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Retour vers Péguy

Dans ces périodes de crises politiques, économiques et morales il faut aller chercher toutes les boussoles utiles pour tenter de se frayer un nouveau chemin. Un mouvement de retour vers Charles Péguy, me semble tout indiqué. Il ne s’agit pas de le réhabiliter ou de chanter ses louanges, mais de rappeler quelques unes de ses grandes interrogations et passions, de ce poète, ce chrétien, socialiste et dreyfusard, mort pour la France d’une balle au front à la guerre de 1914.

Charles Pierre Péguy est né un 5 septembre 1873, à Orléans, quelques années après la Commune de Paris. Sa famille, modeste, lui apportera ses premières valeurs du travail, de la terre et du pays, mais aussi son inclinaison à la rêverie et à la poésie. Il sera orphelin de son père très tôt, trop tôt, élevé par sa mère et sa grand-mère, il grandira dans un univers de femme. Son éducation sera celle de l’école publique qui le conduira au baccalauréat, puis à l’école normale supérieure au lycée Lakanal à Sceaux. Un élève de caractère tel que le écrira le proviseur du lycée : « Toujours très bon écolier, mais j'en reviens à mon conseil du dernier trimestre : gardons-nous du scepticisme et de la fronde et restons simple. J'ajouterai qu'un écolier comme Péguy ne doit jamais s'oublier ni donner l'exemple de l'irrévérence envers ses maîtres. »

C’est au lycée qu’il perdra la foi enseignée par sa mère et sa grand mère. Il devient très vite un anticlérical convaincu et militant. A l’école normal c’est l’influence de son professeur Henri Bergson dont il recevra l’héritage métaphysique. Le passage d’anticlérical à socialiste, se fera très vite. De même il sera dreyfusard, écœuré par l’antisémitisme montant en France.

Février 1897, c’est la naissance de l’écrivain, il publie son premier article dans la Revue Socialiste et surtout c’est l’année où il achève son Jeanne d’Arc, pièce de théâtre et icône de sa vie avec la Cathédrale de Chartre. Péguy construit sa vision du monde en fondant intimement son aspiration à l’égalité, la liberté, un socialisme fait d’amour et de respect et sa foi chrétienne. Pierre-Henri Simon écrit dans Histoire de la littérature française au XXe siècle, Paris (Armand Colin, 1959) : « … il eut souci de tenir ensemble sa foi politique et sa foi religieuse, Péguy n'entend pas séparer son baptême et sa culture. ».

Il se marie le 28 octobre 1897 avec Charlotte-Françoise Baudoin, dont il aura quatre enfants : Marcel, Germaine, Pierre et Charles-Pierre. En 1889 il fonde, près de la Sorbonne la librairie Bellais. Celle-ci devient très vite, au cœur du quartier latin, le quartier général des dreyfusards et des socialistes.

Il échoue à l’agrégation de philosophie et tout en tournant le dos à l’Université, il collabore régulièrement à la Revue Blanche (1889- 1903), la grande revue de l’époque à laquelle collaborèrent tous les grands écrivains de ce siècle naissant. Il fonde lui-même les cahiers de la Quinzaine, revue littéraire avec l’appui de Romain Rolland, Daniel Halèvy et André Suarès…

C’est à Charles Péguy que revient l’invention des hussards noirs de la république, pour parler des instituteurs et de l’école publique en pleine essor. Il soutient Jaurès, jusqu’au moment où celui-ci, voyant la menace militaire allemande se profiler et la guerre, engage un discours pacifique militant. Non seulement il ne le suivra pas, mais il aura des mots qui seront, hélas comme une tâche, sur une œuvre à l’ensemble admirable. Il écrit cette phrase terrible le 22 juin 1913 dans le Petit Journal : « Dès la déclaration de guerre, la première chose que nous ferons sera de fusiller Jaurès, nous n'avons pas besoin d'un traître pour nous poignarder dans le dos ».

Il développe sa compréhension du monde, un monde judéo chrétien où le peuple français a été irrigué deux mille ans durant par sa terre et le christ naissant. Cette vision très nationale de la France, que reprendront Bernanos et De gaulle à leur compte, n’est pour autant pas ce qu’ils y liront. De la même manière sa passion de l’ordre et de la raison héritée de Bergson n’est pas d’ordre totalitaire, ni même autoritaire. Elle est faite aussi d’amour et d’aspiration à l’égalité et à la justice.

Péguy pense le monde et il y fuit comme une poésie qui irait sans fin vers le point de l’horizon. Il questionne l’univers, il se questionne. Son mysticisme mêlé d’éducation religieuse, se construit autour de quelques figures centrales : jeanne d’Arc, héroïne nationale qui aime passionnément la France et meurt pour elle dans les flammes, la Vierge Marie qui interroge l’âme et protège les plus faibles et les plus démunis et enfin la cathédrale de Chartre dont il délivre tous les mystères dans les cinq prières dans la cathédrale de Chartres :

Ô reine voici donc après la longue route,
Avant de repartir par ce même chemin,
Le seul asile ouvert au creux de votre main,
Et le jardin secret où l’âme s’ouvre toute.

Voici le lourd pilier et la montante voûte ;
Et l’oubli pour hier, et l’oubli pour demain ;
Et l’inutilité de tout calcul humain ;
Et plus que le péché, la sagesse en déroute.

Voici le lieu du monde où tout devient facile,
Le regret, le départ, même l’événement,
Et l’adieu temporaire et le détournement,
Le seul coin de la terre où tout devient docile,

Et même ce vieux cœur qui faisait le rebelle ;
Et cette vieille tête et ses raisonnements ;
Et ces deux bras raidis dans les casernements 
 ;

Et cette jeune enfant qui faisait trop la belle.

Voici le lieu du monde où tout est reconnu,
Et cette vieille tête et la source des larmes ;
Et ces deux bras raidis dans le métier des armes ;
Le seul coin de la terre où tout soit contenu.

Voici le lieu du monde où tout est revenu


Après tant de départs, après tant d’arrivées.
Voici le lieu du monde où tout est pauvre et nu
Après tant de hasards, après tant de corvées.

Voici le lieu du monde et la seule retraite,
Et l’unique retour et le recueillement,
Et la feuille et le fruit et le défeuillement,
Et les rameaux cueillis pour cette unique fête.

Voici le lieu du monde où tout rentre et se tait,
Et le silence et l’ombre et la charnelle absence,
Et le commencement d’éternelle présence,
Le seul réduit où l’âme est tout ce qu’elle était.

Péguy sera éclectique dans ses choix, poète, il écrit des pièces de théâtre et des essais, politique, il s’engage pour défendre Dreysus et la Commune de Paris, mystique il redonne au christianisme des sources qu’il avait oublié. Comment aurait-il vieilli si la mort guerrière ne l’avait pas fauché à 41 ans, lui qui vieillissant se réchauffait au cœur de la nation et des traditions. Il laisse un dernier ouvrage l’Argent (1913) où il exprime son rejet de la modernité. Eu-t-il été Mélenchon fustigeant l’argent et la finance internationale, ou Marine le Pen vantant les mérites de sa terre et de ses frontières ? Heureusement Péguy est Péguy enterré au cœur de 1914 dans sa France qu’il aimait tant et pour laquelle il versât son sang.

Il ne verra pas la bataille de la Marne, tué le 5 septembre 1914 à Villeroy, en pleine action avec sa compagnie qu’il incitait à ne pas céder un seul pouce de terrain aux allemands.

Péguy est enfoui dans notre mémoire collective, un silence lourd règne sur les pourtours de sa mémoire. Les parvis de son tombeau voient passer de nombreuses silhouettes grises qui se récitent entre eux les vers délicieux, j’y suis par besoin parmi les ombres :

 

« Adieu, Meuse endormeuse et douce à mon enfance,

Qui demeure aux près, où tu coules tout bas.

Meuse, adieu : j’ai déjàcommencé ma partance

En des pays nouveaux où tu ne coules pas.

Voici que je m’en vais en des pays nouveaux :

Je ferai la bataille et passerai les fleuves ;

Je m’en vais m’essayer à de nouveaux travaux,

Je m’en vais commencer là-bas des tâches neuves.

Et pendant ce temps-là, Meuse ignorante et douce

Tu couleras toujours, passante accoutumée,

Dans la vallée heureuse où l’herbe vive pousse,

O Meuse inépuisable et que j’avais aimée »

par Pelletier Jean  http://www.agoravox.fr

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