Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La Palatine d’un siècle à l’autre

Peut-on imaginer un couple plus mal assorti que celui de Philippe, duc d'Orléans, frère unique de Louis XIV, et d'Élisabeth-Charlotte, comtesse palatine du Rhin ? Monsieur vivait enrubanné et perché sur ses hauts talons en compagnie de ses mignons, Madame, bien en chair, affichait une dégaine de paysanne allemande, parlait crûment et regrettait de ne pas être née homme...
Pourtant, l'étonnante princesse assuma avec honneur la situation. Mère admirable de bonté, de générosité, d'indulgence, elle ne connut pas à Versailles le bonheur de son enfance rhénane, mais son caractère enjoué et sa plume acérée lui permirent de toujours maîtriser ses déceptions, voire de s'attirer, bien qu'assez peu jolie, de bonnes amitiés.
Même son jouisseur d'époux sut l'honorer avec dignité ; il faut dire que Monsieur, aux antipodes des "gays", était resté pieux et, après avoir déjà donné un enfant par an à sa première épouse, Henriette d'Angleterre - dont deux filles seulement grandirent -, n'entendait pas que ses plaisirs entravent son devoir de prolonger sa famille, ... pas plus que de faire preuve sur les champs de bataille d'un grand courage et d'une grande humanité...
Le destin exceptionnel de celle que l'histoire retient comme la Princesse Palatine devient des plus attachant sous la plume de Christian Bouyer, déjà historien de Monsieur et de sa cousine, la Grande Mademoiselle. Des collatéraux, certes, mais les Orléans d'alors ne sont-ils pas les aïeux de l'actuelle Maison de France ?
Allemande bien en chair
Élisabeth-Charlotte, que l'on devait appeler Liselotte, naquit dans une famille en pleine tourmente. Branche cadette des Wittelsbach régnant sur la Bavière, les comtes palatins régnant sur le Palatinat du Rhin s'étaient vu conférer en 1356 le titre d'Électeurs du Saint Empire. Leur dérive dans le protestantisme avait poussé Frédéric V à s'emparer du trône de Bohème dont Ferdinand II l'avait délogé au bout d'un hiver (1620). Son fils, Charles-Louis, assura le retour de la famille à Hei de Westphalie et s'appliqua à redresser le Palatinat sorti exsangue de la guerre de Trente Ans. De son mariage avec Charlotte de Hesse-Cassel, cet amoureux très sensuel eut deux enfants, Charles, futur Électeur, né en 1651, et notre Liselotte, née le 12 mai 1653, puis il répudia son épouse et refit sa vie avec Louise de Degenfeld qui allait donner à Liselotte une ribambelle de demi-frères et sœurs.
 C'est dire dans quel climat de tensions familiales vécut la petite sauvageonne effrontée qui découvrit la joie et l'équilibre auprès de sa tante Sophie de Hanovre avant de devenir "l'infante du Palatinat", qui ne pouvait évidemment rester célibataire, car « les princesses, lui disait-on, naissent pour être mariées ». Or voici qu'en 1670, Monsieur, Philippe duc d'Orléans, frère unique de Louis XIV, se trouva veuf d'Henriette d'Angleterre. La Grande Mademoiselle, alors éprise de Lauzun, ne pouvait l'épouser comme eût souhaité le roi. Il fallut donc considérer que le Palatinat étant, écrit Christian Bouyer, « un pion dans la progression de Louis XIV vers l'Est », Liselotte, se convertissant au catholicisme, serait pour celui-ci une excellente belle-sœur…
Truculente épistolière
Devenir duchesse d'Orléans et seconde dame de France ne pouvait consoler la Palatine de dix-neuf ans, toujours un peu lourdaude mais d'excellente santé, de devoir quitter les forêts, les vergers, les vignobles de sa jeunesse. Les adieux furent terribles, mais la rencontre avec son futur époux maquillé et poudré eut lieu dans un tourbillon de fêtes. Les jours suivants l'impression plutôt négative sur Philippe s'estompa sans que celui-ci eût changé sa façon de vivre... et d'aimer, mais Madame n'était point pudibonde et l'on trouva vite quelques compromis ! Quant à Louis XIV, sachant que son frère « n'était pas un cadeau », il se montrait plein d'attentions pour elle. Avec son franc-parler et la verdeur de son langage, elle apportait à la cour un vent nouveau.
Liselotte se consolait de son déracinement en écrivant des lettres truculentes à sa famille, à ses tantes dans l'Europe entière, notamment Sophie, duchesse de Hanovre, à ses demi-frères... Christian Bouyer, les citant, retrace des petits mais aussi des grands événements de la fin du règne du Roi Soleil. Certains heureux : les naissances de nombreux enfants dont Philippe, le futur Régent, né en 1674, qui devait épouser Mademoiselle de Blois, fille naturelle de Louis XIV, et Élisabeth-Charlotte, née en 1676, dont le mariage avec Léopold, duc de Lorraine, allait faire la grand-mère maternelle de la reine de France martyre Marie-Antoinette ! Même les filles du premier mariage de Monsieur, furent tendrement aimées de Liselotte : Marie-Louise, née en 1662, que l'on sacrifia « sur l'autel de la "real-politik" », dit Christian Bouyer, en la donnant au dégénéré Charles IV d'Espagne, et Anne-Marie, née en 1669, épouse du duc de Savoie.
Grand-mère de l’Europe
D'autres événements furent tragiques, tel le saccage réellement barbare de son cher Palatinat par les armées de Louvois. Il y eut aussi « le coup de force du roi contre les adeptes du "vice italien" »... Après la mort de Monsieur en 1701 (un an après l'accession du duc d'Anjou, petit-fils de Louis XIV, au trône d'Espagne), Liselotte, qui s'était bien entendue avec la reine de France Marie-Thérèse, se montra féroce à l'égard de Madame de Maintenon, épouse morganatique de Louis XIV, « la vieille ordure du grand homme ». Puis l'on assiste à la mort du roi, aux débuts du règne du petit Louis XV, à la mise en place de la Régence de Philippe... Liselotte relatait tous ces événements laissant aller sa plume incontrôlable, considérant surtout les naissances et les mariages de ses petits-enfants et petits-neveux au rythme desquels se plantait déjà le décor de tout le XVIIIe siècle.... Elle devait mourir le 8 décembre 1722.
L’œil vif de la Princesse Palatine, relayée par le style agréable de Christian Bouyer, fait redécouvrir cette époque charnière entre les XVIIe et XVIIIe siècle. Livre à lire en vacances.
Michel FROMENTOUX L’Action Française 2000– du 21 au 27 juillet 2005
* Christian Bouyer : La Princesse Palatine. Éd. Pygmalion, 298 pages,

Les commentaires sont fermés.