Ce récit se lit comme un scénario de BD ou de film d’action. Les Péloponnésiens assiègent la ville de Platée, amie d’Athènes (429-427 av. J.-C.). D’ailleurs celle-ci a envoyé des émissaires pour la soutenir. Mais les Péloponnésiens ont été plus rapide et la ville est assiégée. Certains décident de tenter le tout pour le tout pour sortir du piège et prévenir Athènes de la situation catastrophique de Platée.
Un hiver “les Platéens toujours assiégés par les Péloponnésiens et les Béotiens, souffrant de la disette et n’espérant plus aucun secours d’Athènes, firent de concert avec les Athéniens enfermés avec eux dans la ville le projet suivant : ils sortiraient tous ensemble, en franchissant de force s’ils le pouvaient les murailles de l’ennemi. Par la suite la moitié de la garnison, effrayée des difficultés de l’entreprise, y renonça. Deux cent vingt volontaires acceptèrent les risques de la sortie. Voici comment ils s’y prirent. Ils fabriquèrent des échelles ayant la hauteur de la muraille ennemie. Ils calculèrent cette hauteur en dénombrant les rangées de briques sur la partie de la muraille qui leur faisait face et qu’on n’avait pas recouverte de crépi. Plusieurs hommes à la fois comptaient les rangées et, en admettant que quelques-uns se trompassent, la plupart devaient trouver le nombre exact ; d’ailleurs ce calcul fut répété fréquemment ; la distance étant peu considérable, l’on pouvait facilement apercevoir la partie du mur à examiner. C’est ainsi qu’ils déterminèrent la hauteur des échelles en la calculant d’après l’épaisseur des briques.
Ils profitent du mauvais temps et de la nuit
Voici maintenant comment était construite la muraille des Péloponnésiens ; elle comportait une double ligne, l’une faisant face à la ville, l’autre destinée à arrêter une attaque venant de l’extérieur. Entre ces deux lignes s’étendait un espace de seize pieds ; cet intervalle était affecté à des constructions contiguës pour le logement des troupes de siège et l’ensemble donnait l’impression d’une seule muraille épaisse avec des créneaux sur ses deux faces. De dix en dix créneaux s’élevaient de hautes tours, de même épaisseur que la muraille et occupant tout l’intervalle entre les deux lignes ; on ne pouvait passer le long des tours, il fallait les traverser par le milieu. Pendant la nuit, par le mauvais temps et la pluie, les veilleurs abandonnaient les créneaux et montaient la faction dans les tours, qui avaient l’avantage d’être peu distantes les unes des autres et couvertes. Telle était la muraille qui formait la circonvallation de Platée.
Chaussés que d’un pied à cause de la boue
Une fois leurs préparatifs terminés, les Platéens attendirent une nuit, où le mauvais temps, la pluie, le vent et l’absence de lune devaient les favoriser. A leur tête se trouvaient les promoteurs de l’entreprise. Ils commencèrent par franchir le fossé qui les entourait ; puis ils abordèrent la muraille sans être aperçus des sentinelles ennemies, qui ne pouvaient les voir à cause de l’obscurité ni les entendre, car le vent couvrait le bruit de leur marche. De plus, les Platéens avançaient à une longue distance les uns des autres pour éviter que le choc des armes les trahit. Enfin ils étaient équipés légèrement et n’étaient chaussés que du pied gauche pour affermir leur marche dans la boue. Ils abordèrent une des courtines qui reliait deux tours et était démunie de sentinelles aux créneaux. Ceux qui portaient les échelles les appliquèrent contre la muraille ; ensuite montèrent douze hommes armés à la légère d’une épée courte et d’une cuirasse, sous les ordres d’Amméas fils de Koroebos qui fit le premier l’escalade. Après lui vinrent ses douze compagnons, répartis en deux groupes de six hommes, qui s’avancèrent vers chacune des deux tours. Vinrent ensuite d’autres soldats armés à la légère et munis de javelines. Pour faciliter leur marche, d’autres les suivaient portant leurs boucliers, qu’ils devaient leur passer, au moment où on en viendrait aux mains.
Les assiégeants accoururent au bruit de la chute d’une pierre
La plupart avaient déjà atteint la courtine, quand les gardes des tours donnèrent l’alarme. Un des Platéens, en s’agrippant à une brique d’un créneau, l’avait fait tomber. La chute fit du bruit. Aussitôt on cria : « Aux armes ! ». Tous les assiégeants accoururent à la muraille, mais nul ne savait où était le danger, en raison de l’obscurité et du mauvais temps. En même temps, ceux des Platéens qui étaient restés dans la ville firent un simulacre d’attaque contre la partie du mur opposée à celle que les autres étaient en train d’escalader ; ils voulaient ainsi égarer l’attention de l’ennemi. Chez celui-ci le désordre était à son comble, mais il restait immobile. Personne n’osait quitter son poste dans l’incertitude de ce qui arrivait. Trois cents hommes qui avaient l’ordre, en cas d’alerte, de se porter aux points menacés, accoururent en avant de la muraille du côté d’où partaient les cris. Dans la direction de Thèbes on éleva des torches pour signaler l’ennemi. Mais les Platéens en élevèrent du haut de la muraille d’autres qu’ils avaient préparées à l’avance. Leur dessein était, en brouillant les signaux, de donner le change pour empêcher l’ennemi d’accourir, avant que les leurs eussent effectué leur sortie et se fussent mis en sûreté.
Ils tuent les sentinelles
Pendant ce temps les Platéens exécutaient leur escalade. Les premiers qui arrivèrent au sommet de la muraille tuèrent les sentinelles qui gardaient les deux tours dont ils s’emparèrent ; ils occupèrent les issues et empêchèrent tout secours d’y arriver. Du haut de la muraille, ils disposèrent des échelles au flanc des tours et y firent monter un grand nombre des leurs. Du pied et du sommet des tours, les uns empêchaient par leurs traits l’ennemi d’arriver à la rescousse, cependant que la plupart d’entre eux dressaient nombre d’échelles, arrachaient les créneaux et faisaient l’escalade de la courtine. A mesure qu’ils passaient de l’autre côté, les Platéens s’arrêtaient sur le bord du fossé et de là criblaient de flèches et de javelots tous ceux qui le long de la muraille accouraient pour leur barrer le passage. Quand tous eurent passé, ceux qui étaient sur les tours descendirent les derniers ; mais ce ne fut pas sans mal qu’ils atteignirent le fossé.
En cet instant le poste des trois cents Péloponnésiens vint à leur rencontre, des torches à la main. Mais les Platéens dans l’obscurité les voyaient mieux du bord du fossé où ils se trouvaient. Ils accablaient de flèches et de traits l’ennemi qui n’était pas muni de boucliers, tandis que les Péloponnésiens, éblouis par les torches, ne pouvaient les voir distinctement dans les ténèbres. Ainsi les Platéens, jusqu’au dernier, purent les devancer et franchir le fossé. Mais cela n’alla pas sans peine ni difficulté. …
… C’est ainsi que les Platéens réussirent à franchir les lignes ennemies et s’évadèrent. »
Source :
THUCYDIDE. La guerre du Péloponnèse. Livre III, paragraphes XX et suivants.
Sur Internet : http://remacle.org/bloodwolf/historiens/thucydide/livre3.htm#XX
On peut trouver aussi le livre en Folio classique, Gallimard, 2000