En début du mois, la BCE a de nouveau baissé son taux directeur, à 2,5%, après la baisse de janvier. Mais malgré la baisse de 150 points de base des taux courts en mois d’un an, les taux longs ont monté, touchant des plus hauts de plus de 10 ans pour l’Allemagne et la France ! Une conséquence du choix trop peu débattu, et complètement absurde aujourd’hui, du resserrement quantitatif.
Le gros coup de frein de la démonétisation
Le lien entre taux longs et taux courts a été étudié, notamment par le regretté Jean-Baptiste Bersac. Les taux directeurs des banques centrales agissent comme une ancre qui dirige l’évolution des taux longs, les poussant à la baisse quand ils reculent, et à la hausse quand ils montent. C’est d’ailleurs un mécanisme classique des crises économiques. Que ce soit pour réduire la spéculation, soutenir le cours d’une monnaie, ou peser à la baisse sur le niveau de l’inflation, une banque centrale remonte ses taux directeurs. Cela provoque un renchérissement du coût du crédit, pesant sur les investissements, et la croissance. Une remontée un peu brutale ou excessive peut envoyer une économie en récession, comme en 2008, quand la zone euro avait eu le privilège d’entrer en récession un trimestre avant les USA, en plein subprimes, du fait du jusqu’au-boutisme de la BCE, qui avait propulsé l’euro à plus d’1,6 dollar !
Mais là, le lien semble cassé. Depuis juin, les taux directeurs de la Banque Centrale Européenne sont passés de 4 à 2,5%. Pourtant, les taux à 10 ans des Bons du Trésor de la France, qui étaient montés jusqu’à 3,3% en juin, avaient dans un premier temps suivi la baisse des taux, reculant jusqu’à 2,8% en septembre, avant de repartir fortement à la hausse à partir de mi-décembre, pour toucher un point haut de 3,67% en début du mois de mars. Il faut remonter au début de la crise de la zone euro, en 2011 pour trouver un taux aussi élevé. La situation de l’Allemagne est assez proche, avec un taux qui oscillait entre 2,4 et 2,7% pour le Bund à 10 ans jusqu’en juin, puis une baisse autour de 2,1%, et un rebond depuis mi-décembre jusqu’à 2,86%. Les taux longs, qui étaient sous les taux courts, ont fini par passer au-dessus pour notre voisin depuis la dernière baisse du taux directeur décidé par la Banque Centrale Européenne.
Cette déconnexion pose problème car elle signifie que la courroie de transmission d’une partie de la politique monétaire est cassée, et par conséquent que ces baisses de taux n’ont pas d’effet positif sur des économies européennes guère fringantes. Pire, la hausse des taux longs continue à peser sur la croissance en freinant les investissements des ménages et des entreprises, d’autant plus que la vague inflationniste, purement conjoncturelle, a reflué, rendant le coût de l’argent aujourd’hui très élevé. Pour couronner le tout, les États européens voient le coût de leur dette augmenter, ce qui va peser sur leurs dépenses, et donc la croissance. Mais cette déconnexion a une raison simple, que j’ai évoquée plusieurs fois : c’est le resserrement quantitatif, la démonétisation des dettes publiques de la zone euro. Depuis le 1er janvier, les banques centrales n’achètent plus la moindre dette publique pour remplacer celle échue à leur actif.
Ce faisant, ce choix des banques centrales a profondément affecté l’équilibre de l’offre et la demande de bons du trésor, réduisant fortement la demande, ce qui pousse les taux vers le haut. Autant, avec le rebond de l’inflation, il était possible d’argumenter qu’il ne fallait pas ajouter une politique monétaire inflationniste, autant aujourd’hui, le reflux rapide de l’inflation rend caduque cet argument. A minima, dans le contexte actuel, les banques centrales de l’Eurozone devraient remplacer les titres à échéance, pour garder une politique neutre. Le recul de la croissance pourrait même justifier une reprise de la monétisation. Bref, la politique de la BCE est complètement à contre-temps et son talon-pointe se révèle très déséquilibré, les effets positifs de la baisse des taux directeurs étant finalement bien moins importants que les effets négatifs de la démonétisation des dettes publiques qui avaient été achetées depuis plus de 10 ans.
Mais ce qui est malheureux, c’est que ce débat ne perce pas alors qu’il est fondamental. Personne ou presque ne semble interroger ce choix fondamental des banquiers centraux européens, qui prennent une décision extraordinairement malheureuse, et à contre-temps. Une nouvelle illustration du danger qu’il y a à sortir la politique monétaire du cadre démocratique, en plus d’en avoir une seule pour la zone euro.
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