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Marc. Eemans ou l'autre versant du surréalisme

eemansLa conversion de Marc. Eemans [1907-1998] au Surréalisme est contemporaine de celle de René Magritte et de ses amis. Elle s'est faite entre 1925 et 1926. À cette époque Marc. Eemans avait à peine 18 ans, alors que Magritte était son aîné de quelque 9 à 10 ans.

C'est grâce à la rencontre de Geert Van Bruaene, alors directeur du Cabinet Maldoror en l'Hôtel Ravenstein, que le jeune Marc. Eemans a été intié à la poésie présurréaliste des Chants de Maldoror et c'est également alors qu'il entra en contact avec Camille Goemans et E.L.T. Mesens qui allaient bientôt devenir ses compagnons de route avec Paul Nougé, René Magritte, André Souris, Paul Hooremans et Marcel Lecomte, dans l'aventure du premier groupe surréaliste belge, groupe où ils furent bientôt rejoints par Louis Scutenaire qui, à l'époque, se prénommait encore Jean.

Certains historiens du Surréalisme en Belgique ont estimé qu'à ses débuts, Marc. Eemans, en tant que peintre, n'était qu'un épigone, un imitateur de René Magritte, mais, qu'il n'y a pas eu imitation, tout au plus chemin parallèle, ce qui s'explique aisément, car il fut une époque où le Surréalisme vivait dans l'osmose de l'air du temps.

Pour s'en convaicnre, il suffit d'ailleurs de consulter la petite revue Distances, éditée à Paris par Camille Goemans en 1928, à laquelle collabora Marc. Eemans. Ajoutons-y au même titre ses dessins à la plume dans le mensuel Variétés, paraissant à la même époque à Bruxelles.

D'ailleurs, Marc. Eemans alla bien vite prendre définitivement un chemin tout autre que celui de René Magritte et de ses compagnons de route, à l'exception de C. Goemans et de Marcel Lecomte. Nous en trouvons un témoignage irréfutable dans un album paru en 1930 aux éditions Hermès, fondées par Goemans et lui-même et au titre bien significatif ! Eemans s'y révèle comme un adepte moderne de ce que Paul Hadermann, professeur à l'Université Libre de Bruxelles, a appelé le « trobar clus de Marc. Eemans » d'après le terme provençal propre aux troubadours et Minnesänger qui pratiquaient jadis une poésie hermétique “close”, accessibles aux seuls initiés. Cet album intitulé Vergeten te worden (Oublié de devenir) compte « dix formes linéaires influencées par dix formes verbales ». Il est paru initialement en langue néerlandaise, mais une réédition, avec traduction française et une introduction du prof. Hadermann, à laquelle nous venons de faire allusion, en est parue en 1983.

93034310.jpgLa coloration du Surréalisme propre à Marc. Eemans est dès lors nettement affirmée. Ce Surréalisme s'est fortement éloigné de celui de René Magritte que Salvador Dali a qualifié un jour d'« A.B.C. du Surréalisme ».

Tandis que les options des membres de ce que Patrick Waldberg a appelé plus tard la « Société du Mystère » se sont trop souvent orientées vers les facilités d'un certain “néo-dadaïsme” au dogmatisme sectaire à la fois “cartésien” et “gauchisant” en lequel la contrepèterie se le dispute à l'humour noir et rose, voire au “prosaïsme” petit-bourgeois (le chapeau melon et la pipe, de Magritte !), Marc. Eemans, lui, accompagné en cela par C. Goemans et M. Lecomte, s'est orienté derechef vers un autre versant du Surréalisme fort proche de l'Idéalisme magique d'un Novalis et du Symbolisme de la fin du siècle dernier.

Ce Surréalisme, que les historiens du Surréalisme en Belgique semblent ignorer ou plutôt passer sous silence, répond en quelque sorte à l'appel à « l'occultation» lancé par André Breton dans son Second manifeste du surréalisme (1930). Rappelons d'ailleurs à ce propos à quel point Breton a été profondément touché par le Symbolisme, au point que Paul Valéry a été son témoin lors de son premier mariage et qu'en 1925, voire plus tard encore, lui-même ainsi qu'Éluard et Antonin Artaud se sont révélés comme des admirateurs inconditionnels du poète symboliste Saint-Pol-Roux. La filiation du Romantisme au Surréalisme via le Symbolisme est d'ailleurs évidente, aussi Alain Viray a-t-il pu écrire qu'« il y a des liens entre Maeterlinck et Breton », à quoi nous pourrions ajouter qu'il y en a également entre Max Elskamp et Paul Eluard, tandis que l'ex néo-symboliste Jean De Bosschère a viré étrangement, vers la fin de sa vie, vers le Surréalisme, un certain Surréalisme il est vrai.

Quoi qu'il en soit, l'art que Marc. Eemans a pratiqué, dès sa vingtième année, est ce que l'on pourrait appeler un “Surréalisme ouvert”, détaché de tout sectarisme et de cet esprit de chapelle cher aux surréalistes qui se considèrent de “stricte obédience”. Dès lors la question se pose : Marc. Eemans est-il encore surréaliste ? Mais en fait qu'est-ce qu'une étiquette ? What is a name ? En tout cas, Eemans a déclaré un jour, lors d'une enquête de la revue Temps Mêlés qu'il ne serait pas ce qu'il est sans le Surréalisme…

Parlons plutôt de la revue Hermès que Marc. Eemans fonda en 1933 avec ses amis René Baert et C. Goemans (c'est ce dernier qui en rédigea toutes les “Notes des éditeurs”). C'était une revue d'études comparées en laquelle poésie, philosophie et mystique furent à l'honneur. Y collaborèrent activement e.a. Roland de Reneville (un transfuge du «Grand jeu» et auteur d'un Rimbaud le Voyant), le philosophe Bernard Groethuysen, l'arabisant Henri Corbin ainsi que le poète Henri Michaux qui en devint le secrétaire de rédaction. Revue surréaliste ? Oui ou non, et nous croyons même que le mot “surréalisme” n'y a jamais figuré… Par contre y furent publiées les premières traductions en langue française de textes des philosophes Martin Heidegger et Karl Jaspers. Y collabora également le philosophe franças Jean Wahl tandis qu'y figurèrent des traductions de textes poétiques ou mystiques flamnds, allemands, anglais, tibétains, arabes et chinois, sans oublier l'intérêt porté à des poètes symbolistes, pré-symbolistes ou post-symbolistes.

En somme Hermès pratiqua un « Surréalisme occulté » qui a retenu l'attention d'André Breton, mais aussi l'indifférence, si ce n'est l'hostilité de certains membres de la Société du Mystère. Notons à ce propos que Breton a toujours préféré le “merveilleux” au “mystère”, en prônant surtout le recours à la magie, sans toutefois pouvoir se soustraire à la tentation d'une magie de pacotille, celles des voyantes et des médiums. Du côté d'Hermès, au contraire, il y eut toujours le souci d'un hermétisme davantage tourné vers l'austère éthique propre à tout ce qui relève de la “Tradition primordiale”. Mais ne l'oublions pas : le Surréalisme d'André Breton et de ses amis n'a jamais pu se défaire d'un certain “avant-gardisme” très parisien en lequel le goût de l'étrange, du bizarre à tout prix, de burlesque provocateur et de l'exotimse forment un amalgame des plus pittoresques fort éloigné des préoccupations profondes de Marc. Eemans et de ses amis de la revue Hermès. Chez lui surtout prévaut avant tout la soumission à des mythes intérieurs nés de ses fantasmes. Il y a chez lui une gravité qui l'a conduit à une incessante quête de l'Absolu. En témoignent aussi bien ses peintures que ses écrits poétiques. Comme l'a écrit Paul Caso (Le Soir, 26-28.XII.1980) : « On doit reconnaître l'existence de Marc. Eemans et la singularité d'un métier qui a choisi de n'être ni claironnant, ni racoleur. Il y a là un poids d'angoisse et de sensibilité ».

Jean d'Urcq, Nouvelles de Synergies Européennes, 1999.

http://www.archiveseroe.eu

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