Le point commun entre le balbuzard-pêcheur, la loutre, l’anguille, l’écrevisse de Louisiane, le poisson-chat et la corbicule ? Tous ont été les acteurs d’une étude écotoxicologique sans précédent, menée sur l’ensemble du bassin de la Loire. Au terme de trois ans de collectes et d’analyses, ces travaux montrent qu’aucun individu d’aucune espèce, quel que soit le lieu où il vit, n’échappe à la pollution des eaux ligériennes.
Par son étendue comme par la variété de ses habitats, le bassin de la Loire constitue un hydrosystème fluvial unique en France, beaucoup plus sauvage que celui de la Seine et du Rhône. Pour déterminer son état, les auteurs de l’étude, Charles Lemarchand et Philippe Berny, respectivement écotoxicologue et vétérinaire-toxicologue à VetAgroSup (campus vétérinaire de Lyon) et René Rosoux, directeur scientifique du Muséum d’Orléans, se sont fondés sur le taux de substances toxiques retrouvées chez des animaux qui, par leur fonction prédatrice, jouent le rôle de “biocapteurs” de contaminants.
Dans les bassins du Rhône et du Rhin, des travaux similaires ont été menés sur les poissons, qui ont montré une contamination importante par les PCB (polychlorobiphényles, interdits en France depuis 1987). Mais jamais une telle variété d’espèces n’avait été sondée. Trois superprédateurs piscivores (balbuzard-pêcheur, grand cormoran et loutre), deux poissons migrateurs (anguille et mulet porc), trois poissons polyphages, trois crustacés et trois bivalves filtreurs… De quoi appréhender les phénomènes de pollution à différentes échelles spatiales : station permanente pour les bivalves, aire de manoeuvre de quelques kilomètres (poissons et loutre), échelle intercontinentale (oiseaux migrateurs).
DES PRODUITS TRÈS RÉMANENTS DANS L’ENVIRONNEMENT
Des têtes de bassins à l’estuaire en passant par les plaines alluviales, neuf sites de prélèvements ont été retenus. Sur chacun d’entre eux, et pour chaque espèce, la concentration de PCB a été analysée, ainsi que celle des pesticides organochlorés et organophosphorés, des métaux lourds et des herbicides anticoagulants. Au total, 54 polluants ont été recherchés.
Les conclusions sont en demi-teinte.
Les contaminants les plus nocifs sont aussi ceux qui ont été détectés avec la plus grande fréquence.
Comme “les pesticides organochlorés de la famille du DDT, les PCB dont les effets sur la faune sauvage sont désastreux, et, enfin, le mercure“, détaille René Rosoux. Ces produits, de moins en moins employés (l’usage du DDT est interdit depuis 1972), se révèlent donc très rémanents dans l’environnement. Bonne nouvelle en revanche, les pesticides les plus récents sont plus rares chez les superprédateurs, situés au sommet de la chaîne trophique.
Si aucun représentant de la faune n’est épargné par ces toxiques, aucune des espèces étudiées ne semble menacée à court terme par cet empoisonnement. Le paysage s’éclaircit donc pour la loutre ou le balbuzard-pêcheur, qui étaient menacés d’extinction par les pesticides organochlorés il y a encore vingt ou trente ans.
“L’EFFET COCKTAIL DES SUBSTANCES TOXIQUES”
L’étude montre aussi incidemment que les loutres vivant sur les contreforts du Massif central se sont révélées plus contaminées que celles de la zone estuarienne et des grands marais de l’Ouest où les sources de pollution sont bien plus grandes. “Cela casse un peu le mythe du Massif central “château d’eau” de la France mais cela n’a rien d’étonnant, explique M. Lemarchand, les toxiques voyagent dans l’atmosphère et les pluies abondantes dans cette région, les entraînent avec elles dans le lessivage des sols.”
Dans leurs conclusions, les chercheurs restent prudents : “Nous connaissons encore mal l’effet cocktail des substances toxiques“, résume Philippe Berny. Or celui-ci pourrait se révéler détonnant. Pour au moins deux raisons.
La première est qu’aux toxiques incriminés s’ajoutent diverses substances pharmaceutiques et hormonales, sur lesquelles les chercheurs – qui viennent de recevoir du plan “Loire Grandeur Nature” le financement nécessaire pour poursuivre leurs travaux jusqu’à la fin 2014 – vont maintenant se pencher.
La seconde est le réchauffement climatique. “Il faut s’attendre dans les années à venir à une augmentation des sécheresses estivales, ce qui entraînera une concentration des polluants présents dans l’eau“, prévoit Charles Lemarchand. De même, des crues hivernales plus intenses risquent de remobiliser plus largement les contaminants piégés dans les sédiments des rivières ou des barrages. Un contexte incertain, donc, dans lequel l’étude actuelle pourrait servir de référence au “temps zéro” de la biodiversité ligérienne.
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Des méthodes à part pour les espèces menacées
Les analyses menées sur les espèces menacées – loutre, balbuzard-pêcheur et grand cormoran – n’ont été effectuées que sur des individus trouvés morts, pour des raisons à la fois “légales, pratiques et éthiques“.
Pour le balbuzard, les oeufs non éclos et les jeunes morts avant l’envol ont été récupérés – sur autorisation ministérielle – lors des opérations de baguage au nid. La collecte d’oiseaux retrouvés morts à la suite de noyade, de tirs illégaux ou d’électrocution sur les lignes à haute tension a complété l’échantillonnage. L’étude de la loutre, espèce sédentaire et farouche, a impliqué la collecte systématique des cadavres trouvés sur les routes du centre-ouest atlantique et du Massif central. Quant aux grands cormorans, qui viennent en hiver survoler le bassin ligérien, ils ont été récupérés lors d’opérations de tirs de régulation encadrés, destinés à limiter les déprédations des oiseaux sur les bassins et les étangs de pisciculture.