Il fut un temps où ce parti politique était devenu ma raison de vivre. J’avais tout juste dix-huit ans lorsque j’ai plongé dans le militantisme d’extrême gauche, en rejoignant La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Avec mon meilleur ami de l’époque, nous étions assoiffés de révolte, en quête de révolution, de sens à une vie à peine commencée. Nous étions perdus, vulnérables, malléables.
Tout a commencé innocemment : quelques publications engagées sur les réseaux sociaux, des manifestations exaltantes, l’adrénaline de hurler face aux CRS. Cette impression grisante d’être du “bon côté” de l’histoire.
Puis est arrivée la Meute. Un noyau dur de militants aguerris, exaltés, parfois violents, toujours convaincus. Ils nous ont pris sous leur aile. Séduits par leur assurance, influencés par leurs discours, nous avons plongé tête la première dans leur univers.
Dès lors, nos vies se sont mises à tourner exclusivement autour de LFI. Il fallait militer, vite, fort, tout le temps. L’élection présidentielle de 2017 approchait. Les anciens nous distribuaient des centaines d’affiches à coller dans la ville, comme un rite de passage. Jusque-là, c’était du militantisme. Mais les dérives allaient bientôt commencer.
J’étais une jeune fille, coquette, et l’on me demandait d’aller tracter en tenue sexy “pour attirer le client”. J’étais trop immature pour comprendre qu’on jouait avec moi.
Puis sont venus les messages à caractère sexuel. Des hommes, souvent beaucoup plus âgés, se permettaient des avances sans retenue. Un soir, après un collage d’affiches, un retraité de l’âge de mon grand-père m’a invitée à prendre un café chez lui. J’ai accepté, naïvement. Il m’a agrippée, me plaquant contre lui. Ses mains grasses, son souffle imprégné d’alcool. J’ai réussi à m’échapper.
J’en ai parlé à d’autres militantes, plus anciennes. Leur réponse fut glaçante : “Ne dis rien, ça se réglera en interne.” Rien ne se régla jamais. Ces femmes, loin de me protéger, me poussaient à me mieux provoquer les militants de droite, mieux buzzer sur les réseaux sociaux. J’étais une marionnette. Leur idiote utile.
Je voyais la radicalité, je sentais l’embrigadement. Mais je m’accrochais. Pour “la cause”. Pour “la victoire”.
Le 18 mars 2017, lors du grand défilé de la VIe République à Paris, nous étions surexcités. Jean-Luc Mélenchon, ce “gourou”, nous a serré la main. Mon ami et moi avons pleuré. Nous étions fascinés. Il savait exactement ce qu’il provoquait chez les jeunes militants : une vénération aveugle, une dépendance affective et idéologique. J’en faisais partie.
Pour l’occasion, je m’étais faite plus belle que jamais. Ce jour comptait plus qu’un anniversaire. C’est ce jour-là qu’un député du parti, originaire des Hauts-de-France, de dix ans mon aîné, m’a abordée. Un sourire, un bonjour, puis une demande d’ami sur Facebook.
Ce fut le début de la descente aux enfers
Se posant en protecteur contre mes problèmes personnels, il orientait chacune de ses conversations vers le sexe. Chaque jour, je recevais des photos de ses parties intimes. Il insistait pour me voir. J’avais l’impression de compter. Je croyais plaire à quelqu’un d’important.
Quand cette mascarade a enfin pris fin, j’ai tenté, encore une fois, d’en parler. Un militant m’a répondu : “Il est comme ça. Il aime les étudiantes. Ça ne sert à rien d’en faire toute une histoire, sinon ça salira le parti.”
J’ai souvent prié pour trouver le courage de porter plainte. Mais je ne l’ai pas fait. J’avais peur. Peur qu’on m’accuse d’avoir “provoqué”, peur de salir l’image du “grand chef”. Peur de trahir un mouvement que j’idéalisais encore. Je pensais qu’il en était ainsi au sein de tous les partis politiques, que c’était chose courante.
L’aveuglement n’a pris fin que plus tard. Quand j’ai découvert ce que cachait une partie du discours “antisioniste” du parti. Un antisémitisme rampant, jamais assumé mais toujours là, déguisé en posture politique. Chez certains militants, le terrorisme islamiste était relativisé, expliqué, presque excusé. Après tout, disaient ils, s’il y avait des attentats en Europe ou en Israël, c’était bien la faute des “impérialistes israéliens” et de “leurs soutiens américains”.
À l’évocation de personnalités juives connues, je sentais une gêne, parfois une hostilité à peine voilée. Des militants juifs étaient interrogés sur leur position vis-à-vis du sionisme, comme si leur engagement ne pouvait être sincère qu’après cette épreuve de loyauté. Il fallait montrer patte blanche pour garder sa place.
Ce fut le point de bascule. Mon départ fut progressif mais définitif
Voici un aperçu de cette période militante, qui n’aura duré que quelques années. Il est possible d’en revenir. Beaucoup de jeunes finissent par comprendre le mécanisme, se détacher. Le renouvellement est constant. Une fois qu’un esprit devient trop libre, trop lucide, on le remplace sans remords. Ce système ne vit que par l’embrigadement de nouveaux visages, par la captation d’une énergie jeune qu’il sait séduire pour mieux dévorer.
Alors j’en appelle à la jeunesse : passez votre tour
Ne laissez pas ces années si précieuses, ces années fondatrices, censées être les plus belles de votre vie, être dévoyées, abîmées, exploitées par des gens qui ne cherchent ni votre bien, ni votre émancipation, mais votre soumission.
Emilie Volkova