Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

LE RÊVE AMÉRICAIN : LE GOUVERNEMENT MONDIAL AU MOYEN DE L'ONU (arch 1991)

Depuis que l'URSS est à la remorque des Etats-Unis, plus rien ne s'oppose à la création d'un gouvernement mondial.
Le vieux rêve américain d'une humanité vertueuse devient réalité. Mais pourquoi faudrait·il se soumettre aux injonctions d'une instance internationale - l'ONU - contrôlée par les vainqueurs de 1945 et composée d'Etats qui, pour la plupart, n'ont cessé de bafouer la démocratie ?
L'idée d'un État universel tire sa force, de nos jours, de la présence, sur l'ensemble de la Terre, de deux produits occidentaux la démocratie, et les machines. On pourrait en ajouter un troisième : l'anglais, comme langue véhiculaire.
L'anglais n'est pas obligatoire, la démocratie est loin d'être aussi répandue qu'on le prétend, mais la technique, elle, triomphe partout, sans rivale. Et cette technique, c'est aussi des armes capables de détruire la vie sur la planète : argument supplémentaire en faveur de l'unité.
Les États-Unis incarnent cette utopie. Ils sont l'exemple, pensent-ils, de ce qui deviendra universel. Les nations s'effaceront. Le président Adams disait : « Notre république, pure et vertueuse, a pour destin de gouverner le globe et d'y introduire la perfection de l'homme ». Wilson en 1918 avec la SDN, Roosevelt en 1944, avec l'ONU, ont pris la suite, Thomas Molnar le rappelle souvent. Les Américains, dit-il, visitent l'ONU avec la même piété que le monument « qui incarne la fin de l'histoire ». (Voir Le Modèle défiguré, éd. PUF).
L'histoire finie, voilà les peuples heureux, selon le proverbe. Le communisme aussi y rêvait. Mais deux rêves, c'était trop. Or voilà, quelle chance, que la banquise de l'Est se met à fondre. On déclare aussitôt que rien ne s'oppose plus à l'État mondial. Il sera incarné par l'ONU, selon le désir exprimé dès 1947 par l'historien Arnold Toynbee : « Si l'organisation des Nations-Unies pouvait se développer au point de devenir un système effectif de gouvernement mondial, ce serait de beaucoup la meilleure solution. »
Et dans l'ONU, il y aura un organe du pouvoir, plus exactement une Cour suprême, pour condamner et châtier. Ce sera le Conseil de sécurité. Quand l'Irak envahit le Koweït, ce Conseil condamne, et ordonne l'évacuation. Grande émotion : l'URSS a voté avec les États-Unis. Nous y sommes. Le mondialisme triomphe. L'État-planète, qu'on voyait dans les romans de science-fiction, prend forme. Depuis six mois, on y croit, ou feint d'y croire, et surtout, il est inconvenant de s'en moquer (l'opinion aujourd'hui marche à coup de il faut penser que ou il est interdit de penser que). Un journaliste écrit : « ... dès lors que l'ONU retrouve sa vocation de conscience planétaire ... » Un autre : « Le désarmement du Vieux Continent est souhaitable. Tout comme l'est cette sorte de gouvernement mondial qui s'esquisse avec la montée en puissance de l'ONU ». On pourrait en citer d'autres : c'est le bon ton du moment.
Mais rien n'est simple. Un gouvernement mondial suppose une unité de l'humanité, et par exemple qu'il n'y ait pas d'hostilité entre peuples riches et peuples pauvres, pas de différences de pressions démographiques créant des afflux de gens vers certaines zones (ou que ces afflux ne créent aucune difficulté), aucune opposition non plus entre Blancs et « colorés ». Toutes ces tensions, l'idéologie les nie, fait comme si elles n'existaient pas. Elles sont cependant croissantes. L'Indien reparaît sous le latino-américain et le Mexicain. L'islam redevient rigide et conquérant. Le Chinois se sent plus Chinois que son père, etc. Le modèle occidental pâlit. Pour ne pas chercher trop loin, la propagande de Saddam Hussein a immédiatement joué, avec profit, de telles oppositions.
UNE ILLUSION PROPRE A L'OCCIDENT
On se réjouissait de la fin du conflit Est-Ouest. Bon. Mais on a eu tort de conclure à la fin de l'histoire. Le conflit Nord-Sud, qui couvait, apparaît au grand jour. N'est-ce pas d'ailleurs un premier brasillement, les remous des républiques musulmanes de l'URSS, qui a fait comprendre à Moscou qu'il était temps de mettre les pouces ?
Le Conseil de sécurité, du coup, est encore moins représentatif. Pendant plus de quarante ans, la Chine et l'URSS y ont joué le rôle de tribuns défendant le tiers monde, où ils excitaient d'ailleurs la révolte. Si l'URSS se met dans le même plateau que les États-Unis, ne reste, comme porte-parole des peuples pauvres (qui sont en même temps des peuples de couleur), que la Chine. Cela lui donnera sans doute un grand rôle, mais elle a trop besoin de crédits, de machines, de techniciens pour se couper des pays riches. Elle sera donc prudente. Elle s'abstient le 29 novembre. Elle n'use pas de son droit de veto.
À bien y regarder, c'est une rêverie qui arrange bien les Occidentaux de concevoir le Conseil de sécurité comme l'arbitre démocratique d'une planète démocratique.
1. Les cinq milliards de vivants sont-ils persuadés qu'ils doivent confier leur destin à une assemblée démocratique plutôt qu'au Pape, ou au dalaï-lama ou à Kadhafi ? On ne leur a pas demandé.
2. Le système de représentation de l'humanité qu'est l'ONU n'émane pas du suffrage universel. Il faut une forte dose de naïveté pour penser qu'il s'agit d'un suffrage à deux degrés et que l'ONU serait composée d'États, dont les dirigeants sont élus par le peuple.
3. En admettant que les États incarnent les peuples, en donnent une image présentable, ce n'est en général pas une image démocratique. Il n'y a pas eu vote, ou le vote a été truqué. De plus, les représentants députés à l'ONU ne sont pas des élus, mais des fonctionnaires ou des notables.
Voilà déjà des objections assez défrisantes. Comment à partir de ces données voir dans l'ONU « la conscience planétaire » ? Il y a plus grave.
4. Si l'ONU est un Parlement, sa Haute Cour ne fonctionne pas démocratiquement; on n'y décide pas selon la majorité des voix (heureusement pour nous, et pour la paix, soit dit au passage) puisque cinq des membres du Conseil de sécurité sont permanents, et ont droit de veto. C'est-à-dire qu'ils peuvent bloquer toute action.
5. Il est remarquable que ce droit de veto est fondé sur une légitimité historique, et né d'une victoire militaire (la victoire de 1945) selon les règles les plus traditionnelles de la puissance - et les moins démocratiques.
BONNE CONSCIENCE
Et non seulement, ce droit de l'épée n'est pas démocratique, même si l'on affirme qu'il s'agit de l'épée du Bien et de sa victoire sur le Mal, mais ce droit non démocratique est un droit périmé. Il s'est passé beaucoup de choses depuis 1945, et en particulier une immense remise en ordre des puissances avec la destruction des empires anglais et français, entraînant l'émergence de forces nouvelles : l'Inde, un monde islamique terriblement divisé et terriblement turbulent, sans parler du Japon, puissance économique n° 2.
Le Conseil de sécurité, et d'abord son noyau, les membres permanents, n'est pas un reflet fiable de la réalité. La Chine ne peut y rester seule représentante des pays marginaux, en voie de développement (et encore plus en voie de turbulence). Et dans un monde où les blocs raciaux semblent plus disposés à s'affronter qu'à se fondre - malgré les espoirs mis par les mondialistes dans le métissage - il n'est pas bon que quatre sur les cinq membres soient blancs; d'autant que le cinquième, qui est jaune, est surtout un cas à part. La Chine est mal placée pour bien défendre l'Inde, sa rivale, l'islam qui lui cherche querelle chez elle, au Yunnan et au Sin-Kiang, pas plus que les Africains qu'elle méprise (on se rappelle peut-être l'expulsion de tous les étudiants noirs de Chine, au début de 89).
L'ONU existe. On ne peut l'empêcher de servir d'exutoire aux querelles et aux passions. Ce rôle peut même être utile. Mais lui attribuer la direction morale de l'humanité, quelle erreur ! Car c'est cela :  il n'est pas seulement question d'assurer un minimum d'ordre, de police, sur la planète. Il s'agit d'établir le règne du Bien. Une ONU ne fera jamais que représenter, coûteusement (parce que publiquement) le jeu et la situation des forces. On vient de le voir : l'occupation du Koweït est un crime inexpiable, celle du Liban est légitime. Morale très souple, très moliniste. Sans parler de la partie la plus intéressante du spectacle, celle que l'on cache au public : le jeu des intérêts et des lobbies. Là, il ne s'agit plus de la conscience de l'humanité, mais de son inconscient. Ce n'est pas montrable.
• Georges Laffly  Le Choc du Mois. Janvier 1991

Les commentaires sont fermés.