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Friedrich List : Une alternative au libéralisme

ListFriedrich List : Une alternative au libéralisme

[Ci-contre : timbre-hommage à l’économiste libéral allemand Friedrich List (1789-1846) qui a défendu avec force la création d’un puissant réseau de chemin de fer en Allemagne et même en France (cf. « Idées sur les réformes économiques, commerciales et financières applicables à la France », 1831 ; il regrettera au passage son coup d'arrêt suite à la crise de 1839). Il n’y voyait que des avantages : économiques, culturels, sociaux et militaires. La victoire de la Prusse contre la France en 1870 a montré l’importance du rail. Mais il reste plus connu comme l'auteur du Système national d’économie politique (Das nationale System der politischen Ökonomie, 1841) défendant une démarche protectionniste. Le cosmopolitisme et le libre-échange de l'école classique ne servent qu'à masquer l'impérialisme britannique, jouant à son profit des inégalités de développement entre nations : il constate que les États-Unis, malgré des richesses naturelles immenses, ne connaissaient pas le décollage économique qu’ils méritaient, en raison de la dépendance structurelle vis-à-vis de l’Angleterre. Le cadre de la réflexion économique doit donc être la nation dont l'économie politique a pour mission de faire “l'éducation” et de l'acheminer à l'état normal ou complexe. Il défend alors la thèse du protectionnisme éducateur, qui consiste, pour un État, à protéger, pour un temps, les industries jeunes et fragiles, les industries « dans l’enfance » qui ne peuvent supporter, à leur début, la concurrence d’industries étrangères déjà mûres. En effet, « C’est une règle de prudence vulgaire, lorsqu’on est parvenu au faîte de la grandeur, de rejeter l’échelle avec laquelle on l’a atteint afin d’enlever aux autres le moyen d’y monter après soi ». Ces mesures, censées protéger l'appareil industriel national, doivent être temporaires et permettre aux industries naissantes de rattraper leur retard en matière de compétitivité. Il faut accepter de renoncer aux avantages à courte échéance du libre-échange, et privilégier les avantages à plus long terme que procurera un appareil productif solide. En ce sens, le protectionnisme éducateur de F. List est qualifié de protectionnisme offensif]

Doit-on accepter le libéralisme ? Doit-on en accepter les postulats ? Et, d'ailleurs, ceux-ci se vérifient-ils ? Le libéralisme “marche-t-il” ? Est-il efficace ? Et puis, de quelle “efficacité” les libéraux pourraient-ils se targuer ? Efficacité politique ? Efficacité sociale ? Efficacité économique, si souvent soulignée par les tenants du libéralisme ?

On peut douter de son efficacité politique, c'est-à-dire de son aptitude à mettre en œuvre des objectifs proprement politiques ; le libéralisme n’est-il pas, par sa nature même, anti-politique, hostile au politique ? On peut douter aussi de son efficacité sociale, libéralisme étant synonyme d'anomie sociale. Quant à son efficacité économique, son efficacité dans la gestion des affaires économiques, elle ne semble plus guère qu'un souvenir lointain des années de prospérité. La crise économique, qui est aussi et surtout une crise du libéralisme, déchire le tissu productif, notamment industriel, des économies nationales et renforce leur dépendance vis-à-vis du marché mondial. Pourtant le libéralisme n'est pas sérieusement contesté : de la gauche sociale-démocrate à l'extrême-droite atlantiste, en France et ailleurs dans les pays d'Europe occidentale, il fait l'unanimité autour de lui. Il est temps, nous semble-t-il, de faire entendre une petite, toute petite voix discordante…

Le refus du libéralisme économique et aussi la volonté d'édifier une économie qui ne doit rien aux principes du libéralisme ne sont pas des attitudes neuves en Europe, surtout Outre-Rhin. Et pour tous ceux qui, aujourd'hui, cherchent à dépasser le libéralisme et — pourquoi pas ? — la crise qui en est le produit (crise à la fois intellectuelle et économique), la pensée économique allemande demeure une référence indispensable.

Dès le XIXe siècle, le libéralisme économique, justification idéologique du capitalisme naissant (contre l'État et les communautés) et de l'impérialisme britannique (contre l'aspiration des peuples à l'indépendance), s'est heurté dans l'espace culturel allemand à des traditions intellectuelles profondément enracinées et, notamment, à l'idéalisme allemand. La réponse allemande au défit libéral fut rapide et brutale, présentée sous forme de sèches alternatives.

Ainsi, alors que la pensée libérale classique développe, avec Adam Smith et Jean-Baptiste Say, une théorie de l'échange d'où découle naturellement l'exigence du libre-échange, la pensée économique allemande développe une théorie de la production, avec List, qui préconise une intervention de l'État afin de favoriser le développement des forces productives notamment par le protectionnisme (l'élévation de barrières douanières), la pensée économique allemande développe aussi une théorie de la répartition avec le socialisme d'État qui postule la nécessité d'une intervention de l'État pour corriger une situation dans laquelle le plus grand nombre vit dans la misère tandis qu'une minorité s'enrichit librement au détriment de l'État et de la majorité des Allemands. Dans le socialisme d'État, on compte Rodbertus, Lassalle et sa loi d'airain des salaires, l'École de la chaire qui a inspiré les lois sociales bismarckiennes.

Les postulats de base de la pensée libérale classique sont :

  • L'individualisme : seul agent économique, l'individu.
  • Le rationalisme qui affirme la rationalité naturelle des choix de l'individu et justifie ainsi la liberté des échanges entre les individus qui, naturellement, sont “raisonnables” et “libres”.
  • L'hédonisme : l'individu ne recherche que son bonheur personnel.
  • Le matérialisme : le bonheur consiste, pour l'individu, dans son bien-être matériel.
  • Le cosmopolitisme : aucune barrière ne doit gêner les individus et entraver leurs échanges. Ainsi doit s'instaurer un libre échange international qui conduit à la division internationale du travail.

Mais la pensée économique allemande réfute point par point les postulats de l'économie classique :

  • l'individu n'existe pas en lui-même. Il se définit par l'ensemble de ses appartenances et de ses relations sociales ("affinités" et "solidarités" dans le sens donné à ces termes, depuis Durkheim, par la sociologie française). Sur le plan strictement économique, Rodbertus insiste sur le caractère coopératif (il dit même “communiste”) de la division du travail.
  • La Nation (qui, chez les libéraux, n'est qu'une somme arithmétique d'individus) est un organisme, c'est-à-dire une entité vivante et supérieure à la somme des individus qui la composent (Le Tout est plus que la somme des parties). Il existe donc un intérêt général spécifique, ce qui s'oppose aux postulats du libéralisme. Selon la logique libérale, en effet, le libre jeu des intérêts individuels aboutit à l'intérêt générai (ce libre jeu, c'est la “main invisible” d'Adam Smith). En revanche, la pensée allemande préconise l'intervention de l'État pour corriger les effets pervers du libre jeu des intérêts individuels. L'État incarne la Nation et sert l'intérêt général. Il est aussi un pouvoir politique (un pouvoir de contrainte sur les hommes), le centre de décision suprême, y compris sur le plan économique. Pour les libéraux, il y a une multiplicité de centres de décision (autant que d'agents économiques) dont aucun ne doit surpasser les autres juridiquement, et l'État ne peut être qu'un État minimal qui n'agit que pour faciliter les échanges et en garantir la liberté. La pensée allemande postule l'importance des facteurs non rationnels et parmi le plus important d'entre eux : l'appartenance à un peuple (Volk).
  • Contre l'hédonisme, la pensée économique allemande développe une conception héroïque (qualifiée aussi, parfois, de “prussienne”) basée sur le sacrifice de l'individu au Tout (Cf. Werner Sombart, Händler und Helden), sur la notion de "service" (Cf. Oswald Spengler, Preussentum und Sozialismus). Contre le matérialisme, une morale prussienne-protestante du devoir hisse au premier plan le devoir du travail (Cf. O. Spengler, op.cit. : Le travail est un devoir, ce n'est pas une marchandise).
  • Contre le cosmopolitisme, Johann Gottlieb Fichte prône dans son État commercial fermé l'autarcie et List prône pour l'Allemagne l'auto-suffisance économique dans le cadre de l'espace centre-européen (Mitteleuropa (1). À la société marchande internationale, au “marché mondial”, la pensée allemande oppose la communauté organique du Peuple (Volk), encadrée par un État souverain. Aux rapports marchands, qui sont des rapports des hommes aux choses, elle oppose les rapports organiques, qualifiés de liens communautaires entre hommes membres d'un même Tout, c'est-à-dire d'un même Volk. Au contrat qui se noue entre individus, elle oppose le statut qui définit juridiquement l'individu en fonction de son appartenance à une communauté.

Dans la pensée économique allemande, Friedrich List occupe une place particulière : il est en effet l'un des premiers, avec le romantique Adam Müller, à avoir opposé un système complet, son “système national d'économie politique” au système libéral et le premier dont les idées soient passées dans les faits, sous la forme du protectionnisme. Il a ainsi contribué à opposer un barrage au déferlement des idées libérales et remporté, avec le protectionnisme, une première victoire décisive sur les libéraux, ces « modernes barbares » dénoncés par Ferdinand Lassalle.

Aujourd'hui, les conceptions de List sont redécouvertes et semblent triompher de celles de ses adversaires libéraux, du moins dans le Tiers-Monde ; les organisations internationales (comme l'UNESCO) aussi bien que les théoriciens du développement, tels que François Perroux, n'insistent-ils pas sur la nécessit&eacute, pour les pays du Tiers-Monde d'un développement endogène (ou “autocentré”) et intégré ?

Or ces thèmes furent ceux déjà de Friedrich List qui, au siècle dernier, demandait aux nations européennes et nord-américaine, d'en faire leurs règles de politique économique pour pouvoir ainsi se libérer de la domination économique britannique et se développer au mieux. La notion de développement endogène apparaît chez List lorsque celui-ci insiste sur la nécessité, pour chaque nation, de bâtir son développement sur l'accroissement de toutes les forces productives internes et lorsqu'il donne à l'industrie un rôle majeur d'entraînement. Quant à la notion de développement intégré, elle apparaît chez List sous le vocable de « nation normale » qui vise les nations dotées d'un tissu productif aussi complet et harmonieux que possible.

Mais les leçons de List ne sont pas valables que pour le seul Tiers-Monde ; elles concernent aujourd'hui tous ceux qui refusent l'économie libérale et veulent libérer leur économie nationale de l'emprise d'un marché mondial dominé par les oligopoles américains.

List récuse le libéralisme d'Adam Smith, ce dernier raisonnant en effet sans tenir compte des nationalités et en « présupposant l'existence de l'association universelle et de la paix perpétuelle ». List fait de la Nation sur laquelle il construit son système un intermédiaire entre l'individu et l'Humanité. Il est, comme Herder (2), à la fois un nationaliste et un “cosmopolite”. Mais c'est aussi un “libéral progressiste” qui croit au progrès politique et économique de l'Humanité et pense que « l'union future de tous les peuples », « l'établissement de la paix perpétuelle et de la liberté générale du commerce [constituent] le but vers lequel tous les peuples doivent tendre et dont ils doivent de plus en plus se rapprocher ». Il n'empêche, l'Humanité unie et pacifiée n'est, pour List, qu'une vision d'avenir, les lois de l'Histoire commandent le présent. Refusant les abstractions et le dogmatisme des libéraux classiques, List veut renouer avec l'Histoire (en cela, il est le père spirituel de l'École Historique). De ses études sur l'histoire économique des Nations, il déduit :

  • 1) l'importance du pouvoir politique sur le développement économique des Nations,
  • 2) l'idée du développement inégal et progressif des Nations. List estime que les Nations passent par quatre états successifs : l'état sauvage, l'état pastoral, l'état agricole et l'état complexe agricole / manufacturier / commerçant, ce dernier étant le stade de ce qu'il appelle la "Nation normale".

List constate que le libre-échange repose sur l'inégalité de développement entre les nations et qu'il conduit, en fait, à asseoir la domination du pays le plus développé. Au système libéral, List oppose son propre système à la base duquel il place la Nation en tant que « Tout existant par lui-même » et au sommet, un État interventionniste, un État qui est « un État fort, incarnant le bien commun national, restreint dans ses attributions mais non dans son autorité, assuré de contacts permanents avec les représentants légitimes des forces nationales et notamment des forces économiques. Cet État fort doit être un État léger, ne s'encombrant pas de la gestion matérielle des forces économiques mais leur assurant l'impulsion, l'organisation, la discipline et la protection indispensables pour assurer l'ordre et la prospérité de la communauté nationale » (Cf. Maurice Bouvier-Ajam, voir notre bibliographie). Selon List, l'objet de l'économie politique nationale est d'assurer le développement des forces productives de la Nation et la satisfaction de tous les besoins du peuple et non la satisfaction des seuls besoins individuels.

List, en effet, oppose à la théorie libérale des valeurs d'échange une théorie des forces productives. De Smith, il rejette sa conception de la richesse comme s'attachant exclusivement aux valeurs échangeables, conception qui découle de la seule considération, par Smith, des intérêts privés. À ce propos, André Piettre écrit : « Valeur d'échange signifie : valeur donnée sur le marché aux biens et aux services par les individus munis d'argent. Les satisfactions privées sont le primum movens de la vie économique » (3).

Pour List, « le pouvoir de créer des richesses est infiniment plus important que la richesse elle-même », « la prospérité d'un peuple ne dépend pas de la quantité de richesses et de valeurs échangeables qu'il possède mais du degré de développement des forces productives ». La Nation doit donc développer ses forces productives aux dépens des valeurs échangeables actuelles, des préférences des particuliers.Parmi les forces productives de la Nation, List distingue les forces productives naturelles, les forces instrumentales, les, forces financières et les forces nationales.

  • 1) Les forces naturelles concernent l'ensemble des conditions naturelles et des dons de la nature avant leur transformation par l'homme : elles englobent les forces élémentaires, les forces produites (flore, faune et richesses minérales) et les forces humaines.
  • 2) Les forces instrumentales sont les produits matériels d'efforts antérieurs du corps et de l'esprit
  • 3) Les forces financières qui, pour List, sont les forces instrumentales les plus perfectionnées, englobent les forces monétaires et les forces de crédit.
  • 3) Enfin, List appelle forces nationales l'ensemble des forces naturelles, instrumentales et financières déjà examinées « au jour où elles existent au sein d'une communauté dont l'unité nationale s'est affirmée ». Mais il appelle aussi forces nationales « l'ensemble des moyens permettant de mieux conjuguer, de mieux harmoniser et de mieux développer ces forces nationales lato sensu » (Cf. Maurice Bouvier-Ajam). Ces moyens concernent l'organisation civile et politique de la Nation, les brevets d'invention et les droits protecteurs, la division du travail, etc.

Le développement des forces productives doit se faire de la manière la plus complète et la plus harmonieuse possible pour que la Nation puisse accéder au stade de ce que List appelle la « Nation normale » caractérisée par l'existence d'une industrie manufacturière et une collaboration économique complète entre cette industrie et l'agriculture. Pour parvenir à ce stade ultime de son évolution économique, la Nation doit refuser le libre-échange qui ne peut conduire qu'à (a domination du pays le plus développé. Mais une fois toutes les nations parvenues à ce stade, alors la liberté des échanges deviendra de nouveau possible et même nécessaire pour stimuler la production. La vision qu'avait List d'une Humanité unie et pacifiée pourra se réaliser.

Si l'on met à part les convictions “progressistes” de List, qui sont celles d'un bourgeois libéral du XIXe siècle, on doit reconnaître que sa contribution à la pensée économique non libérale est assez considérable : son influence s'est faite sentir sur le protectionnisme allemand (le Zollverein) (4), sur les protectionnismes doctrinaux nord-américain et français (l'Américain Carey et le Français Cauwes furent ses disciples), sur l'École Historique allemande et, même jusqu'à Marx (surtout dans sa théorie des forces productives). List, en repoussant les postulats de l'économie libérale et en déniant tout caractère scientifique à l'économie cosmopolite des libéraux, a posé les jalons pour une économie nouvelle.

► Thierry Mudry, Orientations n°5, 1984.

♦ Notes :

  • 1) Les thèses allemandes concernant la Mitteleuropa ont été synthétisées en 1916 par Friedrich Naumann dans un ouvrage intitulé Mitteleuropa (Georg Reimer, Berlin, 1916). Cet ouvrage porte bien sûr la marque de son temps et spécule sur la victoire des Empires Centraux. Jacques Droz, professeur à l'Université de Clermont-Ferrand a, lui, en 1960, écrit un ouvrage retraçant l'évolution historique de l'idée de “Mitteleuropa” (J. Droz, L'Europe Centrale : Évolution historique de l'idée de “Mitteleuropa”, Payot, 1960).
  • 2) Pour comprendre la vision du monde de Herder, on se référera aux excellentes introductions à son œuvre dues à la plume de Max Rouche, professeur à la Faculté des Lettres de Bordeaux. Ces textes sont parus dans les traductions françaises de Herder publiées chez Aubier/Montaigne : Idées pour la philosophie de l'histoire de l'humanité (Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit) (1962) et Une autre philosophie de l'histoire pour contribuer à l'éducation de l'humanité (Auch eine Philosophie der Geschichte) (1964). Ces 2 volumes présentent le texte original avec la traduction en regard.
  • 3) Cf. bibliographie.
  • 4) Le Zollverein est l'Union douanière entre les multiples États allemands. Cette union s'est constituée, sous l'impulsion de la Prusse, de 1819 à 1834. Cette initiative visait à pallier le retard de l'Allemagne par rapport à l'Angleterre en matière industrielle. La construction d'un réseau de chemin de fer facilitera l'unification économique de l'Allemagne.

♦ Bibliographie :

  • Friedrich List, Système national d'économie politique, Capelle, Paris, 1857. [Rééd. Tel/Gallimard, 1998, préf. Emmanuel Todd. Ce livre est l'un des rares ouvrages théoriques sur le protectionnisme. List préconise une protection différenciée selon les secteurs et l'état de développement de l'économie. Publié en 1841, son texte alimente toujours les débats sur le nationalisme économique, notamment dans le pays se réclamant le moins protectionniste, les États-Unis]
  • Maurice Bouvier-Ajam, List, sa vie, son œuvre, son influence, Ed. du Rocher, Monaco, 1953
  • Charles Andler, Les origines du socialisme d'État en Allemagne, Félix Alcan, 1911
  • André Piettre, Pensée économique et théories contemporaines, Précis Dalloz, 1979
  • Louis Delbez, La pensée politique allemande, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, Paris, 1975
  • Pierre Pascallon, « Actualité de List », in : Le Monde, 26 mai 1981

◘ Entrées connexes : Napoléon - Participation -

◘ Notice : Il est resté dans l’histoire des idées comme le principal défenseur du protectionnisme, au nom de l’argument des « industries dans l’enfance » : il faut protéger les activités naissantes si l’on ne veut pas que les concurrents étrangers, qui ont déjà essuyé les plâtres et qui, grâce à l’expérience et à l’apprentissage accumulés, ont pu réduire leurs coûts, n’occupent toute la place et empêchent un pays de s’engager à son tour dans la voie de l’industrialisation. Selon lui, le libre-échange a tendance à perpétuer la domination des nations qui ont su se lancer en premier dans une industrie porteuse. Il préconise donc l’utilisation des droits de douane pour favoriser l’éclosion d’industries nationales compétitives. Il défend ainsi la thèse du protectionnisme éducateur, qui consiste pour un Etat à protéger, pour un temps, les industries jeunes et fragiles. Mais il ne s’agit là que d’une fraction – mineure – de son « système national d’économie politique », où il anticipe Leontief en soulignant l’ampleur des relations interindustrielles qui constituent la réalité d’une économie développée. (Alternatives économiques, 2005)

◘ Avis : L’ouvrage de Friedrich List Système national d’économie politique, conçu pour l’essentiel à Paris, a circulé à travers le monde à partir de 1841 et a fourni un argumentaire majeur pour tous les opposants au libre-échange britannique. Dans cet ouvrage, List montre explicitement comment le système d’Adam Smith n’est rien d’autre qu’un outil pour permettre le pillage des pays sous-développés. Il reste, de ce fait, d’une importance capitale pour nous. Plus profondément, List explique pourquoi le libre-échange n’a rien de scientifique. Pour Adam Smith, la richesse des nations est basée sur l’échange de valeurs organisé selon un principe consistant à « acheter à bon marché pour revendre cher ». A contrario, List estime qu’une nation qui ne produit que des valeurs d’échange peut paraître à un certain moment dans une bonne position économique, mais elle ne sera jamais souveraine, indépendante et réellement forte au niveau industriel. Il écrit que « la faculté de produire de la richesse est plus importante que la richesse elle-même ; elle assure non seulement la progression et l’augmentation de ce qui a été gagné mais aussi le remplacement de ce qui a été perdu ». Ainsi, la vraie source de la valeur, c’est l’éducation, les progrès culturels, le développement scientifique : « L’état actuel des nations est le résultat de toutes les découvertes, inventions, améliorations, perfections et efforts de toutes les générations qui ont vécu avant nous ; ceux-ci forment le capital mental de l’espèce humaine d’aujourd’hui et chaque nation séparée n’est productive que dans la mesure où elle a su comment s’approprier les acquis des anciennes générations et les accroître par ses propres acquis. Le produit le plus important des nations, ce sont les hommes ». (présentation site S&P)

◘ Prolongements : L'analyse comparative entre cas français et cas allemand est peu traitée de manière approfondie, bien que sous la Restauration le ministre du Commerce Adolphe Thiers, en contact étroit avec List, tire parti de ses observations. Mentionnons pourtant parmi les articles d'un dossier consacré à l'actualité du protectionnisme par le site laviedesidees.fr : « Le protectionnisme : un libéralisme internationaliste -  Naissance et diffusion, 1789-1914 » (David Todd [fils d'Emmanuel], auteur qui désavoue la “culture protectionniste” française qu’il avait décrite dans l’ouvrage L’identité économique de la France : libre-échange et protectionnisme, 1814-1851 : « La culture du protectionnisme est en effet majoritaire en France. Elle n’est pas issue de la droite radicale : elle est née au centre droit de l’échiquier politique, sous l’impulsion d’Adolphe Thiers. C’était à l’époque de la Troisième République, une république conservatrice, une démocratie de producteurs. En cela la France s’oppose au Royaume-Uni, une démocratie de consommateurs, qui est libre-échangiste ». Notons que si l’étude de Todd s'appuie sur une logique de classe (le protectionnisme en France servait en grande partie les intérêts de la bourgeoise industrielle, alors que les représentants de la classe ouvrière auraient plutôt été enclins – du moins selon les moments – au libre-échange qui fait baisser le prix des produits alimentaires), elle n'en oppose pas moins sur un plan théorique libre-échange et protectionnisme. Or historiquement il conviendrait de nuancer. Car, si suite à la révolution de 1830 les nouveaux dirigeants politiques sont convaincus de la justesse des thèses libre-échangistes (not. ceux de Say) dans la perspective de moderniser l’économie française et ainsi de renforcer sa puissance face à celle britannique, ils jugent toutefois inapplicables en l’état une libéralisation complète et rapide du commerce extérieur (du fait des caractéristiques structurelles socio-économiques), ce qui les amene à composer avec les principes théoriques auxquels pourtant ils adhèrent. Cette attitude, peu ou prou, se perpétue au cours du XIXe siècle et il serait hâtif de déduire de cette pratique réaliste du modus vivendi une culture protectionniste française héritée de cette époque. Une étude de Michael Smith soulignait encore la nécessité d’un compromis entre protectionnistes et libre-échangistes afin de ne pas mettre en péril la IIIe République naissante : les premiers ont pu faire prendre en compte leurs vue – mais pas totalement (pas de retour à la situation d’avant le traité de 1860) – à la fin du XIXe (cf. tarifs Méline) alors que les seconds ont réussi à endiguer les revendications des partisans du système protecteur au cours des années 1870 et 1880. Considérer de manière pragmatique l'exercice régulateur du pouvoir invite ainsi à relativiser l’idée d’une culture protectionniste française en soi)

◘ Lien : site pour un protectionnisme européen

http://www.archiveseroe.eu

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