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Sociétés multiculturelles, sociétés liberticides ?

Dans le prolongement de la Renaissance, les XVIIe et XVIIIe siècles ont refondé les libertés européennes : liberté de la personne avec l'habeas corpus, liberté de conscience, liberté d'opinion, d'expression et de recherche.
C'est dans ce prolongement que les révolutions, anglaise, américaine et française, ont posé les principes de liberté aujourd'hui encore en vigueur dans les grandes démocraties occidentales.
Or la transformation des sociétés européennes et américaines en sociétés multiculturelles et multiraciales change la donne. En Angleterre, la fin de l'habeas corpus est programmée. En France, la liberté d'expression est mise sous surveillance. Aux Etats-Unis, la communautarisation des relations du travail est judiciarisée.

Explications :

1. Angleterre : la fin de l'habeas corpus

Dans la suite des sanglants attentats de Londres, l'affaire de l'innocent Brésilien tué à bout portant par la police – a révélé que Scotland Yard avait reçu des instructions autorisant le tir « préventif » sur les suspects de terrorisme. Et le gouvernement de Tony Blair a préparé une loi sur le terrorisme – suscitant, il est vrai débat – portant le délai de garde à vue… à 3 mois. Il est lourd de sens que ces deux faits soient survenus au pays de l'habeas corpus !
Ils sont d'autant plus surprenants que le terrorisme n'est pas un phénomène nouveau en Grande-Bretagne : depuis près de 40 ans le terrorisme irlandais y est présent. Tout comme l'Espagne a dû faire face au terrorisme basque, la France au séparatisme corse sans parler du terrorisme d'extrême gauche, des Brigades rouges (Italie), de la Fraction Armée rouge (Allemagne) ou d'Action directe (France).
Certes ces terrorismes classiques à finalités politiques (construire un Etat nouveau ou changer de société) ont été combattus et dans certains cas ont suscité des adaptations législatives mais sans que globalement les principes fondamentaux concernant les libertés de la personne soient remis en cause. Il en va différemment avec le terrorisme islamique qui présente la double caractéristique d'être à la fois domestique (ceux qui le pratiquent habitent le pays qu'ils frappent et en ont parfois la nationalité) et étranger (par la mentalité qu'il véhicule et les techniques qu'il utilise).
Il y a en effet trois différences majeures entre le terrorisme classique et le terrorisme islamique :

a) le terrorisme classique a des objectifs politiques et inscrit son action dans la rationalité occidentale ; il peut donc faire l'objet d'analyses rationnelles voire permettre l'existence d'un espace de négociation ; il en va différemment du terrorisme islamique qui est un cri de douleur de masses délocalisées et déracinées dont le centre est partout et la circonférence nulle part ; il n'ouvre pas d'espace à la négociation.

b) le terrorisme islamique ne réserve pas ses attaques à des objectifs « politiques » ou « militaires », il choisit principalement des cibles civiles. c) le terrorisme islamique utilise une arme particulière, le kamikaze, dont le mode opératoire rend évidemment plus difficile les actions de prévention et de neutralisation.

Ces trois différences majeures du terrorisme islamique avec le terrorisme classique expliquent que, pour le combattre, les Etats démocratiques sont portés à s'écarter de leurs lois traditionnelles et à se rapprocher des règles de l'état d'urgence pour faire face à des situations d'exception, perçues comme des situations de guerre. La notion de « guerre au terrorisme » porte en elle-même le germe d'un abandon de l'Etat de droit classique. Abandon d'autant plus grave qu'il est mis en œuvre à l'intérieur du territoire des démocraties et que par souci de non-discrimination il s'applique à toutes les populations, y compris celles qui par leur culture ne peuvent pas être les vecteurs du terrorisme islamique.

2. France : la liberté d'expression sous surveillance

Que penser d'un pays qui défère devant ses tribunaux pour délit d'opinion des écrivains, des professeurs d'université ou de collège, des sociologues, des parlementaires, des journalistes, des humoristes, des chanteurs, des maires ? Que penser de ce pays où les condamnations pour délit d'opinion peuvent être symboliques mais déboucher aussi sur des amendes importantes ou des interdictions civiques ou professionnelles voire la prison ?
Ce pays auquel nous pensons ici ce n'est pas la Corée du Nord ou Cuba, la Chine ou la Russie, c'est la France. Au cours des derniers mois la liste des personnalités déférées devant des tribunaux ou jugées pour leurs propos est impressionnante. Il s'agit du sociologue Edgar Morin, de l'essayiste et ancien député européen Samir Naïr, de l'universitaire Danièle Sallenave, de l'écrivain italien Oriana Fallaci, de Michel Houellebecq, du rappeur « Monsieur R », du professeur d'histoire Louis Chagnon, des députés Philippe de Villiers et Christian Vanneste, de l'écrivain Jean Raspail, du journaliste Daniel Mermet, de l'animateur de télévision Marc Olivier Fogiel, de l'ancien patron de France 2 Marc Tessier, du maire UMP d'Emerainville Alain Kelyor et de l'humoriste Dieudonné. Cette liste est incomplète, elle n'en est pas moins impressionnante. Cet ensemble de personnalités – de gauche, de droite ou du centre, intellectuels ou artistes, politiques ou universitaires – a pour point commun d'avoir été poursuivi au titre de la loi Pleven/Gayssot/Perben) pour incitation « à la haine ou au racisme ». Nul, bien sûr, n'est obligé de partager leur propos : on peut trouver bien lourdes les provocations de Dieudonné, excessives les analyses d'Oriana Fallaci sur l'Islam, injustes pour l'Etat d'Israël les points de vue de Daniel Mermet ou d'Edgar Morin et grossières les strophes de « Monsieur R » pour qui « la FranSSe est une garce, n'oublie pas de la baiser jusqu'à l'épuiser comme une salope ». Il n'en reste pas moins que l'encombrement des bancs des tribunaux correctionnels par des personnalités aussi diverses à qui le seul reproche fait concerne leurs propos ne manque pas de mettre mal à l'aise. Car ce qui est demandé ici aux tribunaux c'est de juger des délits d'intention, des délits de mauvaise pensée. Le plus grave sans doute étant que la loi Perben II a abandonné, pour ce type d'affaires, les règles procédurales protectrices de la grande loi sur la presse de 1881 : bref, un bond en arrière, en matière de liberté, d'un siècle et demi !
Tout ceci est inspiré par une bien-pensance faite de bons sentiments : prévenir tout ce qui pourrait passer pour « des incitations à la discrimination, à la haine, à la violence, envers des personnes à raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion ».
Or dans une société où les difficultés de coexistence entre communautés différentes s'accroissent, la tendance est d'incriminer de plus en plus de propos, de plus en plus d'écrits, de plus en plus de personnes, ce qui débouche sur une nouvelle pudibonderie défendue par la loi, comme en d'autres temps les lois protégeaient les croyances religieuses du blasphème.
Or cette évolution s'est faite grâce à des lois multiples généralement votées à l'unanimité ou à la quasi-unanimité.
Ce qui est plus grave encore c'est que cette volonté de contrôler les expressions semble acceptée par l'opinion publique. C'est ainsi qu'un sondage TNS/Figaro du 24/25 août 2005 affirme que 77 % des Français (contre 20 %) jugeaient « inacceptables » de « critiquer une religion ».
Si ce sondage reflète la réalité, il révèle que l'opinion a intégré l'idéologie dominante visant à gommer les oppositions de culture, de religion, de civilisation, de crainte de voir de légitimes critiques déboucher sur des conflits. Cette forme d'autocensure n'en est pas moins préoccupante.
Renoncer à toute critique des religions n'est-ce pas la négation de la vitalité dans la double mesure où l'arborescence religieuse s'est construite par la critique ou la révision des religions préalablement existantes et où le monde moderne s'est édifié à partir de la libre critique des dogmes religieux ?
Là encore le nouveau conformisme, s'il est la marque du succès du formatage de l'opinion, n'en représente pas moins une formidable régression des libertés de l'esprit.

3. Aux Etats-Unis : des relations du travail communautarisées et judiciarisées

Aux Etats-Unis, la politique dite de discrimination positive, en fait, de discrimination forcée en faveur des minorités, conduite notamment dans les universités et pour l'accès à l'emploi, est mise en œuvre depuis près de 40 ans. Contestée dans certains Etats, elle n'en est pas moins appliquée avec une sévérité de plus en plus grande. On assiste ainsi à une communautarisation des relations du travail : une certaine proportion des divers emplois devant être attribuée selon des critères collectifs et non individuels aux représentants des différentes minorités raciales, et plus particulièrement aux Afro-Américains.
Cette communautarisation, qui consiste à juger en bloc la légalité de la politique d'emploi des firmes, est de plus en plus soumise au contrôle des juges : chaque année la commission pour l'égalité d'accès à l'emploi défère en effet plus de 400 cas devant les tribunaux. Ceci ne représente d'ailleurs qu'une partie de la réalité puisque beaucoup d'entreprises préfèrent négocier préventivement avec les représentants des minorités pour éviter des procès. C'est ainsi que la SODEXHO vient d'accepter de verser près de 80 millions de $ de dommages et intérêts à ses 4 000 employés noirs pour éviter un procès aussi spectaculaire que coûteux.

4. Angleterre, France, Etats-Unis : un recul massif des libertés

Ainsi dans les trois grandes démocraties modernes le recul des libertés est manifeste. Certes, il ne porte pas partout sur les mêmes sujets. La liberté d'expression reste quasiment intacte en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis (où elle est protégée par le Premier Amendement de la Constitution). L'habeas corpus n'est pas remis en cause en France. Et la judiciarisation de la communautarisation des relations du travail n'est encore qu'embryonnaire en France et en Grande-Bretagne.
Il n'empêche que si on cumule les évolutions majeures observées aux Etats-Unis, en France et en Grande-Bretagne on aboutit à la mise en œuvre de pratiques liberticides : au nom de la défense de l'harmonie des sociétés multiculturelles, ce sont des politiques multitotalitaires qui se mettent en place.
Andrea Massari © Polemia 6/10/2005

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