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Un mariage incestueux : Les noces de la presse et du capitalisme d'Etat

La presse française serait menacée par la concentration de ses titres entre les mains de quelques grands patrons. C'est vrai. Mais pas pour les raisons le plus souvent évoquées. Les capitalistes qui les contrôlent sont eux-mêmes dépendants de leur principal client ou allié. Son nom : l'Etat !

Revenons le cas de Serge Dassault, député, avionneur et patron de presse. Qu'il soit l'ami de Sarkozy, chacun le sait Mais est-ce bien le vrai problème ? Les syndicats pointent du doigt son interventionnisme. Les professionnels de la pétition poussent des hauts cris quand le milliardaire s'invite dans les colonnes de son journal pour donner son avis. Ce qui, soit dit en passant vu le prix d'entrée (1,2 milliard d'euros) dans le capital de la Socpresse (société éditrice du Figaro), lui donne le droit de pondre son article !
Non, le plus grave dans l'affaire, et que les syndicalistes omettent de dire, ce n'est pas tant que Serge Dassault, sénateur-maire UMP de Corbeil-Essonnes, déclare, un peu naïvement d'ailleurs, lors du rachat de la Socpresse, qu'il veut « posséder un journal ou un hebdomadaire pour exprimer son opinion » ou même que « les journaux doivent diffuser des idées saines car la France est en train de crever à cause des idées de gauche » (tout en laissant pléthore de journalistes de gauche officier au Figaro...). Le plus grave est que le groupe aéronautique de Serge Dassault dépend en grande partie des commandes de l'Etat depuis une trentaine d'années. Pour faire simple : que l'Etat cesse de lui acheter ses Rafale, et il ferme boutique. Et il n'est pas le seul à être ainsi lié aux structures étatiques.
Nul besoin d'être initié aux arcanes des médias et de la politique pour faire ce constat troublant : la grande majorité des médias français sont contrôlée par des industriels dont le chiffre d'affaires dépend en grande partie du bon vouloir de l'Etat ou des collectivités territoriales. En première ligne : les groupes Bouygues, Dassault, Lagardère, Bolloré, etc. Une situation dont les conséquences rédactionnelles sont loin d'être anodines.

Bruits de bottes dans les salles de rédaction
En règle générale et contrairement aux fantasmes de complots imaginés par l'extrême gauche, ces industriels se désintéressent à peu près totalement du contenu politique, culturel et social (sauf Serge Dassault, patron à l'ancienne) produit par leurs médias. Ils le délèguent à des personnalités du grand consensus mou, type Laurent Joffrin (Libération), Nicolas Beytout (Le Figaro), Etienne Mougeotte (Le Figaro Magazine, ex-TF1). Sur les grandes questions vitales - géopolitique, économie, histoire, natalité, immigration -, les médias français pratiquent un journalisme social-démocrate aux antipodes de leur collègues européens ou anglo-saxons. Raison pour laquelle la presse française est aussi l'une des plus soporifiques du monde.
En revanche, les mêmes industriels utilisent leur joujou médiatique quand il s'agit de le mettre au service de leur stratégie d'influence politico-industrielle. LCI par exemple est ainsi prié de ratisser les seconds couteaux et les notables de la politique oubliés par TF1 et que le constructeur Bouygues ne voudrait pas s'aliéner.
Aux Etats-Unis en revanche, les groupes industriels ont l'interdiction d'entrer dans le capital des sociétés de médias. Ceux-ci ne sont pas considérés comme une variable d'ajustement politique, mais leur ligne éditoriale dépend de l'adhésion du public qui les regarde ou les lit. Si les propriétaires s'impliquent beaucoup plus dans la définition politique et éditoriale de leur journaux, la presse d'opinion est paradoxalement plus florissante aux Etats-Unis qu'en France ! Et entre CNN et Fox News, les alternatives éditoriales sont plus tranchées. Dernière conséquence et non des moindres : les acteurs du marché médiatique luttent à armes égales et peuvent surtout constituer de véritables mastodontes médiatiques à même de s'imposer à l'international. Et de diffuser leur vision du monde.
Rien de tel en France, où les groupes de presse, notoirement sous-capitalisés, sont maintenus dans un face à face mortel avec des groupes qui dépendent en très grande partie de l'Etat. Le groupe Mediaset de Silvio Berlusconi, tellement diabolisé en France, est mieux accueilli dans les capitales européennes que les groupes français qui font figure d'épouvantail ! Comment est-ce possible ? Tout simplement parce que nos voisins, qui connaissent la réalité structurelle de la presse Française, ne sont pas pressés de voir des groupes liés à l'Etat français s'implanter chez eux.
Exemple avec le groupe Bolloré (20 % d'Havas entre autres). Que serait-il sans la présence de l'armée française en Afrique, où il possède d'importants intérêts au Cameroun, en Côte d'Ivoire et dans la quasi-totalité des ports africains ? On peut à cet égard légitimement s'interroger sur le rôle de Michel Roussin, ministre de la Coopération sous le gouvernement Balladur, aujourd'hui vice-président du groupe Bolloré pour l'Afrique et... animateur de l'émission Paroles d'Afrique, sur Direct 8, chaîne du groupe Bolloré. il en va de même avec les intérêts de la maison Bouygues (TF1, LCI, Eurosport, etc.), actionnaire du constructeur Alstom et prochainement d'Areva, leader mondial de l'énergie nucléaire, ou encore de Lagardère (EADS), propriétaire du Groupe Hachette Filipacchi Médias (Paris-Match, Elle, Le journal du Dimanche, Europe 1, etc.).
Pour sauver les médias français, il faut couper le cordon ombilical. Avec l'Etat.
Lucien Valdès le Choc du Mois Octobre 2007

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