Comment un homme épris de grande littérature, de Balzac en particulier, de musique, de cinéma et qui ne s'était jamais directement engagé dans le camp fasciste avant la fin de la Seconde Guerre Mondiale a-t-il pu avec une énergie exemplaire devenir par la suite, contre le courant fabriqué de l'Histoire, un fasciste d'une orthodoxie intellectuelle remarquable ? L'exécution criminelle de Robert Brasillach, son ami, son frère, son complice, le 6 février 1945, explique dans une certaine mesure la ténacité de Maurice Bardèche à découvrir le vrai visage du vainqueur, à démonter ses arguties, à démasquer le Moloch se terrant derrière les agitations épuratrices. Un combat énorme dont il fut longtemps, en Europe, la tête de proue, au profit de la réorganisation des forces de vie, celles prônant la virilité, l'indépendance, le beau et la volonté de perdurer contre l'engeance de mort qui gouverne depuis 1945 l'ensemble du monde occidental. Mais, enfin, comment cet être apparemment fébrile, fils de radical-socialiste bien républicain, adolescent timide, ombrageux et pudique, amoureux de littérature psychologique (et non littéralement à thèse) a-t-il réussi à soustraire sa pensée des seuls plaisirs de l'art qui, seuls, étaient susceptibles de le faire vivre, et bien vivre grâce à un talent et à une intelligence hors du commun ? Avant la fidélité envers les hommes tombés autour de lui à la "Libération", la source de ce galop fasciste d'un demi-siècle ne peut-il pas s'expliquer, "simplement", par l'attrait irrésistible pour la vérité, la vérité qui lui fera mieux comprendre « cette sensation que la terre se dérobait sous ses pieds » après le désastre et l'avènement d'une sorte d'autorité "morale" mondiale imposée par les vainqueurs.
Cette sensation que la garantie « de mon existence, de mes droits, de ma nation », écrit-il dans Nuremberg ou la terre promise, « cessait d'être ma propriété. Ce socle de mon civisme, de mon dévouement, qui était aussi le socle de ma vie, n'existait plus. » L'ouvrage en question, publiée en 1948, dérange évidemment la France épurée et fait l'objet de saisies. L'auteur récidive, imprudemment selon lui, en fait avec bravoure, en 1950 en publiant Nuremberg II ou Les Faux monnayeurs aux Editions les Sept couleurs. Comme l'écrit Francis Bergeron, auteur d'un Qui suis-je remarquable sur Bardèche, « l'action judiciaire fut relancée, sur l'initiative de diverses associations d'anciens résistants, "proches du Parti communiste", comme on disait pudiquement alors, ainsi que par la presse sioniste d'extrême-droite (La Terre retrouvée, Le Droit de vivre). À la surprise générale, la 7e chambre du tribunal correctionnel prononça la relaxe le 6 février 1951, au nom de la liberté d'opinion, tout simplement. Mais le parquet ayant fait appel, Bardèche est cette fois lourdement condamné : un an de prison ferme et cinquante mille francs d'amende. » Marcel Aymé prit la défense de Bardèche, refusant la Légion d'honneur qu'on venait de lui décerner et « écrivit au président de la République pour l'inviter à se la "carrer dans le train" ! » Bardèche est incarcéré le 30 juin 1952 au soir mais il est heureusement gracié le 14 juillet par René Coty qui aurait été ému par la description des malheurs de la famille Bardèche. Le climat épurateur judiciaire se dissipant légèrement autour de lui, notre normalien se lance dans la politique en participant au congrès des mouvements nationaux européens de Malmö après avoir participé à la fin de 1950 à celui de Rome. Le Mouvement social européen (MSE) est créé et codirigé par Maurice Bardèche et l'Allemand Priester qui représente le Deutsche-Soziale Bewegung. Dans le même temps, le Français monte une nouvelle revue qui sera d'abord l'organe officiel du MSE, Défense de l'Occident. Elle paraîtra jusqu'en 1982, mais cessera rapidement de représenter la ligne du MSE, à la suite d'une brouille exténuante entre Bardèche et le néo-national-socialiste René Binet qui prend la tête du MSE avant son écroulement définitif.
Une revue d'un énorme intérêt à une époque où la plupart des publications d'extrême-droite défendait un sionisme absolu... Où il est traité avant tout de géopolitique alors que la formation intellectuelle de Bardèche aurait laissé penser à une orientation éditoriale davantage culturelle. Ainsi jusqu'en 1982, Bardèche s'attèle à la rédaction et à la gestion de sa revue tout en écrivant des livres approfondissant ses sujets de prédilection comme le magistral Sparte et les Sudistes ! En 1987, un véritable fasciste ne parlant pas la langue de bois est invité à Apostrophes chez Bernard Pivot. Là, Bardèche défend le révisionnisme historique et ridiculise son contradicteur BHL ! Et le grand homme de faire taire l'insolence idiote d'un Pivot ramenant tout sujet à la Shoah sacrée en défendant Brasillach comme s'il avait été exécuté la veille ; grand paradoxe : « C'était la période de la guerre, ce qu'il ne faut jamais perdre de vue si l'on veut comprendre quoi que ce soit et pendant la guerre personne n'a entendu parler de ce qui se passait dans les camps et que Brasillach n'a jamais su parce qu'il est mort avant. » Un discours beaucoup plus révisionniste qu'il n'y paraît au premier abord. À propos des « belles consciences » pleurant sur le sort des passagers des boat-people, Maurice Bardèche commente : « Je suis étonné que ces pures consciences n'aient jamais pensé qu'aux victimes qui les intéressaient. Mais ils devaient penser à d'autres ; je m'étonne qu'ils n'aient pas eu un mot sur les souffrances de la population allemande pendant des années, de ces familles écrasées sous les bombes et ayant tout perdu, qu'ils n'aient jamais dit un mot pour comparer les atrocités commises par les uns ou par les autres. Et, également, ceci est peut-être un détail, mais enfin ils étaient en France et cela les regardait, qu'ils aient tous deux (Sartre et Aron) ignoré complètement l'épuration et ses drames ». Bardèche savait en effet mieux que quiconque à quel point les intellocrates anti-biniou et anti-franchouillards (ces fils de "résistancialistes" persécuteurs de poètes...) détestaient les vrais Français...
F.-X. R. Rivarol du 4 mai 2012
Francis Bergeron, Bardèche, Pardès (collection Qui suis-je ?), 128 pages, 12 euros.