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Quand industriels et banquiers français soutenaient Hitler

par Jacques-Marie Bourget

Par ces temps où la météo revient au brun, il est salutaire de réviser l’histoire, celle de nos capitalistes d’avant-guerre qui, avant même qu’Hitler ne soit chancelier, ont choisi le nazisme.

Annie Lacroix-Riz1 est une historienne incapable de laisser l’histoire tranquille. Alors que le récit de notre passé est gravé dans le marbre des imprimeurs, il faut qu’elle efface, ajoute, bouscule. Avec une chercheuse comme elle – et qui trouve -, difficile de dormir en paix. Jadis un grand magasin avait pour slogan «Il se passe toujours quelque chose aux Galeries Lafayette»… Lacroix-Riz c’est pareil. Et, bizarrement, les boîtes d’archives dans lesquelles elle dort accouchent de vérités qui s’en prennent toujours à de pauvres gens. Voyez le mauvais esprit, alors que le malheur habite toujours chez les riches, que Pétain a sauvé les juifs, et l’Amérique l’Europe avec le Plan Marshall. Le dernier exemple est son colossal livre «Industriels et banquiers français sous l’Occupation» – une version augmentée de son précédent ouvrage aujourd’hui publiée en «poche» -, une œuvre qu’elle fait progresser au fil de ses découvertes.

Constatons que de Gaulle ne lui a pas facilité le travail, en 1945, en ordonnant une épuration légère afin que la France continue au plus vite d’exister et ne devienne pas un bantoustan américain. De la fin de la guerre à 1950 la Justice chargée de l’épuration n’était qu’une vaste blanchisserie. La majorité des industriels et banquiers, sauf quelques cas trop flagrants, sont sortis indemnes du passage devant les robes noires. Parfois sanctionnés mais vite amnistiés. Pour excuse partagée, les collabos avaient un alibi : «Sous contrainte allemande, nous n’avions pas le choix». Le droit français prescrit qu’un accusé a le droit de mentir. Les industriels et banquiers mentaient.

Mensonge ancien puisque c’est bien avant l’arrivée d’Hitler place du Trocadéro, dès les années 20 et 30, avec la montée du nazisme en Allemagne et du fascisme en Italie que les entrepreneurs et financiers ont choisi Hitler et Mussolini, pour fuir le Front populaire et les cohortes Communistes. C’est l’époque où les groupes français intensifient leurs accords et leur coopération avec ceux d’Allemagne, acceptant sans difficulté une direction germano-nazie. Parfois même abandonnant des marchés, comme Schneider-Creusot lorsqu’en 1938-39, Skoda, un joyau de l’empire industriel Tchécoslovaque, passe sous les griffes du Reichswerke d’Hermann Göring. Simple anticipation puisque ce monde, dans une guerre qui vient a, sans le savoir, déjà choisi la défaite. «Hitler va mettre de l’ordre en France», nous dit alors Georges Lang, imprimeur membre du Comité France-Allemagne fondé en 1935. Quand après-guerre, les mêmes viennent se plaindre de l’imparable pression nazie subie, ils oublient leur loto. Celui qu’ils ont joué quinze années plutôt avec le Reich gagnant. Annie Lacroix-Riz écrit dans ce dernier opus : «On ne résiste pas à l’occupant qu’on a appelé et installé». Souvent avec un tempo plus rapide que les politiciens qui vont finir par collaborer, les industriels et banquiers crient déjà «À Berlin, à Berlin !». On demande l’abolition de droits de douanes puisque le projet est de construire un nouveau capitalisme façon Europe Nouvelle. Jouissons sans entraves.

Le projet dépasse l’espoir d’un profit rapide, celui de prendre l’argent puis s’en aller. Pas du tout. Les puissants de l’économie française rêvent d’une installation durable. Mais certains pragmatiques, eux, songent d’abord à spolier les «biens juifs». Exemple dans une lettre que Pierre Taittinger adresse à Darquier de Pellepoix dans laquelle il se plaint de ne pas avoir assez de «biens juifs» à «administrer». Dans «Industriels et banquiers» l’auteur ne livrent pas qu’une vision de ce monde qui colle au projet de l’Europe Nouvelle. Il y a aussi la crapulerie ordinaire. Donc comme celle de Taittinger ou de Coco Chanel pillant la propriété de «israélites». Pour ceux qui ont collaboré (la majorité), l’Occupation a été une ère fructueuse, nous démontre le livre : le capital des grandes banques a doublé ou triplé. Exemple le groupe pharmaceutique Théraplix a quadruplé ses bénéfices ; les valeurs boursières de nombreuses entreprises ont grimpé, atteignant jusqu’à six fois leur valeur d’avant-guerre. Le beurre et l’argent du beurre. Certes, après-guerre, il y a eu des nationalisations, comme celle de Renault, mais rien de grave pour les capitalistes. Dans les coffres des banques dorment encore des euros qui sont des petits de l’argent bien sale, des fortunes de guerre.

Le plan de l’IG Farben à l’été 1940 consistait à «obliger l’industrie française à travailler pour la machine de guerre nazie», nous dit Lacroix-Riz. Quant au français Kuhlmann, un rapport indique qu’en août 1940, l’entreprise a proposé de «mettre son industrie tout entière au service de l’Allemagne pour renforcer le potentiel chimique pour la continuation de la guerre contre l’Angleterre. Kuhlmann serait prêt à produire tous les produits préliminaires et auxiliaires pour l’IG, ce qui serait désiré du côté allemand. … une collaboration intime, … intégration de l’industrie française dans l’économie européenne sous une direction allemande». Annie Lacroix-Riz nous rappelle qu’IG Farben a financé la construction du camp de la mort Auschwitz III, avec l’argent où cousinaient marks et francs. Sainte pudeur, ne parlons pas des biens coloniaux pillés par l’Allemagne, grâce à la bonne volonté et au zèle du patronat français qui lui donnait les clés des pays de sauvages.

Dans ce livre de 1224 pages (dont 200 d’annexes), la liste des noms cités est jubilatoire : elle met à la lumière les infames. Ces collabos de la banque et de l’industrie sont épinglés au mur de la honte. La mémoire de l’historienne est là pour nous rappeler l’honneur perdu de ceux qui, le 18 août 44, ont eu le temps d’arracher la Francisque de leur revers de veste. Mais leur passé est là, indélébile dans ce livre salutaire qui traque la saleté comme une tornade blanche. L’œil est de la tombe. Ceux qui estiment qu’un tel livre va faire du foin. Provoquer des divorces au motif que le grand père a payé notre château, en vendant du ZyclonB et de l’acier aux Allemands, se trompent. Annie Lacroix-Riz, pourtant femme qui transmet la vérité des archives, est assignée au placard par la nouvelle presse de propagande tenue par les Bolloré and Co. Surtout ne pas raviver les moments d’égarement. En rejoignant l’Élysée – par un train parti de Vichy – Mitterrand a été le premier à assigner le monde intellectuel et la presse au silence. Sifflé la fin de l’histoire avec Bousquet en chef de gare.

1) Annie Lacroix-Riz est ancienne élève de l’École normale supérieure. Professeur émérite à Paris 7. A publié de nombreux ouvrages dont «Le Choix de la défaite», ««La non épuration en France», Les origines du Plan Marshall».

source : Le Grand Soir

https://reseauinternational.net/quand-industriels-et-banquiers-francais-soutenaient-hitler/

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