Au temps du redressement français
Revisitant pour la énième fois le château royal de Blois, lieu de pouvoir et linceul des Valois, votre chroniqueur n’a pas manqué de se replonger dans les recommencements, perpétuels et pourtant toujours différents, de l’Histoire.
Voici en effet, dans le contexte constitutionnel républicain, que l’été va voir s’affronter, une fois encore, les forces de déclin et de redressement autour du, pourtant bien modeste, plan Bayrou.
À juste titre, l’éditorialiste de L’Express faisait mine ainsi le 16 juillet de s’interroger : « et si on appliquait le plan Pinay-Rueff ? » Poser la question, en nous ramenant aux origines mêmes de la cinquième république, c’est évidemment une manière de donner la réponse. D’autant que l’auteur souligne : « lorsqu’il arrive à Matignon en juin 1958, le général De Gaulle trouve un pays au bord de la banqueroute, en bien des points, comparable à la situation actuelle. » (1)⇓
En réalité, si la situation actuelle de la France est aussi catastrophique que durant la période 1956-1958 qui vit la fin de la IVe république, il n’est pas inutile de rafraîchir la mémoire de l’opinion quant au fameux plan Rueff.
Cet économiste fut en effet l’auteur d’un rapport sur la situation financière. Ce travail avait été préparé par un comité d’experts, duquel avaient été écartés les représentants des groupes d’intérêts et qui, travaillant d’arrache pied, s’était réuni 29 fois en deux mois. On était à cet égard très éloigné de la philosophie du « conclave » …
Le texte de synthèse fut remis le 8 décembre 1958 à Antoine Pinay, ministre des finances puis le lendemain au président de la république René Coty, et enfin publié au Journal officiel sous le titre de « Rapport sur la situation financière présenté à monsieur le ministre des finances et des affaires économiques en exécution de sa décision du 30 septembre 1958 ».
Le 28 décembre était annoncée, pour le premier janvier 1960, l’inauguration du nouveau franc.
Au journal officiel du 31 décembre furent surtout publiées deux ordonnances : la première disposait 58 mesures fiscales, douanières et économiques ; la deuxième promulguait, en vertu des pleins pouvoirs attribués 6 mois plus tôt au chef du gouvernement, une loi de finances pour 1959.
Ce plan de l’économiste Rueff, essentiellement centré sur la question de l’assainissement financier et monétaire, ne reçut pas le plein agrément du ministre Pinay. Celui-ci s’opposait nettement à deux dispositions, pourtant essentielles à l’équilibre et au succès de l’ensemble : la dévaluation de 17,5 % de la monnaie nationale, qui allait permettre son retour à la convertibilité ; et certaines hausses d’impôts sur les alcools, les tabacs, etc.
Au sein du gouvernement le débat se déroula le 26 décembre, et fut marqué par de fortes contestations. Le texte n’était soutenu que par le général De Gaulle, en sa qualité de dernier président du Conseil de la quatrième république, Michel Debré et Maurice Couve de Murville ; il était combattu et rejeté par les 11 autres ministres, tous issus du monde politique parlementaire ; le gouverneur de la Banque de France était également critique. Le texte ne fut donc adopté qu’en vertu de cette arithmétique présidentialiste très spéciale qu’avait ainsi définie Abraham Lincoln aux États-Unis : un oui, – le sien, – sept non, les oui l’emportent.
Le lendemain 27 décembre, conduits par Guy Mollet, alors ministre d’État vice-président du conseil, les ministres socialistes déclaraient se retirer de ce gouvernement d’Union nationale. Ils ne le quitteront en fait qu’en janvier lors de la constitution par Michel Debré du premier gouvernement de la cinquième république, fort de la victoire au référendum de septembre sur la nouvelle constitution et aux élections législatives de novembre.
Le rapport Rueff peut ainsi faire figure d’acte fondateur de la nouvelle république, ayant suscité les critiques des partis et des figures du régime précédent.
La collaboration de son inspirateur Jacques Rueff avec le fondateur de la cinquième république assura largement les succès économiques des premières années, contrastant longtemps encore avec l’image dirigiste du général parlant du « plan grande affaire de la France » et l’accent mis sur la participation. Après son rapport de 1958, commandé par un Antoine Pinay qui ne s’y rallia que par discipline gouvernementale, citons en 1960, le « Rapport sur les obstacles à l’expansion économique », à certains égards plus ambitieux, corédigé avec Louis Armand, et toujours soutenu par Michel Debré ; puis, en 1961, un retentissant « Discours sur le crédit » ; et, entre 1963 et 1969, des efforts en vue d’assainir le système financier et monétaire international déjà plombé par les déficits du dollar. (2)⇓
L’auteur de ces lignes n’a jamais été « gaulliste », eu égard à la tragédie algérienne qui entacha pour toute une génération cette période de prospérité retrouvée.
Mais rien de tout cela n’aurait été possible sans un pouvoir fort, stable et se réclamant du recours à des gens compétents.
Nous sommes aujourd’hui loin du compte.
JG Malliarakis
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