvoir culturel par la gauche. Les responsables initiaux en sont les dirigeants politiques de droite qui, dès les années 60, ont abandonné à la gauche le terrain de la bataille intellectuelle et culturelle, pour avoir, pensaient-ils, les mains libres sur le reste en matière de gestion économique et financière.
Dans une conférence de presse, de Gaulle avait demandé aux chercheurs de chercher, et si possible de trouver… Mais lui-même n’avait pu s’affranchir du poids et de l’influence de son intelligentsia.
Nous avons là un problème structurel dont la résolution ne s’obtiendra pas par de simples mesures cosmétiques.
https://www.revue-elements.com/julien-freund-elon-musk-et-le-cnrs/