L’électricité du réseau est du courant alternatif circulant à une fréquence extrêmement précise de 50 Hz à ± 0,2 %. Cette fréquence témoigne de l’équilibre production/consommation qui doit être assuré à chaque seconde : s’il y a plus de demande que d’offre, la fréquence baisse ; a contrario, si l’offre est supérieure à la demande, la fréquence augmente.
Ce courant alternatif peut être fourni directement par des machines tournantes (aussi appelées « alternateurs ») opérant dans toutes les centrales classiques (charbon, fioul, gaz, nucléaire, hydroélectricité) mais aussi à partir de certaines éoliennes récentes. Tournant à la même vitesse que la fréquence du réseau, ces machines dites « synchrones » permettent, seconde après seconde, de garder un équilibre entre ce qui est produit et ce qui est consommé. En revanche, une centrale solaire (mais aussi la plupart des éoliennes aujourd’hui en service) fournit du courant continu qui, pour être injecté dans le réseau, doit être transformé en courant alternatif à l’aide d’onduleurs. Contrairement aux machines tournantes synchrones, les onduleurs n’ont pas la capacité de stabiliser le réseau.
L'énergie renouvelable augmente le risque
Rappelons enfin que, étant intermittente (on ne sait jamais à l’avance « ni quand, ni où, ni combien »), l’électricité renouvelable est injectée en priorité dans le réseau. En conséquence, en fonction de la météo, on demande à une partie des machines tournantes synchrones (notamment le nucléaire en France) de s’effacer pour faire place au solaire et à l’éolien.
Autant les intermittences sont souvent mises en évidence pour concurrencer les renouvelables, autant, en revanche, la nature continue de leur électricité est rarement débattue. Tant que la proportion d’énergies non renouvelables (ENR) reste faible (ce qui a été le cas jusque récemment), le réseau pouvait être stabilisé par les machines tournantes synchrones restées dominantes. Cependant, l’accroissement de la proportion d’ENR au-delà d’un certain seuil peut rendre la situation beaucoup plus risquée. C’est ce qui semble être arrivé en Espagne et au Portugal, la semaine dernière.
Le lundi 28 avril était une journée particulièrement ensoleillée, dans la péninsule Ibérique. Durant la matinée, la production solaire s’est accrue exponentiellement pour atteindre, vers midi, 60 % de la demande, à laquelle s’est rajouté 12 % d’éolien. Au moment du black-out, 72 % de la production provenait donc de sources intermittentes continues. Pour faire place à cet afflux de renouvelables, une grande partie des machines tournantes synchrones (principalement gaz et hydro en Espagne) avaient été arrêtées.
L’Europe entière aurait pu être plongée dans le noir
Pour des raisons qui n’ont pas encore été élucidées (il se peut — mais ce n’est pas prouvé — que ces instabilités soient dues à un excès instantané de solaire), à 12h32, la puissance du réseau ibérique a commencé à fluctuer violemment, entraînant une sortie de la plage de fréquence critique. En quelques secondes l’éolien et le solaire ont été arrêtés et 15 GW de puissance ont été instantanément perdus. La majorité des machines tournantes espagnoles ayant été stoppées pour faire place au solaire, la seule issue pour la péninsule était de faire appel à la solidarité française (seule frontière interconnectée au réseau européen). Mais, sous peine de voir son réseau également s’effondrer, l’Hexagone n’a pas été capable de répondre à une telle demande. Le problème aurait alors pu se reporter de pays en pays et plonger l’Europe entière dans le noir.
Il aura fallu presque 24 heures pour rétablir le courant, et ce, grâce au gaz et à l’hydroélectricité (merci à eux !), seuls capables de ramener la fréquence de 50 Hz. Imaginons un mix 100 % ENR : sans machines tournantes, il aurait été impossible de rétablir le courant.
Le Pacte vert européen reposant sur un accroissement inconsidéré des renouvelables intermittents et continus (42,5 % à l’horizon 2030, l’éolien est multiplié par 2 et le solaire par 5 dans la PPE3 !), des situations semblables au black-out ibérique risquent de se multiplier. Comme l’alcool, les ENR doivent donc se consommer avec modération, ce qui n’est manifestement pas l’avis des « ronds de cuir » bruxellois largement contaminés par l’Energiewende allemande et sa politique historique antinucléaire à laquelle les Espagnols ont stupidement adhéré. Ce black-out est aussi un pied de nez à ceux (Espagnols et Portugais) qui ont souhaité s’extraire du marché européen de l’électricité quand les prix du gaz étaient élevés. On ne peut en même temps se désolidariser des autres pour un temps puis crier au secours quand ça se passe mal.