Le nationalisme a-t-il inventé le mythe gaulois ? Les plus récentes découvertes archéologiques réservent plus d'une surprise. Elles dévoilent un Vercingétorix qui n'a guère perdu des vertus qu'on lui attribua. Mais quel visage les romans proposent-ils du vainqueur de Gergovie ?
La scène est dans toutes les mémoires : sortant seul d'Alésia assiégée, Vercingétorix jette ses armes aux pieds de César et se livre au vainqueur afin de sauver les siens. Mesquin comme il savait l'être, Caius Julius, incapable d'égaler la grandeur d'âme de son adversaire, cèdera ses milliers de captifs aux marchands d'esclaves, et traînera le chef gaulois sept ans dans ses impedimenta avant, le soir de son triomphe, de l'abandonner au bourreau. Le jeune généralissime arverne entre dans la légende et préfigure les destins d'une France abattue mais sublime dont aucun aléa de l'histoire n'aura raison.
Gallomanie
En fait, il faut attendre le préromantisme pour que les Gaulois cessent d'apparaître des Barbares et que la conquête romaine de la Gaule ne soit plus la chance sans laquelle notre pays ne serait jamais sorti des ténèbres. Vercingétorix devient le premier patriote "français", celui qui faillit forger une nation, et César l'assassin de ce rêve. Il faut avoir lu à seize ans le Vercingétorix de Camille Jullian - je mis une décennie à m'en remettre et accepter notre héritage latin - pour en comprendre la force. Christian Goudineau a lu Jullian, il lui a même succédé, à un siècle d'écart, dans la chaire des Antiquités nationales du Collège de France ; à ce titre, il sait ce que nous lui devons. Cependant, depuis 1901, notre connaissance de l'antiquité gauloise a tant progressé qu'il devenait indispensable de relire la guerre des Gaules et la vie du fils de Keltill à la lumière des dernières découvertes.
Telle est l'ambition du Dossier Vercingétorix, paru cent ans après la biographie de Jullian, et réédité en poche. La première partie, d'une époustouflante érudition et d'une irrésistible drôlerie, récapitule la genèse d'une gallomanie, dans laquelle s'engouffrèrent, à la suite d'Amédée Thierry et jusqu'à Jullian, pléthore d'épigones, en prose ou en vers, historiens, romanciers, poètes et vulgarisateurs, décidés à tirer à eux le chef arverne assaisonné d'étrange manière.
De l'histoire au roman...
Christian Goudineau a fait preuve, pour décortiquer cette littérature, de courage et d'obstination ; les morceaux choisis qu'il en livre laissent souvent pantois. Sous pareilles scories, est-il possible de retrouver le vrai visage de Vercingétorix ? La présentation critique des textes antiques le mentionnant, peu nombreux et peu fiables, laissant sur la faim, Goudineau fait appel aux spécialistes de la civilisation gauloise afin de reconstituer, au plus près, ce que purent être le quotidien, les façons d'être, les modes de pensée, les choix du vainqueur de Gergovie. L'homme qui se dessine dans ces pages n'a, en vérité, guère perdu des vertus qu'on lui attribua.
Cependant, peut-on proposer cette image-là à un public nourri de clichés, dont ceux véhiculés par les aventures d'Astérix ne sont pas les moins redoutables ? Nombre de lecteurs préfèrent un roman à une oeuvre d'historien, fût-elle excellente et accessible. Reste à souhaiter que les romanciers se soient correctement documentés et fassent passer dans leur fiction tout ou partie des acquis de la recherche.
En cela, Philippe Madral et François Migeat, qui cosignent Et ton nom sera Vercingétorix, font preuve d'un certain sérieux ; leur reconstitution du contexte gaulois n'est pas mauvaise. Cela ne les dispense pas d'en prendre à leur aise avec les faits, même les mieux avérés, et de combler les blancs de l'histoire avec plus d'imagination que de rigueur. Témoin de l'assassinat de son père, - peu importe que Keltill, accusé de vouloir se faire roi, ait été jugé et mis à mort selon le droit arverne... - le jeune Kefnos trouve refuge dans la forêt des Carnutes où il sera élevé par les druides en vue du jour où il s'imposera aux tribus comme leur chef unique afin de libérer la Gaule des Romains. Mais avant cela, il devra apprendre à combattre auprès de César et rencontrera dans le camp ennemi la princesse éduenne Alauda qu'il aurait épousée si les dieux n'en avaient décidé autrement... Si Vercingétorix fit partie des jeunes officiers indigènes formés auprès du triumvir, ce qui lui valut d'être accusé de trahison par les historiens romains, ce ne fut pas dans les conditions romanesques imaginées ici, et certes pas en compagnie de Marcus Brutus, celui des Ides de Mars, que Madral et Migeat confondent avec son cousin Decimus, en effet l'un des lieutenants de César en Gaule. Ce genre de détails mis à part, qui ne gênent, hélas, que les spécialistes de l'époque, le roman se laisse lire sans déplaisir.
... et au canular
L'on peut faire plus iconoclaste. Gordon Zola, qui ne respecte rien, pas même les vedettes de la télévision, récidive avec une parodie de péplum, Fais gaffe à ta Gaule !, plus profonde qu'il y paraît. Rome, en l'an - 46 : le long de la Voie triomphale, là où tantôt passera le char de César, une poignée de Gaulois attend. Rescapés d'Alésia, ils ont juré de faire évader leur chef vénéré. Mais, lorsque le prisonnier surgit, il faut se rendre à l'évidence : ce n'est pas Vercingétorix. Il s'agit du barde Pandalag', pacifiste déclaré, auteur du tube Pax et Amor... Substitution qui mérite quelques explications. Toutes plus irrespectueuses les unes que les autres. Qu'on ne s'y trompe pas : Gordon Zola a fait des études et en sait long sur les légendes qu'il démolit avec irrévérence. D'où ce canular de potache réussi qui, mine de rien, pose des questions intelligentes sur l'histoire, les mythes, les héros et les historiens.
Quelle pax romana ?
En fait de mythe, il en est un tenace : celui de la pax romana qui aurait assuré à notre terre trois cents ans de calme et de prospérité au sein d'une province romaine acquise à son vainqueur et trop heureuse de se fondre dans ses usages. En réalité, de la défaite de Vercingétorix à l'effondrement de l'empire en 476, les annales gauloises sont une longue suite de révoltes et d'insurrections en général tragiques, à l'exemple de celle du Lingon Julius Sabinus qui, avec son épouse Éponine, laissera à la postérité un impérissable exemple d'amour conjugal. Cette révolte endémique culminera au milieu du IIIe siècle avec la reconquête de l'indépendance par les empereurs gaulois. Il faut attendre les années 280 et la reprise en main de l'empire par la Tétrarchie pour que la Gaule, de nouveau militairement occupée, redevienne province impériale. Encore les troupes romaines, ou leurs supplétifs, devront-ils jusqu'au bout faire face à une guérilla incessante, la Bagaude. Drôle de paix !
Bon connaisseur de la période, Joël Schmidt retrace, dans Les Gaulois contre les Romains, ou la guerre de mille ans, l'incessante hostilité qui, depuis Brennus, dressa les Celtes contre leurs voisins latins. Unique et inévitable défaut de l'entreprise : les seules sources disponibles sont toutes romaines, donc sujettes à caution.
Anne Bernet L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 20 mai au 2 juin 2010
✔ Christian Goudineau : Le Dossier Vercingétorix ; Actes Sud-Babel, 470 p., 9,50 euros.
✔ Philippe Madral et François Migeat : Et ton nom sera Vercingétorix ; Robert Laffont, 600 pages, 22 euros.
✔ Gordon Zola : Fais gaffe à ta Gaule ! Le Léopard masqué, 170 p., 13,80 euros.
✔ Joël Schmidt : Les Gaulois contre Les Romains ; Perrin, 380 pages,