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Nos ancêtres les Gaulois – par Stéphane Foucart (3)

III- Le Druide ce philosophe

 

Les druides n’ont pas encore livré tous leurs secrets : mages sanguinaires pour plusieurs auteurs romains, ils sont décrits par d’autres comme des penseurs proches des idéaux pythagoriciens. Reste qu’à l’époque de la conquête romaine ils avaient déjà perdu beaucoup de leur influence.

 

Ce village est une cour d’école. Il y a le souffre-douleur, le barde Assurancetourix. Il y a le querelleur, le forgeron Cétautomatix qui cherche constamment noise au poissonnier, Ordralfabétix. Il y a les bons, les mauvais élèves. Et, bien sûr, il y a le druide Panoramix – le vieux sage. La IIIe République est passée par là. Dans son Histoire de France populaire publiée en 1875,1′historien et homme politique Henri Martin (1810/1883) « représente les druides comme les philosophes précepteurs », écrit Nicolas Rouvière dans Astérix ou la parodie des identités (Flammarion, 2008). « Dans l’enseignement laïc de la IIIe République, ajoute-t-il, (…) le druide atténue la barbarie de a religion (…), il est dépositaire du savoir, ancêtre de l’instituteur. » Plus que celle du magicien barbare, c’est donc cette figure du druide en enseignant laïc que choisiront Goscinny et Uderzo. Les druides, précurseurs de l’école républicaine ? Voire. Le poète romain Lucain (- 39/ +65), les décrit comme habitant au fond des forêts dans des bois reculés » et, surtout, leur reproche leurs « rites barbares et leur sinistre coutume des sacrificeshumains ». Quant à l’historien Suétone (70/130 environ), il fustige la sauvagerie de leur « religion atroce ». Mais il est vrai que tous deux écrivent à une époque où le druidisme est déjà entré dans sa légende. qui croire ? pour l’historien et archéologue Jean louis Brunaux (CNRS), les druides ne sont ni de gentils professeurs ni de sombres sacrificateurs sanguinaires. Il faut, selon lui, voir le druidisme comme une école philosophique « à la grecque ». Un mouvement qui aurait littéralement régné sur la Gaule entre le Ve et IIe siècle avant notre ère, avant de décliner pour disparaître tout à fait au tournant de l’ère chrétienne. Ainsi, lorsque César (-100/-44) part en campagne, en – 58, « il ne reste déjà presque plus de druides en Gaule, les derniers se font discrets et ne sont que des produits de l’institution pédagogique », assure Jean-Louis Brunaux. Chose étrange. Car César est aussi l’auteur de l’antiquité qui s’étend le plus sur les druides et le druidisme. Dans La Guerre des Gaules, le récit, mené tambour battant, de ses opérations diplomatiques et militaires entre le Rhin et l’Atlantique, il consacre au sujet quelques pages des plus célèbres. Mais à aucun moment de son récit il ne narre la moindre rencontre avec l’un de ces mystérieux mages gaulois. « En réalité, la majorité des passages ethnographiques dans La Guerre des Gaules, sont recopiés de l’oeuvre de Poseidonios d’Apamée (- 135/-51), un philosophe grec qui a voyagé en Gaule une quarantaine d’années avant César », explique M. Brunaux. Injustement méconnu, Posidonios d’Apamée est une puissance intellectuelle. Il est scolarque (directeur) de l’école du Portique. Il est astronome et géomètre. Il est peut-être l’inventeur du prodigieux mécanisme d’Anticythère, machine antique permettant de calculer les positions astronomiques. Il est géographe et historien. Il est grand reporter. Que diable va-t-il faire dans la lointaine Gaule ? « II cherche l’âge d’or, il veut observer un monde dans lequel les gouvernements sont encore tenus par les savants, comme cela avait été le cas quelques siècles avant lui, lorsque des écoles philosophiques administraient des cités grecques, dit Jean-Louis Brunaux. C’est, entre autres choses, ce qu’il pense trouver en Gaule avec les druides. » Un siècle et demi avant Lucain et Suétone, les druides gaulois pouvaient donc aussi être considérés par les philosophes grecs comme des alter ego. Hélas ! Le récit complet de Poseidonios est perdu ; il faut se fier à ce qu’en laissent filtrer les auteurs ultérieurs qui l’ont lu, dont César. Les druides, écrit le proconsul, « apprennent par coeur, à ce qu’on dit, un grand nombre de vers : aussi certains demeurent-ils vingt ans à leur école. Ils estiment que la religion interdit de confier ces cours à l’écriture, alors que pour le reste en général, pour les comptes publics et privés, ils utilisent l’alphabet grec ». César ajoute qu’ils « discutent abondamment sur les astres et leur mouvement, sur la grandeur du monde et de la Terre, sur la nature des choses » qu’ils cherchent à « établir que les âmes ne meurent pas mais passent après la mort d’un corps dans un autre ». Il les crédite donc d’un pouvoir politique exorbitant, excédant de loin la seule régulation des pratiques religieuses. Ces druides, «commandés par un chef unique » et qui se réunissent une fois l’an, « dans un lieu consacré, au pays des Carnutes» [près d'Orléans], arbitrent les différends entre particuliers ou entre la soixantaine de peuples qui forment cette mosaïque bigarrée qu’est alors la Gaule. « Si un particulier ou un Etat ne défère pas à leur décision, ils lui interdisent les sacrifices et cette peine est chez eux la plus grave de toutes », précise César. Mais tout cela était bel et bien révolu au moment de la Guerre des Gaules : sinon, César se serait inquiété des druides lors de ses opérations. Il n’en a rien été. Croyance dans la transmigration des âmes, prohibition de l’écriture pour conserver le secret de l’enseignement, initiation, pratique de l’astronomie, implication dans la vie de la cité : pour un esprit grec formé à la philosophie, ce qui est décrit là ne peut faire penser qu’à la doctrine du grand Pythagore (vers – 580/- 497), le « premier philosophe ». « De nombreux auteurs grecs se sont interrogés sur ces ressemblances frappantes entre les idées pythagoriciennes et celles des druides, explique Jean-Louis Brunaux. Certains se sont même demandés si Pythagore n’avait pas été instruit par des druides ! ». L’inverse est vrai, comme en témoigne saint Hippolyte qui, au IIe siècle de notre ère, écrit que « les druides, chez les Celtes, se sont appliqués avec un zèle particulier à la philosophie de Pythagore« . De même, Ammien Marcellin, vers 330/395, dernier grand auteur païen de l’antiquité, dit à propos des druides, qu’ils sont « formés dans l’oeuvre de Pythagore » et que leur esprit est « toujours tendu vers les questions les plus abstraites et les plus ardues de la métaphysique ». Ce lien pressenti entre les premiers cercles pythagoriciens et le druidisme pourrait-il être réel ? Pourquoi pas. Dès les plus hautes époques, les contacts entre le monde celte et la Méditerranée sont fréquents. « Via la colonie grecque de Phocée [Marseille], fondée au VIe siècle avant notre ère, les Gaulois du Sud étaient en contact quasi permanent avec le monde hellénique, dit M. Brunaux. Des influences ont pu transiter par là. » La conquête de la Gaule méridionale, quelque quatre siècles plus tard, en – 122, marquera le déclin du pouvoir druidique. C’est d’ailleurs depuis cette base arrière que César achèvera, soixante-dix ans plus tard, de soumettre tout le reste. Avec l’influence romaine croissante et le déclin des anciennes institutions, les connaissances des savants gaulois, transmises oralement, tombent peu à peu dans un oubli irrémédiable. Avouons-le : voilà qui est bien pratique ! Car il nous est bien difficile de croire à cette histoire de, savants celtes dissertant sur la longueur du méridien ou sur la course des astres. Les images formées par la bande dessinée, autant que par les manuels scolaires, sont trop fortes. Veut-on une preuve de l’étendue de ce savoir ? Il en existe – peut-être ! – une Elle pourrait être inscrite sur le fond d’un chaudron cultuel d’argent daté entre le IIe siècle avant J. C. et le tout début de notre ère.C’est le chaudron de Gundestrup, du nom de la commune danoise où il est retrouvé en 1891.Lesscénes représentées sur ses plaques latérales l’identifient sans aucun doute comme gaulois. En particulier, la présence de carnyx, longues trompes de guerre verticales, est sans équivoque. Sur le fond de cette cuve d’argent est figuré un grand taureau, entouré d’un lézard, d’un ours et d’un homme tenant une épée et talonné par un chien. De ces tableaux, il existe autant d’interprétations que de spécialistes. Mais la plus enthousiasmante est celle imaginée par l’ancien recteur d’académie Paul Verdier, l’astronome Jean-Michel Le Contel (observatoire de Nice) et l’archéologue Christian Goudineau. Pour eux, le fond du chaudron pourrait être une représentation du ciel ; il pourrait figurer une conjonction de constellations. Il y aurait celles d’Orion et du Petit Chien (l’homme armé suivi par le chien), du Taureau, du Dragon (le lézard), etc. Une telle conjonction astrale est-elle possible ? « Oui, répond Christian Goudineau. L’utilisation d’un logiciel ad hoc a montré qu’elle était visible depuis les latitudes moyennes de l’hémisphère nord autour de – 220 ». Or, à cette période, on sait qu’il s’est joué dans le ciel un événement capital pour les civilisations méditerranéennes : le Soleil cessa de se lever, il l’équinoxe de mars, dans la constellation du Taureau. L’ère astrologique commencée autour de – 4400 s’achevait, laissant la place à l’ère du Bélier. Dans le chaudron, l’animal est d’ailleurs agonisant. « A mon avis, le chaudron de Gundestrup figure la date à partir de laquelle les Celtes comptent le temps » dit Paul Verdier. L’origine de leur calendrier en somme ». Le chaudron représenterait donc l’aspect du ciel près de vingt siècles avant sa fabrication ! Venant d’astronomes grecs ou mayas, de telles prouesses n’étonnent pas. Venant des druides, elles soulèvent l’incrédulité. Ces mages gaulois ne seraient-ils pourtant pas en définitive, des savants comme les autres ?

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A lire : Les druides de Jean Louis Brunaux, Seuil 2006. César et la Gaule, C. Goudineau, Seuil, Point histoire 2000. Un calendrier celtique, le calendrier de Coligny, Paul Verdier et Jean Michel Le Contel, Errance 1998.

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