Tout modèle ne vaut que ce que valent ses hypothèses, Ce principe épistémologique s'applique donc naturellement aux modèles économiques et financiers.
L'hypothèse économique fondamentale sur laquelle a reposé toute la belle mécanique financière est simple, et peut-être naïve: la progression constante des prix de l'immobilier. La seule raison pour laquelle des crédits ont été accordés à des ménages à faibles revenus, c'est la possibilité de rembourser le prêt en cas de défaillance en revendant le logement acquis grâce au prêt. Comme leur valeur ne cesse de s'apprécier, la défaillance des emprunteurs fi' est pas "réellement" un problème. Les techniques de vente agressives du crédit immobilier à des ménages à faibles revenus prévoyaient des taux variables. A la grande époque du crédit immobilier américain (2004-2006), les taux sont faibles et il n'existe pas de raison qui permette de penser que ces taux (indexés sur le bon fonctionnement de l'économie américaine) remonteront brutalement. C'est la raison pour laquelle les produits contenant des crédits immobiliers sont bien notés par les agences de notation.
Le coup du ciseau
Les deux supports du modèle "subprime" ont évolué dans un sens contraire : pour lutter contre l'inflation, la banque centrale américaine a remonté ses taux directeurs (renchérissant le coût du crédit) et le marché immobilier américain a baissé (faisant chuter la valeur des logements nouvellement acquis) : la crise se révèle en juin 2007.
A partir de ce moment, la crise est imparable. Les ménages endettés sont insolvables. Les banques font jouer des garanties portant sur des logements dont la valeur est largement inférieure au montant des prêt accordés. Les acheteurs des fameux produits structurés ne reçoivent plus leur paiement. Apparaissant à leur bilan pour une valeur qui n'est plus la leur, ils sont obligés de les déprécier : ils font apparaître une charge comptable, les provisions, qui signale qu'il y a une forte probabilité qu'ils perdent, contre leurs espérances, l'argent qu'ils avaient investi dans ces produits. Comme un investissement en finance ne vaut que ce qu'il rapporte (dans le cas de ces produits) plus rien ou presque, leur valeur, celle des acheteurs et des banques eux-mêmes (qui sont, pour leurs actionnaires et leurs prêteurs, des investissements comme les autres) chute brutalement.
Les banques du monde entier, qui entretiennent des relations croisées en permanence (puisqu'elles se prêtent et s'échangent entre elles des liquidités, et cela de manière ininterrompue), rompent instantanément leurs opérations, contribuant ainsi à l'effondrement général du système et du prix des instruments financiers. L'argent ne circule plus, c'est une crise de liquidité.
La panique bancaire et la crise de liquidité
Un vent de panique s'empare des places financières : leurs acteurs se sont échangé pendant 5 ou 6 ans des produits qu'ils ont eux mêmes retransformés et revendus à leurs propres clients et il s'avérerait que ces produits ne valent plus rien, alors même qu'on ne les a pas prévenus du risque ?
La transmission à l'économie réelle
Une des conditions nécessaires à l'établissement d'une relation entre un emprunteur et un investisseur, c'est la confiance. Quand cette confiance est perdue, le marché est gelé et les éventuels investisseurs désertent. Il faut alors restaurer la confiance et c'est le rôle que les Etats vont s'efforcer de jouer dans les prochains mois.
Les répercussions de la crise de la sphère financière sont liées à ce climat de confiance.
En effet, les cours des entreprises cotées intègrent des informations sur les perspectives économiques réelles de ces entreprises. Par le jeu des achats et des ventes de titres, les investisseurs traduisent leur optimisme ou, au contraire, leurs inquiétudes sur le futur. La chute des cours est donc déjà un indicateur (et non pas une cause) de mauvaises perspectives économiques et se répercute sur le moral des entreprises.
Sur l'économie « réelle », l'assèchement des liquidités et le durcissement des conditions d'octroi des financements (par dette ou fonds propres) influencent directement les capacités d'investissement des grandes entreprises qui ont accès aux marchés financiers. Or l'on sait que l'investissement conditionne la croissance des revenus, et donc celle des salaires des ménages. Mais le tissu des petites et moyennes entreprises est également frappé par les remous de la sphère financière et cela, de deux façons : d'une part, les PME n'ayant pas accès aux marchés financiers (99 % d'entre elles) financent une partie de leurs investissements en ayant recours à l'endettement bancaire. Sans intervention efficace des autorités publiques, les banques ne joueront plus ce rôle de soutien à l'investissement, qui est habituellement le leur vis-à-vis de ces entreprises.
D'autre part, un certain nombre de PME agissent comme sous-traitants de grands groupes. Les plans de réduction de coûts attendus en raison des mauvaises perspectives économiques vont donc également les toucher, entraînant vraisemblablement des réductions d'effectifs et une stagnation des salaires.
Antoine Michel
Une crise en sept étapes
Les étapes de la crise ont été décrites par l'économiste Hyman Minsky, dont Philippe Escande résumait l'analyse en sept phases dans Les Echos du 19 septembre.
1. En 2001, le président de la Réserve fédérale américaine, Alan Greenspan, décide une baisse massive des taux d'intérêts pour relancer l'économie frappée par l'éclatement de la bulle internet et les attentats du 11 septembre.
2. Le prix de l'argent étant très bas, les acheteurs foisonnent. Les prix des maisons et des entreprises cotées en Bourse montent donc, sans décourager les acheteurs puisqu'ils pourront revendre plus cher demain ce qu'ils achètent aujourd'hui à crédit, grâce à des taux d'intérêt très attractifs.
3. Une innovation financière apparaît : la titrisation, qui permet de vendre sur le marché, comme une action ou une obligation, une promesse d'argent à venir.
4. Les prix en Bourse flambent et la spéculation fait rage.
5. Les instruments financiers deviennent si complexes que seuls les spécialistes les comprennent encore, alors que les acheteurs se multiplient dans un public non-initié.
6. Les initiés s'inquiètent et commencent à se retirer.
7. Ce mouvement de retrait s'amplifie. Avec la faillite des subprimes immobiliers, les investisseurs ne trouvent plus à céder leurs titres. Plus personne ne voulant acheter de la dette, les banques n'en accordent plus. « Les investisseurs du monde entier se précipitent pour récupérer tous azimuts ce qu'ils avaient placé pour le long terme, conclut Philippe Escande. La finance vacille. »
monde&vie du 3 novembre 2008